Entretien avec Didier Goupil
Didier Goupil nous offre le roman d'un peintre interné dans un service psychiatrique, car, bipolaire, à la personnalité multiple. Son séjour sera l’occasion d’un face à face avec lui-même, d’un retour en pensée sur son itinéraire et vers les personnes qui ont compté dans sa vie. Pour en savoir plus sur la personnalité de l'auteur de ce roman énigmatique et passionnant, j'ai interrogé l'écrivain.
Marc Alpozzo : Votre nouveau roman s’intitule Journal d’un caméléon. Pourquoi ?
Didier Goupil : Parce que le personnage, un dénommé Cosme Estève, peintre de son état, s’aperçoit durant l’un de ses séjours à l’hôpital que si comme pas mal de monde il a eu plusieurs vies, il est également –et cela est plus rare- traversé par plusieurs identités.
Artistes (Dali, Diogène, Pessoa), personnages de la geste amoureuse (mari, amant passionné ou transi) et même animaux du bestiaire catalan (morue, poulpe, escargot), ils sont nombreux à vivre en lui et à l’emporter dans leur existence tourmentée.
« Au gré des destinations et des régions du monde traversées, il changeait de couleur et de peau. Sans jamais cesser d’être lui-même, il devenait un autre…».
Le livre est la chronique de ce séjour en psychiatrie et plus précisément de l’errance nécessaire pour retrouver le goût de l’existence et de la création.
Marc Alpozzo : Quel est le message profond de ce livre qui se cache derrière le sujet apparent ?
Didier Goupil : Il n’y a pas de message à proprement dit. Plutôt des impressions sur ce qu’est le trajet d’un artiste sur la durée, des suggestions sur la manière dont on soigne et a soigné les troubles mentaux, des interrogations sur le désir d’exhibition et la revendication de chacun a la création de soi…
Et en creux, une question existentielle, presque métaphysique : « Comment vivre sans être ivre ? Comment vivre sans être ivre de tous ceux qui vivent en nous ? »
M. A. : Le sujet de votre livre, c’est l’art et la créativité, les visions de l’artiste et ses chemins qui ne mènent nulle part et, pourtant, un autre sujet, très grave, médical celui-là se cache derrière le premier, c’est la bipolarité. Pourquoi ce choix ?
D. G. : La bipolarité est, me semble-t-il, au cœur de l’être humain. La bivalence est le propre de l’homme. Les artistes ayant pour mission d’exacerber la nature humaine, elle est chez eux plus visible, plus forte – violente comme une « oreille coupée ».
La minute de célébrité wahrolienne ou le succès de la téléréalité en sont je crois l’expression la plus voyante.
M.A. : Quelles sont vos sources d’inspiration ?
D.G. : Dans le cas précis, c’est très particulier, puisque le personnage existe… Il existe en effet un Roger Cosme Estève, peintre catalan, que j’ai eu le bonheur de rencontrer en 2000, lors de la première rétrospective que lui consacrait la ville de Perpignan. Le hasard a fait qu’on m’a demandé d’écrire le texte du catalogue. Depuis nous ne nous sommes que très peu quittés et notre collaboration, au fil des années, est devenue intense et fertile – expositions au Musée des Beaux-Arts de Gaillac, expositions à Paris, Toulouse et nouvelle rétrospective à Perpignan, ainsi que dans le registre littéraire, la publication du Journal d’un caméléon et de traverser la Seine, qui évoquent chacun à sa façon la figure du peintre.
Après de (trop) nombreuses années où il n’a été question dans le monde éditorial que d’autofiction, ce livre pourrait d’une certaine manière s’inscrire, si je m’autorise ce néologisme, dans le registre de l’autrui-fiction.
M.A. : Comment écrivez-vous, avez-vous un plan défini à l’avance, ou est-ce que les idées viennent au fil de la plume ?
D.G. : Non, en tout cas pas de plan précis, je trace plutôt des perspectives, de longues séquences qui après trouvent chacune leur place. En règle générale, au début il y a une image, une image récurrente, presque obsédante… Pour le Journal d’un caméléon, c’était celle de Cosme Estève, le peintre, allant toute la journée, boussole à la main, de son dortoir au fumoir, se perdant régulièrement en chemin, la tête pleine des accidents d’une vie, de ses histoires d’amour et des fantômes qui ne le laissent pas en paix…
M.A. : Quel est le sujet de votre prochain roman ?
D.G. : Il est écrit et déjà publié. Il se nomme Traverser la Seine (Le Serpent à Plumes, 2016) et l’on y retrouve, clin d’œil de l’écrivain à l’ami peintre, les dernières peintures noires de l’artiste.
À ce propos, j’aimerais signaler à vos lecteurs susceptibles de se trouver à Paris à cette date-là que la prochaine exposition de Roger Cosme Estève aura lieu du 20 avril au 6 juin à la Galerie Convergences, sise 22 rue des Coutures Saint Gervais 75003.
Ils sont bien sûr les bienvenus.