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Pourquoi Macron a-t-il abandonné la philosophie pour prendre le pouvoir politique ?

La question peut surprendre, surtout lorsqu’on sait que les médias nous l’ont « vendu » comme un philosophe. Si l’on écoutait d’ailleurs les commentateurs (courtisans) ce n’était pas moins que Platon qui passait la porte de l’Élysée, en 2017, sous prétexte que le jeune énarque élu, avait soutenu un mémoire de D.E.A. de philosophie, et qu’il avait aidé le phénoménologue Paul Ricœur, dans le travail de son dernier ouvrage, en lui récupérant les livres qui lui manquaient à la Bibliothèque nationale. Les journalistes ont toujours été très forts pour faire de la mayonnaise avec des œufs durs ! Cet article a été écrit à quatre mains avec Emmanuel Jaffelin, philosophe, essayiste, et auteur de Célébrations du bonheur, paru chez Michel Lafon (dont j'ai eu l'occasion de parler dans ces pages.) Cet article est paru dans la revue Entreprendre. Le voici désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

La stupidité du XXIème siècle
(6ème partie)

 

Mais reprenons toutefois la question : pourquoi Macron a-t-il abandonné la philosophie pour prendre le pouvoir ?

 

Le jeune homme de moins de 40 ans, lors de sa première élection aurait donc fait le chemin inverse de Platon et Machiavel qui voulaient prendre le pouvoir et qui l’ont finalement abandonné pour faire de la philosophie. Or, parmi les philosophes, on ne compare pas Macron à Platon ou à  mais à Marc Aurèle - l’empereur stoïcien qui, lui, s’est avéré profondément philosophe et très peu attaché au pouvoir. Sauf, que Macron, en se présentant à sa propre succession prouve, -et c’est le moins que l’on puisse dire - c’est qu’il n’est pas du tout un philosophe stoïcien au sens où on l’entendait à l’époque de Marc Aurèle[1] ( 121 apJC- 180 ap JC).

 

Mais reprenons la question : pourquoi Macron a-t-il abandonné la philosophie pour prendre le pouvoir ?

 

Réponse : par l’impuissance de son esprit. Il ne s’agit nullement d’un reproche ou d’une accusation. Il s’agit d’une évidence pour tout lecteur et disciple de Hegel. Mais pour comprendre, revenons à un point de sa biographie : Macron a raté son entrée à l’Ecole Normale Supérieure (E.N.S) où il aurait voulu continuer ses études en se formant pour devenir professeur de philosophie. Mais suite à cet échec, Macron changea d’horizon : il prépara et réussit l’ENA, devint haut fonctionnaire, puis cadre bancaire, puis ministre et enfin président de la République. Hourrah ?

 

Certains lui envient son parcours. On pourrait dire qu’il y a de quoi ! En ayant organisé un premier « hold-up » électoral en 2017 - créant un électrochoc dans la classe politique - il a brillamment renouvelé un exploit - nonobstant ce qu’en dit le leader de l’extrême gauche Mélenchon- en emportant l’élection avec un nombre de suffrages tout à fait honorable. Il y a aussi de quoi envier son parcours, car ce petit bourgeois de province, pas tout à fait un « insider[2] », a écrit son histoire politique, en plusieurs chapitres, inscrivant durablement sa marque dans le marbre de la Ve République, et se retrouvant, avec Mitterrand et Chirac, un des trois présidents de la République à avoir été reconduit par le suffrage universel à un second mandat.

 

Non ! Rien de l’histoire (que l’on connait pour l’instant, puisque nous écrivons au lendemain de sa réélection) de Macron ne vient montrer qu’il aurait démérité, et, même si nous ne sommes pas « macronistes », – comme si Macron l’était ! –, ce serait faire preuve de mauvaise foi que de ne pas le reconnaître.

 

Alors, quel est le problème ?

 

Eh bien voilà : entre cet échec et sa préparation au concours de l’ENA, Macron s’est mis au service du vieux philosophe protestant Paul Ricœur, qui avait 80 ans et venait de perdre son épouse, deux phénomènes qui le conduisaient à piétiner dans l’écriture de son dernier livre intitulé La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli[3]. Macron vint alors à point pour l’aider entre 1999 et 2000, discutant avec lui et lui remettant des notes et des commentaires. Puis Macron étudia à l’IEP de Paris pour préparer l’ENA qu’il intégra en 2004. Il devint alors haut fonctionnaire (inspecteur des finances) et, en 2008, quitta la fonction publique pour entrer dans une banque (Rothschild, où il finira associé-Gérant). Puis il se mit au service de François Hollande pour l’élection présidentielle de 2012. Hollande, élu président, le nomma Secrétaire Général adjoint de son Cabinet. Ensuite, Macron devint en 2014 ministre de l’Économie, puis il fonda en 2016 son parti politique nommé « En Marche » (référence à la dernière tirade du dialogue de Platon intitulé Ménon, et faisant références aux initiales de son nom, de quoi mêler la philosophie à une forme de culte de la personnalité). Il devint alors président de la République en 2017, puis il fut réélu en 2022. Vive la politique ! Et la philosophie, qu’est-elle devenue dans sa vie ?

 

Disons-le simplement : la philosophie fut oubliée, réduite au néant. Ce n’est pas qu’il y ait un conflit entre la politique et la philosophie ! Paul Ricœur définissait la politique comme une tension entre raison et violence. Ainsi, le problème patent qu’illustra Macron, et qu’il ne cesse d’illustrer d’ailleurs, c’est qu’en abandonnant la philosophie au bénéfice de la politique, il fit un gain social, c’est indéniable ! mais il réalisa surtout, également et d’abord, une perte de spiritualité !

 

Voyons cela :

 

Le philosophe allemand du dix-neuvième siècle, Hegel, admirateur de Napoléon à ses débuts, pourrait expliquer[4] qu’en préférant l’ENA à l’ENS, Macron régressa énormément. Hegel est un philosophe idéaliste qui considère que la réalité est un esprit qui se décompose en trois formes : l’esprit subjectif, l’esprit objectif et l’esprit absolu. L’esprit subjectif concerne l’âme qui mérite d’être étudiée par l’anthropologie et la psychologie. L’esprit objectif concerne une forme de vie rationnelle : la liberté. Quant à l’esprit absolu, il concerne le tout qui est esprit » et qui s’exprime sous la forme de l’art, de la religion et de … la philosophie, forme la plus élevée de l’esprit.

 

Or qu’en est-il du premier quinquennat de Macron ? La révolte des « Gilets jaunes » entre 2018 et 2020, avec son cortège de mains et d’yeux arrachés, ses petites phrases assassines comme « Jojo le gilet jaune », ou ces marques de mépris signées Macron comme « traverser la rue », « les gens qui ne sont rien », « j’ai envie de les emmerder », l’enfermement, les masques, les injonctions contradictoires, son persistant refus d’affronter l’adversaire et de défendre son quinquennat pendant la campagne présidentielle, le bilan est morose pour celui qui se voulait « jupitérien » en début de mandat, et « maître des horloges ». De révolutionnaire, il est devenu versaillais avant le Covid, empêtré dans ses petites phrases, son mépris pour les classes moyennes, l’« affaire Benalla », etc. Le philosophe-roi, que l’on pensait tout droit sorti de la République de Platon, a non seulement trahi l’esprit objectif qu’indiquerait Hegel, mais aussi l’esprit social du socialisme dont il se revendiquait sous l’ère Hollande, et dont il fut le ministre de l’Économie. Le « putain » lâché avec des Youtubers, la galipette dans les jardins de l’Élysée, le destructeur des régimes des retraites, l’esprit startupper qui « traverse la rue et [...] vous trouve du travail », qui en a marre de mettre « du pognon de dingue dans les minima sociaux » et qui peste contre les « Gaulois réfractaires au changement », s’est prétendument remis en cause, après un quinquennat apocalyptique, alors qu’il n’en est « rien » ( voire le « Néant »).

 

Le Macron décolonialiste, woke, cancel culture & co, par ailleurs contre-révolutionnaire, coupable d’un endettement du pays à hauteur de 600 milliards d’euros, notamment avec le « Quoi qu’il (vous) en coûte ! », est responsable d’un bilan comptable en déséquilibre, de la faillite, d’un climat social explosif, d’une France qui n’a toujours pas retrouvé son P.I.B. de 2019, – loin s’en faut ! – et  qui se retrouve frappée de plein fouet par les inflations dues à la période post-Covid, ainsi que la guerre en Ukraine ; dit autrement,  ce père du « en même temps », qui a certainement accéléré de démoraliser les Français, est probablement le président qui est plus proche d’une enfant-roi couronné que du philosophe-roi conçu par Platon.

 

Certes, si depuis les années 80, le système politique s’est en grande partie grippé, – les dirigeants politiques ayant surtout servi leurs propres intérêts et ceux de leur parti (rappelons-nous les costumes de François Fillon, « l’affaire Bygmalion » entre autres), et que nous ne sommes évidemment plus sous la IIIe République, qui prétendait donner naissance à des citoyens libres et éclairés, à aucun moment cependant, Macron n’a montré la moindre « sagesse », le moindre souci de rééquilibrer les forces entre forts et faibles, riches et pauvres, « ceux qui ont réussi » et « ceux qui ne sont rien ». L’endettement abyssal, l’explosion de la violence aux personnes, l’effondrement de l’école et la difficulté des hôpitaux, la percée spectaculaire du Rassemblement national au second tour, et cette très grande partie de Français, – celle de la France périphérique, des perdants de la « mondialisation heureuse », celle des petits employés, cette France « bac pro » –  tous ces phénomènes qui se manifestent par un vote contestataire et désespéré indiquent que le quinquennat Macron fut précisément le contraire de l’esprit absolu. Tandis que les 5 millions de cadres ont voté à 77% Macron, ainsi que les 3,4 millions de retraités gagnant plus de 3680 euros par mois (selon la DRESS en 2017), la France d’en bas, dite « France patriote » (ou « France moisie » par le politiquement correct) a porté au second tour une Marine Le Pen, considérée comme dangereusement d’« extrême droite », avec un courage et une témérité qui ne déshonorent pas, puisque ça s’est passé sous les crachats et les quolibets de l’intelligentsia et de la presse de gauche et macroniste, ainsi que sous celle du fameux « cordon sanitaire ». Marine ayant réalisé un score historique, avec ses 41,4 % de suffrages exprimées, donc ses 13 288 686 votants, contre 58,6 % suffrages exprimés en faveur de Macron, donc 18 768 639 votants. Elle a aussi montré, n’en déplaise aux bien-pensants, que le « foutriquet de la République »[5] n’a certainement pas fait gagner notre pays, ni en sagesse, ni en équilibre, et encore moins en liberté.

 

Conclusion (provisoire) : Macron a aboli l’ENA[6] ! Hegel, lui, s’occupa de IENA[7], une ville allemande, qu’il propulsa comme une puissance au rayonnement spirituel et universitaire. En fermant l’ENA, Macron prouvait ou illustrait la théorie hégélienne de l’Idée puisqu’il signalait que l’ENA n’était pas à la hauteur de ses exigences intellectuelles et spirituelles. Ainsi, «  qui peut le plus peut le moins[8] » et en désirant être philosophe, mais en abandonnant ce projet, Macron se retrouva condamné à réussir à un niveau inférieur : celui de l’esprit objectif. Exit l’esprit Absolu ! Or, si la vie politique est morte, ce n’est hélas pas parce que la philosophie aurait réussi à faire primer l’esprit absolu sur l’esprit objectif dans la France de ce début du XXIe siècle ; c’est parce que l’économie, soit le cœur de l’esprit objectif, l’a emporté sur l’esprit Absolu ! Pour le dire autrement, si l’Esprit Absolu se divise chez Hegel en trois activités – l’Art, la Religion et la Philosophie, il va de soi que le monde du travail et de l’argent l’emporte sur celui de l’art et de la Religion, et donc a fortiori, sur la philosophie comme manifestation suprême de la raison. Business is business : un impératif socio-politique dont l’essence est économique règne depuis Hegel et de pire en pire dans nos sociétés.

 

En couverture : Emmanuel Macron au Club France de Tokyo au lendemain de la cérémonie des derniers Jeux d'été. (A. Mounic/L'Équipe)

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[1]- Auteur des célèbres et sublimes Pensées pour moi-même.

[2]- Autrement dit un homme du sérail politique.

[3] Éditions du Seuil, 2000.

[4]- S’il était vivant, mais Hegel mourut en 1831.

[5]- Expression attribuée sous la Troisième République à Adolphe Thiers

[6]-Macron, en tant que président de la République et ancien élève de l’ENA, abolit cette école en avril 2021 et la remplace par une nouvelle école, la fameuse ou fumeuse ISP (Institut du Service Public).

[7]- Iéna est une grande ville allemande de la Thuringe qui est industrielle et universitaire et surtout hégélienne !

[8]- Expression populaire- Aux éditions du Seuil  inspirée d’une formule d’Aristote.

Commentaires

  • Merci pour ce rappel. Il ne faut jamais se lasser de dénoncer les imposteurs. Ils sont partout et, comme l'époque les valorise (en privilégiant l'habileté manœuvrière sur la compétence, le conformisme servile sur l'indépendance d'esprit), ils occupent souvent les positions les plus en vue.

  • Eh oui, pauvre France !
    Tout est dit. Sauf que la vérité sera écrite par les vainqueurs.
    Heureusement il y a internet libre.
    Avec une longue mémoire. Et si le peuple réussira à renverser la vapeur ?
    Moi j'écris de Roumanie, ou la situation est bien pire, mais personne ne moufte.
    C'est dire pour un peuple issu directement des Romains.
    Alors faut pas désespérer, avant c'était pire et l'avenir sera fait des luttes.

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