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Entretien avec le Général Dominique Delort. Quid de la guerre demain ?

Depuis le 24 février dernier, la guerre est aux portes de l’Europe. Si officiellement, cette guerre concerne directement la Russie et l’Ukraine, officieusement, nous savons qu’elle implique un plus grand nombre de pays, notamment par le biais de l’OTAN. Quid donc de la guerre demain en Europe ? La Chine se fait de plus en plus autoritaire et menaçante, et on sait que la détente entre Xi Jinping et Joe Biden, n’est pas encore tout à fait actée, même si les deux Empires cherchent des compromis, notamment autour de Taïwan. Or, le président de la République populaire de Chine a déclaré récemment, lors d’un discours à Pékin, que son pays ne « renoncera jamais à l’usage de la force » pour réunifier Taïwan. Le Général Dominique Delort vient de faire paraître un roman qui est une fiction-politique, ou presque fiction, annonçant la guerre pour bientôt, intitulé 2030. Le retour de la guerre ! (Le Sémaphore, 2022). Il m’a paru utile de lui poser quelques questions pour le site du mensuel Entreprendre. L'entretien choc désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

2030-la-guerre-de-retour.jpegMarc Alpozzo : Mon général, merci de répondre à quelques questions, sur votre roman qui vient de paraître aux éditions Le Sémaphore, et que vous avez intitulé : 2030. La guerre est de retour ! Vous mesurez, j’imagine, la violence de ce titre, que vous avez soigneusement choisi, surtout à une époque, et dans une partie du monde, qui n’a plus connu de guerre depuis plus de 70 ans, et qui n’est plus préparé à cela. Alors, pourquoi ce choix ? Est-il une vision romancée de notre avenir, ou bien faites-vous une sorte de prédiction, je dirais un peu funeste, de ce qui nous attend ?

Dominique Delort : Lorsque j’ai écrit l’essentiel de ce livre le titre était «2030, la guerre en Europe » puis survint l’attaque russe en Ukraine. La guerre était là à nouveau et avec un très haut niveau de violence. Pourtant depuis la chute du mur de Berlin en 1989 l’Europe n’était pas si paisible. La décennie suivante les Balkans étaient en feu. La Yougoslavie explosait et l’ONU se révélant incapable de réguler les affrontements, l’OTAN dut intervenir en 1995. En 1999, les forces de l’OTAN, les USA largement en tête, menèrent une très intense campagne aérienne, sans résolution de l’ONU, contre la Serbie pour en détacher le Kossovo… Vingt ans ont passé dans le monde et les équilibres ne sont plus les mêmes, de nouvelles puissances ont apparu, d’autres ont retrouvé des appétits. L’unique super puissance a mené les campagnes que l’on sait en Irak et terminé lamentablement celle de l’Afghanistan en 2021. Dans ma fiction politique et militaire je ne cherche pas à prédire, exercice généralement vain, mais plutôt à proposer une des rares options viables pour les Européens soumis à des menaces multiples y compris nucléaires. Devant un avenir sombre je propose un espoir, maintenir une autonomie politique et stratégique si on fait preuve de résilience et d’espérance.

 M. A. : Vous avez été un pilier du Groupe de réflexion, époque G2S, et cette fiction politico-militaire, qui projette votre lecteur en 2030, donc pas si loin de nous, présente un monde bien différent du monde actuel, puisque la planète fait face à plusieurs crises graves simultanées, au Sahel, dans le Pacifique au large de la Nouvelle Calédonie et en Mer Égée. Ces crises sont gérées par une Europe qui vient d’accéder à l’unité politique fédérale, ce qui n’est pas en soi impossible, puisque la guerre en Ukraine nous a montré que les pays européens étaient capables de s’unir dans une période d’urgence et de menace directe sur le continent européen. Or, dans votre roman vous voyez la Russie très affaiblie par la guerre en Ukraine. On ne doit se mentir, Poutine ne fait plus la guerre contre les Ukrainiens, qui demeurent des soldats très courageux et volontaires dans cette guerre, mais contre l’OTAN. Est-ce que vous voyez Poutine perdre cette guerre, et quitter le pouvoir à terme ? Qui peut raisonnablement remplacer Poutine à la tête de la Fédération de Russie ? Est-ce qu’il n’y a pas à craindre un pouvoir encore plus nationaliste et agressif après son départ ?

D. D. : Vladimir Poutine a débuté une opération spéciale qu’il pensait « courte et joyeuse », ce ne fut pas le cas. Les Ukrainiens se sont battus avec ce qu’ils avaient puis, avec tout ce qui fut apporté par les Américains, d’abord, les Britanniques et dans une moindre mesure par les Européens. Le chef du Kremlin se retrouve dans une guerre contre l’occident, certes limitée dans l’espace. La situation, depuis deux mois, montre les Russes très sérieusement mis en échec. Pour les Américains la Russie n’était déjà plus la menace principale depuis quelques années et la démonstration actuelle en Ukraine ne peut que les conforter dans cette idée. La Russie va sortir de l’épreuve marquée, même si elle obtient, in fine, une forme du gel du conflit sur des bases proches de celles de février 2022. Poutine ne sera plus là en 2030, aucun régime personnel ne tient durablement après un échec d’envergure. La montée aux extrêmes ne peut pas être exclue mais enfin, je ne veux pas y croire. La Russie reste encore une grande puissance mais n’a plus les moyens de jouer un rôle de super puissance, son temps est définitivement passé. Les successeurs de Poutine auront un gros effort à faire pour ne pas être totalement décroché du groupe de tête.

M. A. : Ce qui m’a également marqué dans votre roman, c’est qu’à l’horizon 2030, vous voyez la Chine bien consciente de sa puissance, orgueilleuse, sûre d’elle-même, dominatrice, et un OTAN, devenu, après la victoire contre la Russie, une coquille vide. On sait que la Chine a décidé de réintégrer Taïwan avant 2045, or, les États-Unis sont censés défendre l’île contre n’importe quelle menace. Est-ce que selon vous, ce retour de la guerre sera dû, à la Chine, et est-ce que l’on court un risque réel de Troisième guerre mondiale ?

D. D. : Assez curieusement ce sont les Occidentaux qui ont fait la courte échelle à cette puissance millénaire en croyant l’utiliser comme usine du monde au meilleur marché possible. C’était mal connaitre les Chinois qui ont progressé en tout et formé des centaines de milliers d’ingénieurs et de chercheurs. Sécurité, développement à outrance sans égards pour des libertés individuelles, qui ne sont pas enracinées dans leur culture. Oui, effectivement, je vois la Chine devenir le plus grand protagoniste de l’histoire en passant par le stade de contestation de l’emprise américaine. Elle se veut et se voit comme la super puissance capable de réguler la marche du monde comme ont pu le faire les USA depuis 1945. Je dois mon sentiment à plus de douze années de voyages dans le monde comme consultant gestion de crise d’un très grand groupe international. J’ai vu la Chine accélérer depuis 2005, à une cadence unique, avalant les technologies et apportant un grand soin à la formation des cadres, sans oublier un seul instant le volet militaire. Oui, le risque d’une troisième guerre mondiale augmente, la Chine voulant étendre ses routes de la soie et son pouvoir d’influence en Asie, en Afrique, en Europe… Quant à Taiwan, j’ai un peu de peine à imaginer l’armée américaine entrant directement en conflit avec la Chine pour soutenir un pays que les USA ne reconnaisse même pas. Nous non plus, d’ailleurs… Les forces chinoises n’envahiront peut-être pas l’île elle-même, mais j’imagine plus facilement un blocus de plus en plus hermétique. Taiwan avalée au nom « d’une Chine et pour un temps deux régimes ». On a vu ce que cela donnait pour Hong Kong. Xi Jinping ne cache plus ses ambitions de retour complet de la « province », même si le calendrier et les modalités ne sont pas exposées. La chute de Taiwan serait, pour moi, l’ultime avertissement au monde entier et évidemment aux Européens, s’ils sont encore divisés.

M. A. : Dans votre roman, vous imaginez la nouvelle forme et les nouvelles règles qui régissent le fonctionnement de l’organisation politico-militaire des États-Unis d’Europe. Or, c’est précisément le sujet de votre récit de politique-fiction. En quelques mots, pouvez-vous nous présenter ce nouvel ordre politico-militaire, et comment en déduisez-vous ceci ?

D. D. : Pendant mes trente-huit années sous l’uniforme j’ai cru au destin de la France, ma patrie. J’ai dû évoluer, sans rien renier. Contrairement à beaucoup je pense que la défense européenne pour assurer l’autonomie stratégique ne peut pas déboucher, en dépit de dizaines d’années de réflexion. Le problème est mal posé. Si l’Union européenne a pu se faire dans d’assez bonnes conditions avec une régulation progressive des échanges etc. une armée européenne n’est concevable que si les Européens ont d’abord généré une Autorité politique capable d’un commandement unique et de prendre en compte tous les aspects défense et affaires étrangères avec les budgets afférents. Ce préalable, que je sais difficile à obtenir, ne peut être franchi que par quelques états européens conscients de l’enjeu. Se mettre d’accord à 27 me semble illusoire, à quatre envisageable. J’ai retenu, outre la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne dans leur conscience des menaces et la volonté de générer un ensemble qui ne serait pas à la remorque des USA, notamment dans la perspective d’une confrontation avec la Chine. Je crains en effet que la fédération soit une des très rares options qui nous évitent la soumission à une des deux super puissances. Définir un ensemble avec une seule autorité politique assurerait aux Européens une maitrise de leur destin au milieu de menaces économiques, migratoires, démographiques, sécuritaires. Connaissant les faiblesses des coalitions militaires je crois par contre en la capacité opérationnelle d’un haut commandement européen recevant des ordres d’une seule autorité politique. L’harmonisation des forces européennes se faisant progressivement. Dans le livre, la description du centre opérationnel européen est éclairante sur le soin apporté à la relation politico-militaire et aux prises de décision sous très forte contrainte.

M. A. : Revenons au cas chinois qui est probablement le plus inquiétant actuellement. On voit bien que la Chine est arrogante et conquérante, vous le montrez dans votre roman, et c’est à peine de la fiction. Mais vous semblez aussi dire qu’avec la nouvelle organisation des États-Unis d’Europe, la Chine risque fort de voir un « compétiteur » en mesure de lui tenir tête, grâce à une Autorité fédérale et une bonne défense européenne. Ne pensez-vous pas que c’est un vœu pieux, surtout lorsqu’on constate à la fois le déclin actuel de l’Europe, sa gestion calamiteuse des flux migratoires de plus en plus importants, sa vassalité aux États-Unis, l’état de son armée européenne, l’état même de l’armée française qui n’a pas assez de munitions, ni de matériel pour assurer une guerre de longue durée ?

D. D. : Oui, ma fiction est un vœu pieux mais dont la réalisation n’est pas impossible. La situation que vous décrivez je peux y souscrire, et c’est aussi une des raisons de mon roman. Dire que tout va mal sans rien proposer ? J’envoie un message aux générations en charge, politiques, chefs d’entreprise, dirigeants, chefs militaires. Avoir une ambition et ne pas subir. Une ambition, c’est de continuer une route pour nos vieux peuples en conservant la possibilité de la choisir librement. Ne pas subir, refuser de s’arrêter devant l’obstacle, de céder devant les dictats. Développer très rapidement ces échanges politiques, diplomatiques et militaires dans un format réduit de puissances moyennes, les autres plus petites suivront ou se débrouilleront avec les très grandes… On m’objectera aussitôt l’OTAN ! En mort cérébrale hier, panacée aujourd’hui ? Mais quid dans les années à venir ? Les USA connaissent des problèmes internes majeurs, déclinent même, et toutes leurs capacités vont aller à leur Ouest, voulons-nous les suivre ? Si oui, fin de notre autonomie politique et stratégique, sinon les moyens américains se réorienteront naturellement hors de l’Europe, la Russie ne faisant plus peser de menace importante.

M. A. : Dernière question, on a vu des Russes par centaines de milliers déserter la mobilisation générale. Si l’Europe devait faire face à une guerre, est-ce que vous ne pensez pas que ce scénario se reproduirait chez nous ? Et, finalement, est-ce que ce ne serait pas plus simple, pour les États-majors, de faire la guerre avec des drones, des armes non-conventionnelles, et peut-être même des I. A. (Intelligence Artificielle), si les progrès technologiques nous le permettent, voire peut-être des armes bactériologiques ?

D. D. : Dans « 2030 », les soldats, marins et aviateurs européens défendent des terres européennes et des intérêts jugés majeurs en termes de puissance. C’est toujours plus facile de défendre son territoire mais encore faut-il de l’entraînement, des équipements, et une perspective. Dans un récent sondage une forte majorité de Français s’est dite patriote alors je ne désespère pas pour les Européens. Oui, la guerre moderne se fera avec de plus en plus de drones de combat mais les hommes sont à la fois l’enjeu et les marqueurs sur les théâtres d’opérations. Les drones sont des moyens à développer mais ils ne remplaceront pas l’homme. Se posent naturellement des questions délicates concernant la protection des sites les plus sensibles et les armes anti-drones. Des développements en perspective. « 2030 », outre le volet politique, illustre l’importance des hommes dans le combat, le commandement, la décision.

Avec de l’espérance et de la volonté un rebond de l’Europe n’est pas illusoire. « Européen, ton destin t’appartient si tu oses le choisir ». Entreprendre !

 

Cet entretien est paru dans le site du mensuel Entreprendre sous le titre :Interview du Général Dominique Delort : « Allons-nous vers une nouvelle guerre mondiale ? »

 

En couverture : le Général Dominique Delort au Rwanda. 

Commentaires

  • Merci pour cette interview pour réveiller nos huiles de leur quotidien de basse cour!
    Cela fait un bon moment que nous en discutons dans les instituts de géopolitique. Il n'y a rien de nouveau, tout cela était prévisible, le populisme du quotidien nous noie dans des conflits sans intérêts au lieu d'élever nos visions, définir des axes stratégiques pour faire face ensemble avec une Europe forte...
    L'économie de marché a prévalu sur la culture stratégique civilisationnelle... Nous nous sommes laissés berner par la Chine, nous avons extraterritorialisé jusqu'à certaines activités stratégiques.
    C'est pitoyable de voir la décomposition de l'Europe s'opérer alors qu'on connait pertinemment bien les acteurs de la disloquation de nos unions depuis 30 ans... Toute notre doctrine de science-po démontre les accointances des soft power Russes et Turcs en Bulgarine, au Kosovo, en Bosnie, en Serbie... On laisse faire... De même en Hongrie, en Pologne... Comment n'avons nous pas su réunir dans une vision commune l'Europe?
    De Villepin avait également énoncé tout cela dans l'émission "Ce soir ou jamais" de Tadeï en 2013 si j'ai bonne mémoire.
    A nous de faire les bons choix, à nous d'entreprendre comme le fort bien le Général Dominique Delort!.

  • Faut jamais se mêler des guerres civiles !

  • Depuis le 2014, la guerre est aux portes de l’Europe (guerre civile en Ukraine, dans le Donbass.

  • Il faut savoir faire la part des choses du blablabla de Xi Jiping. La Chine a toujours eu une grande bouche... Mais finalement, ils ne veulent pas entrer eux-mêmes en guerre. C'est de la posture. Quand on les fréquente un peu, que ce soit dans la vie de tous les jours ou le business, c'est toujours le même principe : la face. Il suffit de faire la sourde oreille, et de faire ce que l'on doit faire. Ils n'en ont que plus de respect.

  • On a laissé faire sans se méfier des chinois. Ce sont eux qu'il faut redouter. Les USA, eux le savent depuis longtemps. Tout a été planifié.
    On a conçu une Europe de technocrates élargie sans harmonie politique. Nous avons perdu notre Souveraineté et à force d'années à voter un budget de la Defense dérisoire dans la loi de finance nous avons appauvri l'armée et notre industrie nécessaire.
    L'Europe actuelle n'est que foutaise. Les peuples en sont conscients.
    Dommage que des De Gaulle ne courrent pas les rues. Ça pourrait ruer dans les brancards et il fermerait le bec à la poignée d'incapables qui nous mène par le bout du nez.
    Heureusement, nous ne sommes pas dupes juste temoins de la destruction de tout ce dont nos aînés ont combattu et réalisé. GACHIS.

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