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J.M.G. Le Clézio, Alma, un hommage à la culture métissée

Depuis son Nobel de littérature, reçu en 2008, J.M.G. Le Clézio a publié plusieurs ouvrages, dont des romans et des recueils de textes. Parmi ceux-là, un récit océanique sur une plongée dans la mémoire de l’Île Maurice. Une plongée remarquable, une odyssée littéraire mettant à l’honneur la culture métissée de l’Océan indien, une langue poétique, et une vision de la nature très proche du style personnel, imagé et lyrique, dont nous a habitué l’écrivain depuis ses débuts. Alma, dont le titre, tant esthétique que mystérieux, raconte des histoires croisées, dont celle de Jérémie, parti en quête du dodo, cet oiseau jadis exterminé par les humains, et celle de Dominique, dit Dodo, admirable hobo, né pour faire rire. Cette recension est d'abord parue dans la revue en ligne Boojum. Elle est désormais en accès libre dans l'Ouvroir

jmg le clézio,le clézio,jemia le clézioDepuis ses débuts en littérature, en 1963, avec Le Procès-verbal, Le Clézio a une œuvre abondante et foisonnante. Prix Nobel en 2008, il est né le 13 avril 1940 à Nice, d’un père britannique et d’une mère française, doté d’une double identité partagée entre l’origine française de la mère et la famille paternelle, originaire de Bretagne et ayant émigré à l’île Maurice au XVIIIe siècle. Alors que son grand-père a abandonné sa fonction de juge pour rejoindre l’île Rodrigues à la recherche du trésor supposé d’un Corsaire, le jeune Le Clézio, marqué dans l’enfance par la guerre, ce qui lui fera dire dans Ourania, que « la guerre n’a pas de sens pour les enfants », découvre, dans l’adolescence, à l’âge de 15 ans, une valise pleine de plans et de croquis ayant servi à la préparation de l’expédition.

 

L’histoire familiale inspirera Le Clézio dans la deuxième partie de son œuvre, notamment ses romans : Le Chercheur d’or (1985) Voyage à Rodrigues (1986), La Quarantaine (1995), Révolutions (2003) et Ritournelle de la faim (2008). Ces romans sont un retour en arrière, qui rappelle cette époque où le jeune Lé Clézio embarqua avec sa famille pour aller retrouver son père en Afrique, afin de lui rendre visite, alors que cet homme était médecin militaire au Nigéria. Il racontera cette aventure dans son récit L’Africain, paru en 2004, est qui est un hommage saisissant au père. De cette époque, dont il tire le goût de l’écriture et des voyages, découle une œuvre protéiforme, multiple, complexe, pas toujours bien comprise ou appréciée des intellectuels et des amateurs de littérature. Il faut dire que le style de Le Clézio n’est pas facile à appréhender.

 

À la fin des années 70, ayant divorcé de sa première femme, il rencontre Jemia, qui lui fait découvrir l’Algérie, les hommes bleus, ces nomades du désert. Cela lui inspire ce qui sera certainement son grand œuvre, et un des romans majeurs de la seconde moitié du XXe siècle, Désert, paru en 1980, et couronné du Grand Prix de l’Académie française. Passionné pour la langue créole, il publiera, avec son épouse Jemia, Les Sirandanes, en 1990.

 

Cette langue créole, qu’il reproduit si merveilleusement, dans son roman Alma, datant de 2017, nourrit le récit de Dominique Felsen, dit Dodo. Si ses premiers livres dénoncent la société de consommation et la société post-industrielle, celle-ci décrit déjà l’aspiration au voyage et à l’ailleurs. Car, pour Le Clézio, voyager, c’est avant tout recréer un lien avec les siens, lui qui n’a eu de cesse d’écrire sur le roman familial et de puiser dans son héritage, notamment celui de la mère, qui apparaît en filigrane dans toute son œuvre. Elle sera d’ailleurs au cœur de Ritournelle de la faim, très musicienne comme Ethel.


L’ailleurs

Ce que nous apporte alors ce nouveau roman ne se distingue pas des précédents. L’ailleurs ici, permet d’opposer l’espace infini des terres des illusions avec l’espace clos des grandes villes. Cela permet aussi de revisiter l’exploration par le voyage, et de revoir « l’avenir de notre race humaine » (La forêt des paradoxes). Si l’œuvre de Le Clézio, dans son engagement, semble aujourd’hui « tendance », il faut garder de vue, que cette œuvre prend racine dans une époque où l’exotisme des pays lointains n’agitait pas ainsi les aspirations les plus vaines de quelques petits-bourgeois à l’affût des modes, qui boivent du thé, roulent à vélo, et se passionnent sans vraies passions pour les cultures les plus reculées. L’objectif de l’écrivain franco-mauricien, n’a pourtant jamais varié depuis ses débuts, lorsqu’il écrivait Haï, en 1971.

 

Si l’écrivain est plus un rat de bibliothèque qu’un nomade du désert, confession qui m’a été faite par le photographe de Gens des nuages (1997), rencontré à Paris en 2018, personnage qu’il s’est moins inventé que l’on a inventé pour lui, il n’a jamais cessé d’écrire pour agir, et dénoncer les abus et les souffrances que subissent les femmes ou les enfants de par le monde, notamment à travers les figures d’Esther, la juive, Nejma, la Palestinienne, ces deux jeunes héroïnes d’Étoile errante (1992), qui racontent comment elles découvrent la peur, l’humiliation et la violence. Engagé, Le Clézio l’a toujours été, et c’est d’ailleurs ce qu’il raconte dans son allocution à Stockholm, lors de la remise de son prix Nobel, en 2008 : « Agir, dit-il, c’est ce que l’écrivain voudrait par-dessus tout. Agir, plutôt que témoigner. Écrire, imaginer, rêver, pour que ses mots, ses inventions et ses rêves interviennent dans la réalité, changent les esprits et les cœurs, ouvrent un monde meilleur » (Dans la forêt des paradoxes).


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Ce qui est sûrement le plus significatif dans l’œuvre de Le Clézio, c’est l’errance, notamment celle de ses personnages. Je ne les reprendrai pas tous ici, dont le tout premier Adam Polo, dans Le Procès-verbal, paru en 1963, et qui a reçu le Prix Renaudot. Son roman Alma, renoue avec cette errance en narrant des histoires entremêlées, notamment celles de figures masculines, dont Jérémie Felsen, le fils d'Alison O'Connor et d'Alexandre Felsen, « un vieux, un Français », en quête de tous les passés de l'Île Maurice, des années 1990 à 2010, et de Dominique Felsen, le Mauricien, dit « Dodo » ou « Coup de ros », sorte de lézard et « clochard merveilleux », pris dans le culte d'un passé plus proche, malade, et dont le visage dégradé est son obsession, disparu en France en 1982.


La fin d’une civilisation

Mais le Dodo, c’est aussi ce dernier volatile d'une espèce éteinte, à l’image de celle de la brutale disparition des cultures et des civilisations indiennes de Mésoamérique au XVIe siècle, que Le Clézio raconte dans son splendide essai Le Rêve mexicain ou la Pensée interrompue, paru en 1988, revenant plus particulièrement sur la fin de la civilisation Mexica déclenchée par les conquistadors espagnols, et dont la disparition demeure un manque profond pour l’auteur.

 

Il écrit d’ailleurs dans Alma :  

 

« Tout ce peuple, arraché à ses terres, dans la profondeur africaine, au pied du Kilimandjaro, sur les rives du lac Nyassa, ou dans le pays de Galla, en Erythrée, en Ethiopie, ces hommes, ces femmes enchaînés, marchant sas fin sur un chemin semé de cadavres et d’os, prisonniers des Arabes à Kilwa, vendus à Zanzibar, empilés dans des boutres, mourant de soif, de dysenterie, de variole. Et, tout ça pour quoi ? »

 

Revenu à Paris, Dominique Felsen, toujours en quête d'un ailleurs, certainement comme Le Clézio qui reconnait durant l’émission Apostrophes, en 1988, n’avoir jamais su poser ses valises quelque part, vit au milieu des migrants. Parmi ces personnages, des fantômes ou de petites gens traversent ce roman, qui ressuscitent les morts avec lesquels Dodo communique.

 

« De tous ces noms, de toutes ces vies, ce sont les oubliés qui m’importe davantage, ces hommes, ces femmes que des bateaux ont volés de l’autre côté de l’océan, qu’ils ont jetés sur les plages, abandonnés sur les plages glissantes des docks, puis à la brûlure du soleil, puis à la morsure du fouet. Je ne suis pas né dans ce pays, je n’y ai pas grandi, je n’en connais presque rien, et pourtant je sens en moi le poids de son histoire, la force de sa vie, une sorte de fardeau que je porte sur mon dos partout où je vais. »

 

Nous rapportant des voix oubliées, des visages disparus, ces hommes et ces femmes dépossédés de leurs propres biens, Jérémie Felsen reconstitue le destin tragique d’une famille coupée en deux, lorsqu’il croise l’homme-lézard déguisé ainsi pour une fête foraine, ce clochard magnifique, déformé par la maladie et dernier héritier de la famille Felsen.

 

Les textes de Le Clézio sont toujours aussi beaux que tragiques, et c’est peut-être même ce que l’on y trouve de plus tragique qui nourrit cette beauté, celle des mots, des sonorités qu’il s’agit d’entendre plus que d’écouter, alors que son roman Alma nous plonge au cœur de la mémoire de l’île Maurice, pour en faire ressortir une langue splendide, musicale, débordante d’énergie. Si d’ailleurs son texte peut parfois paraître aride, surtout en comparaison avec les productions de notre époque, cette difficulté de lecture se met surtout au service de ce que veut nous raconter l’écrivain prix Nobel, dans ce qu’il y a de plus bouleversant à propos des itinéraires des hommes inconnus, bigarrés, issus souvent de cultures métissées et survivant au-delà de la mort, dans la mémoire des hommes, même si ces derniers la croient interrompue.

 

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J.M.G. Le Clézio

 

J.M.G. Le Clézio, Alma, Gallimard, septembre 2017, Folio, octobre 2021.

 

En ouverture : J.M.G Le Clézio à Saint-Maloen, mai 1999, lors du festival Étonnants Voyageurs  Crédits : Raphael GAILLARDE / Contributeur - Getty

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