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Mort et vie de Romain Gary

Il y a aujourd’hui quarante ans jour pour jour, le 2 décembre 1980 l'écrivain français, le seul et unique double lauréat du prix Goncourt, se donnait la mort d’une balle de revolver.

 

30 août 1979

 

 

pour la presse                          Jour J.

 

 

Aucun rapport avec Jean Seberg. Les fervents du cœur brisé sont priés de s’adresser ailleurs. On peut mettre cela évidemment sur le compte d’une dépression nerveuse. Mais alors il faut admettre que celle-ci dure depuis que j’ai l’âge d’homme et m’aura permis de mener à bien mon œuvre littéraire. Alors, pourquoi ? Peut-être faut-il chercher la réponse dans le titre de mon ouvrage autobiographique Le nuit sera calme, et dans les derniers mots de mon dernier roman : « car on ne saurait mieux dire ». Je me suis enfin exprimé entièrement.

Romain Gary

manuscrit romain gary.jpg

Lettre manuscrite laissée par Romain Gary
au pied de son lit à sa mort

 

Dans Madame Figaro, ces lignes, pathétiques :

 

« Avant de se donner la mort, Romain se déshabilla entièrement, ne conservant qu’un caleçon et une chemise bleue. Nu dans la mort, lui qui toute sa vie s’était grimé. “Enfin authentique.” »

 

La mort que Romain Gary s’est donnée dans l'après-midi du 2 décembre 1980, en se glissant un revolver de calibre 38 dans la bouche, il n’y a plus de doute à son propos, avait pour objectif de conjurer le masque du comédien, de rétablir la vérité. Romain Gary a probablement toujours recherché cet homme véridique, sans jamais le trouver, si ce n’est au dernier jour, lorsqu’il fut nu dans la mort.

 

romain gary.jpg

Romain Gary dans les années 70

 

Cosaque dans la vie, nu dans la mort, que voulait cet homme aux masques, aux mille visages, lorsqu’il voulait le vrai ? Avait-il au moins lu Nietzsche et sa Volonté de puissance : « Pour pouvoir imaginer un monde du vrai et de l’être, il a fallu d’abord créer l’homme véridique (y compris le fait qu’il se croit véridique). »

 

Sûrement que le mystère de ce geste fatal, annoncé je crois en 1975 sur le plateau de Bernard Pivot, alors que l’écrivain avoue à demi-mot des problèmes d’érection, ce geste tragique ressemble de près à une volonté de ne pas tromper ni d’être trompé. Ne plus trahir, ne plus être trahi, alors que cet homme ressentait de profondes peines à être malmené en conversations dans plusieurs dîners parisiens (cf. l’émission qu’il fit avec Jacques Chancel, en 1975).

 

Le monde véridique n’est donc pas séparable de cette volonté de dire le vrai, alors même que tout dans ce monde n’est qu’apparence. Écoutons Deleuze en parler : « Si quelqu’un veut la vérité, ce n’est pas au nom de ce qu’est le monde, mais au nom de ce que le monde n’est pas. » C'était donc une volonté de la vérité, mais au sens de ce qu'en dit Nietzsche, autrement dit une volonté de ne pas tromper ni d'être trompé soi-même, dans un monde radicalement faux, cherchant à opposer à la vie qu'il dépréciait soudain, un autre monde, ou plutôt, un outre-monde. 

 

Or, si la vie est une erreur, la littérature est l'instance ultime qui rétablit la vérité. Si elle dupe, si elle dissimule, si elle éblouit, ça n'est jamais qu'au nom de la vérité. Car la vérité est dans la littérature, elle est dans les romans, seuls vrais récits vrais de la vie ; notre existence n’étant jamais qu’une ombre parmi les ombres de la vérité. Ce n'est donc pas le monde de la connaissance qu'il faut rechercher, mais celui d'un monde précisément véridique, qui n'est pas séparable de la volonté de puissance. Probablement que Romain Gary avait compris cette ultime réalité de notre monde à la fin de sa vie, et, qu’il voulut, dans un dernier geste héroïque et sûrement désespéré, en réchapper, ou, mieux, se poser en contre....


Mort en révolté !   

 

Gary2.jpg

Romain Gary (21 mai 1914 à Vilna dans l'Empire russe
(actuelle Vilnius en Lituanie), 2 décembre 1980 à Paris,
chez lui, à Paris, dans son bureau, au 108 rue du bac.) 

 

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À voir aussi : 

ROMAIN GARY (1914-1980), l'insaisi – Une vie, une œuvre [1993]

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