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Patti Smith, naissance d'un écrivain

Le roman autobiographique Just Kids de Patti Smith sorti en 2010 et devenu culte depuis, ressort chez Gallimard augmenté de 60 photographies, dont les Polaroids de Robert Mapplethorpe. Aussi, après ce livre culte, probablement son chef-d’œuvre, l’icône du rock nous gratifie d'une longue méditation mélancolique et poétique en dix-huit stations de métro, ayant récemment obtenu le Grand Prix héroïne Madame Figaro. Compte-rendu... Ces chronique ont paru dans la revue en ligne Boojum. Elles sont désormais en accès libre dans l'Ouvroir

 

JUST KIDS

 

Patti Smith, Robert Mapplethorpe, Andy Warhol, Allan Ginsberg, Janis Joplin, Lou Reed, Bob Dylan, Chelsea Hotel, Franck Stefanko, Judy Linn, Gerard MalangaDoit-on encore présenter Patti Smith, née à Chicago en 1946, issue d’une famille modeste, et ayant traversé l’Hudson River pour quitter le New Jersey et travailler à New York. C’est là où elle rencontrera ce photographe séduisant, talentueux et énigmatique Robert Mappelthorpe.

 

Son roman autobiographique commence sur ces mots terribles :

 

« Je dormais lorsqu’il est mort. J’avais appelé l’hôpital pour dire bonne nuit une dernière fois, mais il avait sombré, sous des couches de morphine. J’ai pressé le récepteur contre mon oreille pour écouter sa respiration laborieuse à travers le téléphone, sachant que je ne l’entendrais plus jamais. »

 

Just Kids, c’est l’histoire d’un amour. Un roman d’initiation artistique, un vibrant hommage aussi à l’un des plus grands photographes du XXème siècle. C’est la rencontre, en 1967, entre Patti Smith (qui n’est pas encore la star planétaire qu’elle est devenue par la suite) et Robert Mapplethorpe, dans les rues dangereuses parfois de New York.

 

« C’était l’été de la mort de Coltrane. L’été de « Crystal Ship ». […] À Monterey, Jimi Hendrix mettait le feu à sa guitare. « Ode to Billie Joe » passait en boucle sur les grandes ondes. Des émeutes éclataient à Newark, Milwaukee et Detroit. […] Et dans cette atmosphère instable, inhospitalière, le hasard d’une rencontre a changé le cours de ma vie. C’était l’été où j’ai rencontré Robert Mapplethorpe. »

 

Comment résister à ces premières lignes, qui racontent, avec une émotion, la ville de New York, qui, à l’époque, abritait alors une scène artistique de premier ordre, et dans laquelle, les deux jeunes gens, qui fréquentent le cercle d’Andy Warhol et la bohème du Chelsea Hotel, rencontrent Allan Ginsberg, Janis Joplin, Lou Reed, ou encore Bob Dylan.

 

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Robert Mapplethorpe et Patti Smith au Chelsea Hotel (New York), en 1969.

 

Dans cette atmosphère de bouillonnement artistique, c’est toute l’Amérique qui est revue et racontée : c’est dans ce bouillonnement que l’on suit les premiers pas artistiques de la star à venir ; son amour pour l’art, la poésie, la création… Elle deviendra poète, performeuse. Robert Mapplethorpe sera photographe.

 

Cette nouvelle édition, cartonnée noire, au format de 190 x 240 cm, est un petit bijou, pour ceux qui ont aimé le roman de Patti Smith, ou qui sont fans de l’artiste. Mais c’est également une merveille pour tout un chacun, et remercions les éditions Gallimard de nous offrir un tel cadeau pour la fin d’année : on y trouve de nombreuses photographies de Franck Stefanko, Judy Linn, Gerard Malanga ; on y voit l’ascension des deux inséparables artistes. On y trouve également les œuvres plastiques de Mapplethorpe, magnifiquement décrites par Patti Smith : ses dessins, ses photos, ainsi que ses collages et ses installations.

 

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"Autoportrait", 1982.
Robert Mapplethorpe

 M TRAIN

patti smith,robert mapplethorpe,andy warhol,allan ginsberg,janis joplin,lou reed,bob dylan,chelsea hotel,franck stefanko,judy linn,gerard malangaPour ceux qui ont attentivement lu son précédent opus Just Kids, il n’aura échappé à personne qu’avant d’être cette rock star planétaire malgré elle Patti Smith était avant tout un écrivain et un poète. C’est ce qu’elle nous a prouvé avec son précédent livre, monument autobiographique retraçant d’abord dans le New Jersey, puis New York, des années perdues, envolées, les années 1970, et racontant son premier amour avec le photographe et plasticien Robert Mapplethorpe, mort trop jeune en 1989, à l’âge de 42 ans. Première balade new-yorkaise, retraçant les années d’avant la célébrité. Vient ensuite, ce second livre, plus méditatif, plus intimiste, qui révèle une âme mélancolique et sensible, vieillissante aussi, une autobiographie spirituelle et sentimentale.

 

C’est donc dans le M Train que l’auteur nous emmène cette fois. Le M train, faut-il y voir un signe, un clin d’œil, un symbole ? Forcément… Pour l’anecdote, le M Train à New York est une ligne de métro qui, formant une demi-boucle, ne revient jamais au même point de départ. Allégorie de la vie ? Sentiment de regarder dans le rétroviseur ? « Ce n’est pas si facile d’écrire sur rien ». Ainsi débutent les premières pages de ce voyage en métro. Comme si le passé prenait une telle place dans la vie de Patti Smith que le présent, fait de petits riens et de minuscules anecdotes n’était rien en comparaison.

 

Aujourd’hui, la vie de Patti Smith ressemble à celle de n’importe qui. Elle vit dans son appartement de Greenwich Village avec ses chats, passe ses journées habituellement dans un café, le Café’ Ino, sans aucun emploi du temps fixe, porte un manteau noir de manière régulière, et se passionne pour les séries policières à la télévision. C’est à partir de cette vie banale et routière pourtant que l’icône du rock va élaborer ce livre, commençant à griffonner quelques phrases sur un cahier, comme un défi, un défi que Patti relève à la suite d’un rêve dans lequel elle entend un cowboy lui dire qu’il n’est pas facile d’écrire sur rien.

 

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Patti Smith en 2010

 

Pourtant, dès les premières lignes, et l’annonce faite par son serveur habituel, que ce dernier s’apprête à partir ouvrir un café de plage sur la promenade de Rockaway beach, la plume de Patti Smith s’emballe, se remémorant l’époque où, elle aussi, rêvait d’ouvrir un café ; peu à peu, les années défilent. Et l’écrivain de dessiner progressivement la « carte de (son) existence ». En dix-huit stations, la voilà qui nous entraîne dans un voyage mélancolique et poétique, où se mêlent les cafés, les autres lieux visités du globe. On visite les tombes aussi ; celles de Jean Genet, Arthur Rimbaud, Yukio Mishima, Sylvia Plath, Ryūnosuke Akutagawa. On croise la chaise de Roberto Bolaño, sur laquelle l’auteur s’est assise, « à l’occasion de la visite de sa maison familiale » pensant peut-être qu’elle deviendrait meilleure écrivain en s’asseyant dessus. Le chapeau de paille de Robert Graves, la machine à écrire de Herman Hesse, li lit de Keats, la canne de Virginia Woolf, que l’auteur a photographié après avoir traversé la mer dans le « seul but de (les) posséder dans le cadre d’une image unique ». On croise encore Murakami, Blake, Sebald, Burroughs.

 

Patti Smith est portée par ses lectures. Celles de 2066, de Le Maître et MargueriteChroniques de l’oiseau à ressort. Les chefs-d’œuvre se succèdent, la vie avance. Ce M Train finalement symbolise le temps qui passe, la vie qui s’étiole, les années qui s’envolent, les gens qui disparaissent, qui nous laissent derrière eux. Patti Smith tente bien de fixer le temps, dans la photographie, ces photographies en noir et blanc qu’elle prend depuis toujours, et qui illustre à merveille son texte, ses texticules particuliers, néanmoins, n’est-elle pas en train de questionner le sens profond des choses, le sens profond de son être. Serait-elle, « zombie optimiste, calée sur ses oreillers, noircissant des pages somnambuliques – fruits encore un peu verts ou déjà trop mûrs » ?

 

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Patti Smith dans son appartement new yorkais en 2015

 

Ce nouveau livre inclassable est le prétexte, en dix-huit stations de métro, de questionner le deuil, l’espoir, le passage du temps et du souvenir, la création, l’art, la littérature, la poésie, la vie, le café, tout ce qui fait l’infini minuscule de nos existences, et qui leur donne ce sens si profond, cette densité, que Patti Smith cherche à fixer dans les mots, les phrases, et la photographie. Et voilà pourquoi il est finalement si facile d’écrire sur rien, ce qui contredit le cowboy du rêve, parce que, tel que le dit l’auteur :

 

« Je suis certaine que je pourrais écrire indéfiniment sur rien. Si seulement je n’avais rien à dire. »

 

Or, elle a tant à nous dire…

Patti Smith, Just Kids, édition intégrale illustrée, Gallimard, octobre 2017 & M TrainTraduit de l’anglais (États-Unis) par Nicolas Richard, Gallimard, « Folio », février 2018.

Couverture : Philip Montgomery for The NY Times.

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