Dan Simmons, La Grèce à l’âge du futur
Chose qu’on ne pourra jamais enlever à la force livresque de Dan Simmons, c’est la production colossale, voire dantesque, de ses cycles, aussi puissants que contrastés. Cette chronique est parue dans Galaxies, n°39, de Printemps 2006. Le voici désormais en accès libre dans l'Ouvroir.
Après le cultissime Ilium, dans lequel, toutes les fulgurances fascinantes se retrouvaient pour nous offrir une guerre de Troie futuriste, où les destinées humaines, les projets des dieux, et l’esprit grec convergeaient soudainement sous la plume d’un Dan Simmons qui se faisait un tendre plaisir à les réinventer, l’auteur prolifique américain nous envoie une suite et fin, aux accents des plus homériques : Olympos. Retour donc, au temps d’Ilium, où l’Olympe était ce repère des dieux qui, sorte de post-humains, détenaient des pouvoirs illimités, une immortalité totale, et devaient cela, aux développements considérables de la science. Retour également à un temps où l’Olympe voit l’espèce humaine en pleine débâcle, risquant sa disparition définitive. Retour à l’univers du premier tome. Retour à la guerre meurtrière et totale qui opposaient les dieux aux Troyens et aux Achéens qui avaient tenté de s’associer dans cette furieuse entreprise contre ces dieux touts-puissants..
C’est vrai : la mythologie grecque est bien connue pour cela : nous conter les aventures de ces « pôvres » humains cupides et mortels qui, un jour de grande folie, ont désespérément tenté de braver les dieux dans leur incroyable grandeur. La suite d’Ilium met en scène un Achille et un Hector furieusement lassés de s’entretuer sous les regards de ces dieux bienheureux et immortels, habitant le mont Olympos, et s’amusant à observer de leurs hauteurs, ces pauvres aptères d’humains se déchaînant dans le bruit et la fureur que seul un fou peut conter. Décidés à continuer la guerre totale, Achille et Hector se sont unis. Et ainsi, Achéens et Troyens ont conclu de se lancer ensemble à l’assaut de la forteresse martienne…
Dans ces guerres ouvertes, menées de main de maître par les Moravecs, diverses intrigues et sous-intrigues prennent jour. Et au centre, Dan Simmons, avec le souffle et l’ambition qu’on lui connaît, nous raconte l’histoire des derniers hommes, apprenant, dans une tentative presque désespérée, à se battre pour leur survie… alors que sur la planète Terre, les Elois, déchus, sont amenés à se débrouiller seuls. Obligés de tout réapprendre : de la découverte du feu à l’organisation de la Cité. Désordres et chaos, souvent décrits dans les romans de SF, dans un monde humain, réduit à un monde machinique.
Conçu comme un seul et même livre en deux volumes, Ilium et Olympos forment une oeuvre foisonnante, déjantée et hallucinée… En prise avec les questions bioéthiques, géopolitiques, et épistémologiques modernes et contemporaines, Dan Simmons montre ici un souci certain à propos de la très brûlante question de l’avancée fulgurante des techniques et de la science, avec pour horizon indépassable et inexorable, la disparition de l’espèce humaine en tant que telle. Que ce soit les robots semi-organiques ou ce panthéon de dieux grecs littéralement « shootés » aux nanotechnologies, la question éthique que posent toutes les technologies de notre futur guère si lointain, est au centre même de ce deuxième tome.
Avec une totale maîtrise de l’écriture, Dan Simmons donne un souffle unique à un texte épique et halluciné, nous proposant une relecture littéralement colossale de la mythologie grecque. Que dire ? L’ambition de l’entreprise donne à l’œuvre un souffle puissant, la propulsant sans mal à des milliers d’années-lumière du piètre infini littéraire qu’on vous sert aujourd’hui aux cantines de la littérature française, ce micro-infini mis à la portée des caniches…
Les deux tomes représentent plus d’un millier de pages. Des pages qui touchent parfois au génie littéraire… Des pages qui nous étonnent et nous épatent bien souvent, parfois nous agacent, aussi nous intriguent…
Rien à dire : Olympos est un véritable sommet de la littérature SF. Un pic dans le genre du Space opéra. Promesses tenues… Dan Simmons nous livre un roman intelligent, érudit, et brillamment construit. Un subtil festin de références et de citations.
Pour lecteurs avertis.
Dan Simmons, Olympos, Robert Laffont, 2006.
Chronique parue dans Galaxies, n°39, Printemps 2006.