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La fraternité : une idée de notre temps

Lu en une heure, au café, sous un soleil de plomb, voici mes impressions à chaud, à propos de cet essai, La voie humaine, écrit par Jacques Attali, l'ancien conseiller du président François Mitterrand, qui ne m'a pas spécialement convaincu, non pas pour les idées qu'il proposent, mais plutôt à cause de l'homme qui les écrit. Je pense que je reste sceptique à propos de l'homme. Je l'ai lu, à la sortie du cinéma, où j'ai vu le film de Costa-Gavras, Le couperet, et j'ai trouvé intéressant de mêler les deux, d'autant qu'il y a une suite logique à ces deux oeuvres, au moins dans ma tête. J'ai donc essayé, dans quelques notes, jetées à la hâte, de reprendre mes idées pour poser une analyse globale de la situation. En accès libre dans l'Ouvroir.

« Prendre du plaisir au bonheur des autres » : sera-ce, sous le nom de « fraternité », la prochaine utopie qui emportera le monde au XXIème siècle ?, Jacques Attali, Fraternité, une nouvelle utopie.

 

Démocrates, armez-vous ! Vers une déroute de nos libérales-démocraties ?

Jacques Attali, costa-gavrasC’est un film social à peine déguisé en thriller que Costa-Gavras nous propose, et qui commence par raconter la vie d’un homme comme tout le monde, appelé Bruno Davert avec femme et enfants, qui se retrouve licencié de sa boite.

 

C’est donc l’histoire ordinaire d’un licenciement : celui d’un cadre supérieur congédié pour cause de délocalisation de son entreprise après quinze ans de bons et loyaux services.

 

Ça rappelle d’étranges manœuvres contemporaines, non ?

 

Ensuite, le gaillard est littéralement réduit à néant par des chargés de ressources humaines (que l’on ne reconnaît pas spécialement dans le film : il arrive qu’ils soient sympathiques les chargés de ressources humaines, ils causent beaucoup, vous offrent parfois un café, et puis... bon !), plutôt fiers d’avoir un peu de pouvoir sur ce pauvre bougre, prêt à tout pour retrouver un semblant de dignité « sociale » ; présentés là comme une espèce de dangereux prédateurs, triant, écumant dans le nombre incroyable de sans-emplois qui se font concurrence, d’où l’idée (également traitée dans Mon CV dans ta gueule, d’Alain Wegscheider un roman publié aux feu-éditions Pétrelle) de liquider la concurrence.

 

Eh oui ! L’idée est très simple, mais non moins diabolique : trucider les postulants potentiels au poste qu’il brigue, afin d’obtenir la place.

 

Et meurtre après meurtre, l’homme de mettre à jour le vrai problème qui nous tient tous par le collet : le seul mot d’ordre de notre belle société libérale qui nous fait courir derrière la carotte : Être le crack ou disparaître !

 

Depuis toujours, nos parents, nos profs, nos patrons, nous enseignent une philosophie déshumanisante au final : rentabilité/compétitivité ! Ce sur quoi repose tout notre système éducatif et social. Que serait-il sans ce que l’on produit ? D’où son intérêt à nous rendre rentables, et pour longtemps. « Vous êtes rentables donc vous êtes » est bien la première et seule supercherie par laquelle tout notre système socio-éducatif tient bon ! Sans ça, tout s’écroule. D’où la détresse de Bruno, d’où la nôtre, d’entrevoir le piège dans lequel, nous sommes tous tombés.

 

Jacques Attali, costa-gavras

José Garcia dans Le Couperet, de Costa-Gavras, 2005

 

Voilà donc la raison pour laquelle nous souffrons de ne pas nous sentir plus utiles, mieux utilisés, mieux reconnus par un vrai poste, et non par ces contrats précaires, sources de craintes pour l’avenir, de souffrances pour un présent qui nous réduit à n’être que des ombres sociales. Et le pire, c’est de surprendre la même détresse chez les autres. Qui n’a pas peur de devenir un jour un modeste smicard sous les ordres d’un petit col blanc, parce qu’à l’instar du serviteur chez Hegel, on aurait choisi de renoncer à la mort, et de renoncer à tuer.

 

Mais ce qui est surtout très intéressant dans ce sujet, c’est qu’il parle d’une situation en Amérique qui existe depuis déjà quinze ans, au moins. Et malheureusement elle arrive à grands pas en Europe et commence à jouer un rôle important dans notre société en France : le chômage, les licenciements, le modèle ultra-libéral, le renforcement de l’individualisme...

 

Eh oui, le constat du film semblera trop pessimiste pour certains, mais juste : aujourd’hui, on ne se bat plus vraiment pour défendre des idéaux humanistes, emblématiques pour améliorer la vie et l’homme. Non ! Nous ne nous posons plus dans une démarche qui se questionne autour du devenir de l’Homme. Nous sommes jetés dans une jungle où règne la guerre de tous contre tous. Et nous sommes contraints pour survivre dans cette jungle urbaine de ne penser qu’à une seule chose : sauver sa peau ! Il n’y a plus de morale, plus de solidarité. Ou si peu ! C’est le règne de l’inhumanité au quotidien, l’avènement d’une nouvelle barbarie.

 

Le système libéral divise pour régner... On croise régulièrement des mendiants venus de tout horizon, sales, en détresse... On croise des SDF, refaits au pinard, et ils nous font peur... Peur d’un jour en arriver là... Alors chacun se bat ! Pour trouver un boulot ! Pour le conserver ! On ne se bat plus les uns avec les autres... un idéal bien impossible à présent... puisque l’un, dans ce système peut faire de l’ombre à l’autre (cf. Cette course meurtrière que mène Bruno pour retrouver un emploi), on se bat les uns contre les autres... Voilà bien tout le drame de notre époque...

 

Ah ! ce que ça réchauffe le coeur, ces quelques grèves sociales, protestant contre des licenciements abusifs ! - Mais est-ce que ça durera encore bien longtemps ? Première question ! N’existe-t-il pas une voie alternative ? : seconde question !

 

Peut-être ...

Jacques Attali, costa-gavrasLa parution du livre de Jacques Attali, La voie humaine, en 2004, aux éditions Fayard, a été particulièrement silencieuse à comparer avec le bruit réconfortant des thèses qu’il y propose, entre autres parce qu’elles seraient une belle alternative possible au pire à venir.

 

Tout d’abord, Jacques Attali réhabilite une conception de la collectivité, et du sens de l’Etat, que l’on a parfois, trop tendance à oublier, aux prises avec un libéralisme sauvage, un modèle à l’américaine que l’on souhaite exporter ici, et qui risque de très vite générer un fort taux d’égoïsme, de haine pour l’autre et de jalousie. (« Plus personne, ou presque, ne croit que changer la vie des autres est important pour soi », nous dit Jacques Attali), même s’il ne se trouve pas que des reproches à lui faire. La compétitivité, la guerre de tous contre tous, cela a du bon pour pousser les hommes à se dépasser. Il suffit de simplement revenir au concept kantien d’insociable sociabilité, pour comprendre que cette formule n’est en rien un constat pessimiste. En effet, dans cette situation de concurrence, chacun doit l’emporter sur l’autre, surmonter son penchant naturel à la paresse, rivaliser d’astuce et d’ingéniosité, développer ses facultés. Paradoxalement, la force irrésistible des passions (asociales) fait de l’homme un être civilisé (et socialisé).

 

Mais tout de même... ça reste difficile de se laisser complètement aller à applaudir des deux mains, l’arrivée d’un nouveau modèle exclusivement économique, qui sera, très certainement à terme, le cauchemar de ce pays : « La marchandisation gagnant tout, jusqu’à l’homme lui-même, le monde deviendra une foire parcourue de bandes rivales. », nous promet Attali. D’ailleurs, n’est-ce pas déjà un peu le cas ?

 

Mais pourquoi faut-il tirer très vite le signal d’alerte : dans son film Costa-Gavras entrouvre le problème : c’est notre démocratie entière qui est menacée par l’exportation du libéralisme sur nos territoires européens : « Le marché devient chaque jour plus fort que la démocratie et il en menace même les institutions ».

 

Or, d’où vient-elle cette réelle menace qui pèse au-dessus de nos têtes ?

 

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Jacques Attali, en 2005

L’explication donnée par Attali est simple : « L’initiative privée avance au rythme choisi par chaque individu, alors qu’il faut une action collective complexe pour changer les cadres et les usages de la démocratie ». D’où l’intérêt du bien commun à remettre vite au premier plan.

 

Bien commun que beaucoup aujourd’hui ignore, ne serait-ce que pas leur désaffection citoyenne, en s’abstenant de voter : « Plus personne, ou presque, ne pense que voter peut changer significativement sa condition, a fortiori celle du monde. » Car, même s’il y a du bon dans l’économie de marché, dans la mondialisation, il faut faire attention au marché qui progresse plus vite que la démocratie. Et je ne saurais ne pas être d’accord avec le pessimisme d’Attali à ce propos : disons le tout net : la mondialisation est en train de tuer la démocratie, tout comme le fait l’économie de marché posée en reine du système social.

 

Certes le marché à des vertus, Attali ne le cache pas. Comment le pourrait-il d’ailleurs ?

 

Mais il s’agit de limiter son emprise sur chacun. D’abord, en étendant le champ de la gratuité « Bien des métiers marchands pourraient être remplacés progressivement par des activités gratuites et bénévoles, ce qui pourrait réduire la nécessité de disposer d’un revenu pour en bénéficier » ; réduire le spectacle en lui le savoir est une première alternative conseillée par l’auteur.

 

Remettre la responsabilité de tous au centre de la problématique pour renforcer la démocratie, en est une seconde. Et ce que les socialistes, encore trop enfoncés dans le capitalisme, n’ont pas vu : en affirmant une prééminence du temps sur l’argent. Avoir, comme dit l’auteur, « le sens du temps ». « Les biens essentiels sont l’ensemble des biens nécessaires à chaque personne pour pouvoir choisir librement son temps, pour avoir accès au "bon temps". »

 

« Le Temps est le bien le plus rare parce que c’est le seul bien qu’on ne puisse ni produire, ni donner, ni échanger, ni vendre », dit Jacques Attali.

 

Voilà pourquoi cette culture du "toujours plus" (de fric, et de choses matérielles) sera à terme, délétère, destructrice parce que cette culture est un mensonge, elle vous promet un bonheur différé, (« la carotte » a déjà fini par fatiguer un bien grand nombre d’individus, y compris outre-Atlantique), bonheur différé qui ne semble jamais arrivé, - sinon comment comprendre le nombre croissant d’individus dépendants d’anti-dépresseurs2 ?

 

Or, il s’agit de tenir le bonheur du temps présent. Le libéralisme aura semble-t-il du mal à nous l’offrir à tous.

 

Jacques Attali, costa-gavras

José Garcia dans Le Couperet, de Costa-Gavras, 2005

 

En ouverture :
Jacques Attali, photo : LP/Philippe de Poulpiquet

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