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Entretien avec Daniel Monforte, 13 novembre 2015, une tragédie française

Le 13 novembre 2015, des attentats de très grande ampleur frappent la France. Six ans plus tard, jour pour jour, nous fêtons ce triste anniversaire, alors que le procès-fleuve de ce terrible attentat islamiste bat son plein au tribunal de Paris. Aux éditions Le Sémaphore, Daniel Monforte nous offre une fiction L'ennemi intérieur, inspirée de ce terrible drame français, où les protagonistes, deux familles, l'une chrétienne et l'autre musulmane, dialoguent et ensemble recherchent la vérité, frappées de plein fouet par le choc de ce terrible événement. J'ai eu l'occasion de rencontrer l'auteur, par l'entremise de son éditeur, Jean-Charles Lonne. Voici le compte-rendu de cet entretien d'abord paru dans la revue en ligne Boojum. Il est désormais en accès libre dans l'Ouvroir

L-ennemi-interieur.jpegMarc Alpozzo : Vous venez de faire paraître un roman aux éditions Le Sémaphore, intitulé L’ennemi intérieur (mai 2021). Pourquoi ce titre ?

 

Daniel Monforte : Pour son ambiguïté. Je me rends compte à chaque séance dédicace à quel point elle fonctionne. Chaque lecteur m’arrive avec la culture qui lui est propre et selon qu’elle soit davantage politique, historique, sociologique, ou psychologique, il ne va pas entendre la même chose. C'est ça qui est intéressant et qui m'a séduit avec l'idée de ce titre. Chacun des lecteurs va choisir comment le comprendre et tous auront raison à la fois.

Je confesse aussi un peu de provocation de ma part pour ce qui est de la dimension politique. Les lecteurs de gauche vont généralement être rebutés par le concept et déroutés au cours de leur lecture ; tandis que ceux de droite vont y attendre des choses qu'ils ne vont pas forcément trouver.

 

M.A. : Votre roman prend place immédiatement après les dramatiques attentats du 13 novembre 2015. Votre narrateur est en couple et il se balade dans les environs de l’attentat à la recherche d’un restaurant, quelques heures avant le déclenchement des premiers coups de feu. Puis, lorsque votre narrateur allume son téléviseur, il réalise à quoi il a échappé. Or, il s’avère que lors des attentats islamistes de 1995, il était encore un jeune interne aux urgence, il a soigné un grand nombre de blessés. Or, cette double épreuve l’obsède. Il rencontre des voisins, qui sont musulmans, je rappelle qu’il est catholique, il sympathise avec eux, ils sont choqués par les événements récents, et donc s’entame un vrai dialogue entre le catholique et le musulman. Pourquoi ce sujet et pourquoi ce dialogue ? Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce roman ?

 

D. M. : Lors de la vague d’attentats dont il est question, une problématique s’est posée au pays, que l'on peut résumer par une simple question : comment se positionner en tant que peuple et en tant qu’individu face à pareille attaque ? Et c’est d’ailleurs on le sait bien un des buts recherchés : fractionner la population sur un clivage religieux dans l’espoir d’empêcher une coexistence pacifique. Mes deux personnages sont deux individus parmi la foule de chrétiens et de musulmans qui s’interrogent  après l’attaque. Mais le fait de réfléchir ensemble n’est pas la même chose que réfléchir chacun de son côté. Si comme nous le savons le but recherché est de monter les communautés religieuses les unes contre les autres, une solution est bien de réfléchir ensemble, unis contre cette stratégie mortifère. En tant qu’Européens, nous avons pour beaucoup le réflexe de nous dire que nous allons trouver les solutions en nous-mêmes. C’est une grosse erreur car ce qui se passe ici est à penser à la lumière de ce qui s’est passé dans tous les pays où les islamistes ont pris le pouvoir.

L’idée de ce roman m’est venue très simplement. Il se trouve que j’étais à Paris le 13 novembre et à Nice le 14 juillet suivant. On ne sort pas indemne de ce type de hasard. Pour ma part, cela a été le déclencheur d'un désir de comprendre les motivations, les projets et les stratégies de l’État Islamique. Après m’être enrichi d'une ample documentation, je pouvais imaginer des personnages et une intrigue avec un peu plus de recul.

 

M. A. : Le but quasi-avoué de ce roman est très certainement de faire la lumière sur la communauté musulmane et ce qu’elle vit depuis le début des attentats islamistes en France, je pense, non ?

 

D. M. : Il y a de cela oui. Les musulmans ressortent stigmatisés après ce genre d’attaques. Comme l’explique Farid, mon personnage musulman, ils souffrent du regard porté sur eux. On craint désormais de les croiser. En chaque homme revêtant ostensiblement l’appartenance à cette religion on pourra craindre une ceinture d’explosif. C’est bien le but recherché. Générer la terreur, la division et la haine. Mais il n’y a pas que cela. Mes personnages ne sont pas que dans la victimisation. Il y a aussi une attitude positive de combat face à cette stratégie terroriste. La société française a encore beaucoup de chemin à faire à mon sens dans la compréhension de cela. Elle refuse pour l’instant de tirer les enseignements de l’histoire des pays arabes. 

 


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M. A. : Vous abordez également la question du port du voile. Tandis que le fils des voisins Farid et Fatima est plutôt en butte au système et aux règles, leur fille en revanche choisit de porter le voile. Autour d’une histoire de victimes collatérales aux attentats, puisque la déflagration du choc les ayant atteints, ils ne savent plus vivre comme avant, vous amène à construire un dialogue autour de l’islam. Que pensez-vous justement des polémiques autour du voile en France ?

 

D. M. : La problématique du voile en France est partie dès le début sur de mauvaises bases.  Le port du voile devrait être un choix anodin de chaque musulmane mais malheureusement ce n’est plus le cas, ce n'est plus possible. Il est devenu indissociable de la stratégie politique islamiste et c'est bien là que réside leur victoire. 

Comme je le disais, c'est de l’analyse du passé que nous pourrons nous prémunir des problèmes futurs. Je pense particulièrement à l’Égypte des années 50 du siècle dernier. Lorsque les Frères musulmans ont demandé à Nasser d'imposer aux femmes de porter le voile, il prévoyait lui de développer une société de culture musulmane, mais laïque. Nasser s’est assis sur l’assentiment populaire pour refuser : les Égyptiens étaient sincèrement croyants mais les femmes n’aspiraient pas à cela. Les modes vestimentaires féminins étaient plutôt à la tête nue. Par leurs prêches les rigoristes musulmans se sont habilement emparé de ces signes vestimentaires non plus comme simples marqueurs religieux mais comme marqueurs victimaires et de conquête communautariste. Il est devenu difficile de porter le voile aujourd'hui de façon anodine tant il est devenu un acte de rébellion et d’affirmation de soi dans une société laïque présentée comme répressive. Le personnage de la fille de Fatima et de Farid porte le voile par esprit de révolte parce qu'elle est adolescente et c’est un moyen facile d’exprimer sa rébellion. Même si elle ignore tout des discours de Youssef Qaradaoui. 

Pour en revenir à la France, la polémique a commencé sous Chirac. A l’époque c’est Tariq Ramadan qui oeuvrait à répandre la doctrine de son mentor Qaradaoui mais il passait pour un islamologue modéré. Ce qu'il n'était pas, puisque l'on sait maintenant que les Services de sécurité intérieure de l’époque recommandaient à l’Élysée de lui interdire l’accès au territoire national. La loi sur l’interdiction du port de vêtements religieux dans certains lieux ou pour certaines fonctions a été reprise dans certains pays arabes confrontés de longue date à ce problème de politisation. Ce qui est bien la preuve qu’elle était estimée efficace pour lutter contre le prosélytisme des rigoristes. Mais à mon sens, en ne faisant pas le travail de pédagogie des réelles raisons, la loi devenait improductive car elle passait pour islamophobe.

 

M. A. : Votre narrateur est bardé de doutes. Il ne retrouve plus la paix intérieure d’autrefois. Ces attentats islamistes, comme pour beaucoup d’entre nous, le poussent à réfléchir à l’islam, le texte sacré, et aussi, à toutes les intrications géopolitiques actuelles. Vous faites le choix de montrer donc un islam de paix et un islam politique. Est-ce que vous pensez que les choses dans la réalité sont aussi simples et binaires ?

 

D. A. : Oui et non… 

Non parce que je suis convaincu que tout politique pense oeuvrer pour le Bien, pour une société meilleure et pour la paix de celle-ci. J’explique longuement dans le livre en quoi même les auteurs des attentats de Paris pensaient oeuvrer à terme pour ce Bien. Je dis que ces hommes restent des êtres humains, au moment même où ils assassinent leur prochain. Ils continuent d’appartenir à l'espèce humaine, comme cela a été si brillamment écrit avant moi au sujet des bourreaux nazis. C’est tout le paradoxe et la problématique de la guerre. Lorsque l’on fait la guerre on est toujours convaincu de se battre pour une cause juste et pour le bonheur de l’humanité. Ou pour Dieu, mais cela revient au même, au fond.

En même temps oui, les choses sont aussi simples. Et c’est en cela que se battre contre les rigoristes musulmans ou contre le port du voile n’a rien à voir avec l’islamophobie. Car il y a d'une part les millions de musulmans qui n’aspirent qu’à vivre en paix et sans violence, dans le respect de l’autre et sans empiéter sur l’espace public, et d’autre part des groupes politiques aspirant à imposer leurs règles à tous. Et peu importe si dans cette foule de croyants il s’en trouvera toujours quelques poignées à se réjouir ou justifier les attentats. Ce n’est pas là l’essentiel, qui est bien à mes yeux de dissocier les deux projets. Il est important de relire toujours l’Histoire. À de multiples époques sur les terres sacrées communes aux trois monothéismes, que ce soit pendant l’empire romain puis byzantin, le califat ou l’empire ottoman, les chrétiens se sont mêlés aux juifs et aux musulmans, les Arabes aux Perses et les Caucasiens aux Turcs en bonne harmonie, tant qu’un pouvoir politique ne décidait pas d’imposer sa loi à tous en les montant les uns contre les autres. Aujourd’hui c’est l’Islam politique des Frères ou des salafistes qui portent ce danger. Auparavant c’étaient d'autres groupes religieux mais ça ne change pas grand chose à l'équation. Il y a bien d'un côté des gens ordinaires qui veulent vivre en paix et de l'autre des politiques à visée totalitaire qui se servent d’eux pour parvenir à leurs fins.

 

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Daniel Montforte

 

Daniel Monforte, L’ennemi intérieur, Le Sémaphore, mai 2021.

 

En ouverture : Gerbes et bougies d'hommages déposées devant la "Belle Equipe", au lendemain des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, afp.com/LIONEL BONAVENTURE.

Commentaires

  • Le 13 novembre était aussi, et est visiblement encore, la journée mondiale de la gentillesse qui a été supprimée et vaguement déplacée le 3

  • Je ne suis pas islamophobe mais résolument islamistophobe. Ce sont toujours les intégrismes, d'où qu'ils viennent, qui nous tuent

  • Dominique Boudou c 'est gentil de faire la différence, mais « un musulman modéré est surtout modérément musulman », la vérité de l'Islam est la haine pas l'amour, mais grâce à « vous » (ceci n'étant pas une attaque personnelle entendez-le bien) ils pourront continuer d'infuser gentiment, et quand ils seront en force, tous les « modérés » révèleront leur vrai visage. Heureux les dhimis alors !

  • @Loïc DI Stefano : lisez l'interview de l'auteur par Marc Alpozzo.

  • A Bordeaux, l'imam Tarek Oubrou est un théologien éclairé qui pourfend toutes les dérives de sa religion.

  • Oubrou est minoritaire dans sa propre communauté. A la limite, faîtes comme moi, sans vos injonction : lisez le Coran

  • Loïc DI Stefano, on retrouve les mêmes horreurs et dans le Coran et dans la Bible. Mais il faut les resituer dans leur époque.

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