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Alina Reyes, la passion des roses

Depuis son retentissant Boucher, publié aux éditions du Seuil en 1988, Alina Reyes a fait du chemin, et vingt-trois romans, que l'on classe dans le rayon érotique. Je l'ai rencontrée au Salon du Livre de 2008, et nous avons réalisé ensemble un entretien. Alina Reyes est devenue depuis une amie, dont le charme et l'intelligence n'ont jamais été démentis depuis. Lorsqu'elle m'a envoyé son dernier récit, je ne pouvais que le chroniquer pour le Magazine des Livres. On reconnaîtra là, une fois de plus, la marque bien française, des étiquettes si mal collées... Voici ma recension désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

le-carnet-de-rrose-tea-9782221121337_0.jpegSoixante-neuf pétales, et autant de courtes intronisations dans la rrose du narrateur. Qui parle ? Qui se dévoile donc ainsi avec une pudeur enfin déculpabilisée ? Les silhouettes de nombreux hommes défilent, les pénis en érection ne débandent jamais. La narratrice, avide et aimante, ne néglige aucun d’eux. Elle n’est pourtant pas la Catherine Millet de La vie sexuelle de Catherine M. Il ne faudrait pas s’y tromper ! « Quand je dis « il », je ne parle pas toujours du même homme, ou bien je parle de plusieurs hommes. Je n’en ai pas eu des dizaines, mais tout de même assez pour savoir. »

La narratrice est une femme qui a une grande passion dans sa vie : l’amour. « J’ai aimé, j’aime et j’aimerai. » Aimer et être aimée. Mais contrairement aux contes de fée, pour Alina Reyes, l’amour ne pourrait être seulement platonique. Bien au contraire. L’amour passe par la rencontre des corps. On ne connaît jamais autant un partenaire qu’après qu’il vous ait fait l’amour, et qu’après lui avoir fait l’amour.

L’amour est un plaisir et n’est que plaisir quand il est partagé et surtout... décomplexé. « J’ai saigné, j’ai eu mal, il a joui. J’ai été terriblement heureuse, mais il n’y a pas de mots pour dire cette joie, celle de la nouvelle liberté. » La narratrice aime ça. C’est indéniable ! Elle aime baiser. Elle suce sans compter. Invente des jeux érotiques et magnifiques avec ses partenaires. Se donne quand elle le désire. Sa rrose ne se cache pas. Elle s’offre au regard. Jouir est la passion de sa vie. Désirer et jouir. Voilà bien les deux socles de l’amour :

« L’amour sans désir est la plus grande insulte, un viol négatif. »


Quoi de plus juste ?

Rrose qui un jour se détourne d’un homme pour en trouver un autre ; rrose de laquelle sortent parfois des enfants. La rrose donne à la fois la vie et la mort. Elle est plus forte que la raison. Cette raison tyrannique et d’une si grande tristesse en comparaison de la passion ! La rrose donne raison à la passion, car elle maintient la narratrice en vie. Une vie exaltante, évidemment ! « Je jouissais aussi de toutes les démultiplications de nos moi qui se déployaient alors, et de la reconnaissance sereine de nos perversions. » Son désir de faire l’amour est parfaitement assumé. Mais plus encore : le don de son corps est un humanisme. Il n’y a pas plus beau cadeau, de plus sain partage, que celui de sa rrose avec un homme qui la désire et qu’elle désire. Contre la pensée unique qui dévalorise l’acte sexuel à un acte primaire ou bestial, jamais une seule fois, la narratrice ne se dégoûte d’aimer le sexe.

Et pourquoi se dégoûterait-elle, d’ailleurs ?

Dans un occident autrefois phallocrate à outrance, dans un occident qui a réduit la femme à un sexe sale et déshonorant pour l’homme qui voudrait s’y engouffrer, il s’agit en effet, de redonner à l’acte d’amour, aux mille plaisirs de l’acte sexuel ses vraies lettres de noblesse. Contre l'obscène qui ne sait enseigner autre chose que la haine de la différence et l’amour de la souffrance (surtout celle d’autrui), il s’agit enfin aujourd’hui, de se dresser contre ces fausses valeurs qui entravent la liberté humaine, et son bonheur, et de réécouter les demandes de son corps.

Alina Reyes ne chante pas la débauche sexuelle. Ce serait mal connaître sa vision du corps et de l’amour. Ce serait mal la lire que de croire qu’elle se dégoûte de se voir coucher comme cela, avec les hommes qu’elle désire. Alina Reyes sait que l’amour et l’acte d’amour sont deux choses bien distinctes. Et pourtant noués.

Que l’on peut se livrer à un homme pour une seule nuit, de façon libérée et décomplexée.

Alina Reyes se dresse contre cette excision symbolique portée en occident contre toutes les femmes, auxquelles l’on a enseigné, que donner son corps au premier venu, était la pire des ignominies, que se donner du plaisir sexuel était bas et déshonorant.

Afin de savoir faire l’amour à l’autre, il faut commencer par savoir se faire bien l’amour. Mais plus encore, pour se libérer, et devenir enfin créateur, il faut savoir faire fi des codes rampants en vigueur dans une société castratrice et aliénante. « Quand les femmes sauront se branler autant que les hommes, elles écriront d’aussi grands livres », écrit Alina Reyes avec une profonde justesse.

Un court récit aux portées infinies, et une prose libératrice et émancipatrice pour toutes les femmes.

Alina Reyes, une femme avec laquelle tout homme ne peut que rêver de faire l’amour...

Alina Reyes, Le carnet de Rrose, Robert Laffont, 2006.

En ouverture :
Nu couché, huile sur toile de 1917, d'Amedeo Modigliani.

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