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Entretien avec Rémi Karnauch

Rémi Karnauch vient de la littérature S.F. Auteur d'un roman dont un des personnages n'est autre que Lovecraft, il revient avec un roman hallucinant paru chez H&O, prenant pour thème un vieil homme malade des neurones de la tête, réfugié dans un escalier de service. De Lovecraft à Beckett, ce roman montre une plume affûtée et ironique. J'ai rencontré cet auteur, pour le moins étrange, au Wepler, à Paris, dans le vingtième arrondissement, pour le Grand Genève Magazine. Voici désormais cet entretien accessible dans l'Ouvroir.

 

Marc Alpozzo : Votre roman s’appelle Honoré Laragne, et c’est le nom du narrateur. Dites-nous qui est cet étrange personnage ?

  

Rémi Karnauch : Honoré Laragne s’est longtemps cru immortel. Ce monsieur est tombé de haut. Il croyait se distraire avec des maladies, il est tombé malade. Il voudrait se perdre tout en se délestant de ce qui l’empêchait de vivre. Trop tard. Il va vers le pays de l’Aragne. Il s’épanche, il se penche. Il n’aime personne. Il aime tellement celle qu’il a aimée. Il est romantique comme un jeune page chantant la romance sous les fenêtres de la belle. Il a vécu des tas de vies. Il vous les raconterait bien, il aime se raconter, se mettre en scène. Il est un peu voyou, et s’amuse à l’idée de toutes les vilenies qu’il pourrait accomplir. Il va rire jusqu’au bout. Il se boyaute. (On pourrait aussi répondre plus simplement que Laragne est un Vieux, mais comme E. T. serait une peluche. Il veut lui aussi rentrer chez lui, sauf qu’il ne sait pas où est chez lui. Il se verrait bien mort-vivant, je suis sûr qu’il aimerait bien ça, il mangerait les gens et d’ailleurs il manque de se faire manger par M. Golatchick, cousin très très lointain du Golem...)

 

 

M.A. : Alors d’où vous est venue cette idée de nous raconter les frasques et péripéties d’un personnage inactuel, accompagné en permanence par, on dira, deux « domestiques » Briffault et Valadin, et dont la santé mentale se détériore à longueur de page, se voyant ainsi contraint et acculer à consulter. Est-ce une métaphore pour dénoncer un siècle malade, le nôtre ?

 

 

R.K. : Un immortel hypocondriaque au début, qui se suicide en vain, et saute d’incarnation en incarnation. A la fin il retombe dans les chaussures du roman final... J’ai mis longtemps à comprendre et à accepter la maladie de Laragne. Il est depuis toujours dans le déni, celui de l’immortalité de nos premières années, un déni plutôt joyeux, celui de l’immortalité de notre éternité à venir, plus pesant, mais comment faire autrement ? Jeune, je ne comprenais pas pourquoi les hommes ne passaient pas leur temps à crier leur épouvante. Mais, au fond, ne fait-on pas tout le temps cela ? Nous hurlons tout le temps, nous nous agitons de façon tellement incohérente. Il est vrai que cela ne se voit pas chez tout le monde. Les vies semblent mornes, le temps est lourd, la vie est brève, nous sommes entourés de gardes-malades, des marqueurs, des poteaux indicateurs entre lesquels nous nous faufilons. Briffault et Valadin gardent Laragne. Ils le bordent, des gardes suisses avec leurs jouets, leurs piques, des figurines à peine réelles, et Honoré avec eux retombe en enfance. Il a acheté leur amitié. Ils représentent, si jamais ils représentent quelque chose, la virtualité où nous plongeons souvent. J’ai maintenant 310 amis, vous vous rendez compte, je ne pourrais les faire tenir dans mon salon... Briffault et Valadin sont par ailleurs des clowns, des vieux clowns qui font des farces, des attrapes, des arnaques aussi, tout en gardant leur impérissable sérieux.

 

M.A. : L’humour n’est pas en reste chez vous. Vous avez écrit un roman sur Lovecraft, celui-ci pourrait être rapproché sans mal de l’univers de Céline, une sorte d’antihumanisme moderne dans lequel tout se détraque. Vous venez de la SF, n’est-ce pas ? Est-ce que votre roman est une sorte de roman d’anticipation, ou plutôt un roman classique nourri de l’esprit de sérieux qui nous annonce une sorte de fin des temps à venir, due à une profonde amnésie collective ?

 

laragne.jpgR.K. : Oui, je viens de la SF, j’ai publié mon premier texte dans une anthologie dirigée par le grand écrivain de SF, Jean-Pierre Andrevon (qui est lui-même un grand touche-à-tout). La SF me semblait découler de la poésie via le fantastique : une image qui se décline. Lovecraft fut mon ennemi intime, mon frère paradoxal, l’angoissé dont je me sentais proche. Il y avait chez lui un refus de la vie auquel je suis encore sensible. Je lui accorde, à l’inverse de Céline, que j’admire énormément (adverbe bien célinien), toutes les excuses. Céline aurait voulu ma mort, et est un grand écrivain, faisons avec ?... Oui, mon roman Honoré Laragne, à l’origine une idée SF, se voulait, dans son traitement, classique, un classicisme qui se détraque peu à peu. Notre amnésie collective ?... nous fonçons tous vers le néant... nous n’avons pas non plus la mémoire de notre avant-vie... Lovecraft semblait la posséder : avant c’était horrible, pendant c’est horrible, après, ce sera encore pire... Lovecraft est l’écrivain qui a peur, c’est pourquoi il est l’un des rares qui puisse nous faire peur. Lovecraft écrivait mal, il employait des gros adjectifs, en cela il peut quand même nous décontracter.

 

M.A. : Alors, je reviens sur l’amnésie, car votre personnage perd la mémoire, n’est-ce pas. On a parfois le sentiment, à vous lire, d’être dans un pièce de Beckett, tout semble fou autour d’Honoré Laragne, sauf Laragne lui-même, qui se retrouve carrément enfermé dans un hôpital, alors il lit plein d’encyclopédies médicales, et ainsi est très au courant de toutes les maladies du cerveau. Or, votre roman se divise en trois parties, la première et la dernière s’intitule pareil : L’immortalité, et la deuxième, la maladie. Est-ce que vous pensez que l’amnésie offre l’immortalité ? Serait-ce la meilleure manière de combattre la mort, que de tout oublier, ce qui serait paradoxal avec ce que croit le sens commun, puisqu’on mise sur le souvenir pour ne pas mourir ?

 

R.K. : Tout à fait. Il se survit en s’oubliant, il s’évase... en même temps, il délaisse le symptôme de sa vie révolue, il s’involue. Beckett est présent, très content que vous l’ayez remarqué. Laragne est devenu très fort en médecine, il a tout lu, il va tout oublier. J’ai beaucoup lu pour me documenter. J’ai entretenu cette envie loufoque d’être savant le temps de l’écriture de mon livre. J’ai tout oublié. Je pense aussi que ces contraintes ou ces poteaux indicateurs aident à l’écriture, ce sont des pivots autour desquels l’imaginaire peut se déployer. Si je n’ai tout oublié d’Honoré Laragne, la sensation qui m’accompagnait s’éloigne... j’aimerais, bien sûr, qu’il ressuscite dans la tête de lecteurs. Là serait non son immortalité, mais son petit sursis.

 

M.A. : Quelles sont vos influences ? Pourquoi écrivez-vous ?

 

R.K. : Influences : Céline, dont a parlé plus haut, Antonin Artaud, un frère dont j’ai cru comprendre certains jours tous les mots, Baudelaire, maître rythmicien, Léo Ferré, pas que pour la coiffure (je fais aussi dans la chanson et la poésie sonore/musiquée), Lautréamont, bien sûr, Jacques Sternberg pour sa Sophie, Marguerite Duras, Gustave Meyrink, Simenon, Highsmith, Kosinski, Van Vogt, Zelazny, Sturgeon, toute cette bande de la SF américaine, Ballard, qui, je crois, était anglais, Houellebecq première manière, Echenoz première manière, Kundera première manière, Sénèque dernière manière (blague à part, il est fait allusion à Sénèque dans mon livre), Proust que j’ai « relu » et même lu, et bien sûr j’en oublie, les Russes notamment, y compris Nabokov, quelques Américains, Salinger, Carson McCullers. Pourquoi j’écris ? Puisque nous parlions de Beckett, je peux évidemment sortir sa réponse magistrale « bon qu’à ça », mais je ne suis pas sûr d’être tout le temps bon... j’écris parce que cela me distrait, me réunit, me reconstruit... je n’ai pas de grand message à délivrer au monde, je le crains...

 

M.A. : Quel sera le sujet de votre prochain roman ? Est-ce que vous êtes déjà en train de l’écrire, ou, flânez-vous après avoir écrit un livre, en attendant tranquillement l’inspiration pour le suivant ?

 

R.K. : Je touille dans mes vieux pots, c’est ce que je préfère, le travail alchimique. Je refais un roman, où j’essaie de discerner entre les rêves une réalité très humaine. Je peaufine aussi interminablement un ensemble de prose poétique et prépare une compil de mes poésies « musiquées » (vous pouvez en écouter ici : http://www.ipernity.com/doc/122709/docs ). Ensuite il faudra se relancer vers du « nouveau nouveau ».

 

À propos de Rémi Karnauch, Honoré Laragne, éd. H&O, 2016

Commentaires

  • Bonjour et merci beaucoup pour cet entretien. J'aime beaucoup cet auteur et son livre Honoré Laragne est extraordinaire. C'est très intéressant d'en apprendre plus sur l'auteur, son inénarrable personnage et les petits détails de son "alchimie"... mais dommage qu'il y ait une coquille sur son nom dans les tags, Kernauch au lieu de Karnauch... merci encore pour cette publication !

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