Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Entretien avec Roland Jaccard. L'ultime entretien

Roland Jaccard, auteur de plusieurs journaux et essais, dont La tentation nihiliste (PUF), bien connu pour son goût pour les lolitas et les jeunes asiatiques, publie son Journal du Monde d'avant, chez Serge Safran (2021), qui traite des années 83 à 88, du siècle dernier, et d'un monde ancien et aujourd'hui disparu. Je lui ai proposé un entretien pour un dossier spécial sur les journaux intimes des écrivains dans le numéro 36 de la revue Livr'arbitres, ce qu'il a aussitôt accepté.  Suite à son suicide, le 20 septembre 2021, cet entretien qu'il a eu la gentillesse de réaliser avec moi, devient par conséquent, son dernier et ultime entretien. En accès libre dans l'Ouvroir

Pour mémoire : Le ressort de Roland Jaccard (recension de son Journal du Monde d'avant)


Marc Alpozzo : Pourquoi faire paraître ce journal datant des années 80 aujourd’hui en 2021 ?

Roland Jaccard : C’est sur l’initiative de Serge Safran qui avait conservé un tapuscrit chez lui, l’original avec photos et dessins se trouvant aux Archives Littéraires Suisses, à Berne. J’avoue ne pas l’avoir relu. Il semblerait qu’on y trouve une histoire d’amour avec une romancière asiatique et l’ambiance qui régnait dans les années 80 dans un grand quotidien du soir où je travaillais alors. L’occasion rêvée pour partir à la recherche du temps perdu, un demi-siècle plus tard.

Je précise qu’aucune retouche n’a été apportée à ce journal d’un monde englouti.

M. A. : Qu’est-ce qui a changé selon vous entre ce Monde d’avant et celui d’aujourd’hui ?

R. J : L’insouciance qui régnait alors, la passion pour la littérature, le cinéma et la psychanalyse. Et surtout l’absence de ces obsessions sinistres concernant les rapports entre les hommes et les femmes, l’islam et le climat. Sans oublier l’hygiénisme délirant qui pourrit ce qui ce qui nous reste de vie....

M. A. : Au milieu de vos obsessions habituelles : paresse, suicide, spleen, lectures et cinéma, on retrouve votre goût pour les très jeunes femmes, et bien sûr, votre amitié, voire votre admiration pour Gabriel Matzneff, votre alter-ego, qui passe régulièrement dans ces pages. Pensez-vous qu’avec la « cabale » contre Matzneff en janvier 2020, nous vivions la fin de l’ère du Pygmalion ?

R. J. : Nous avons creusé notre tombe avec notre amour pour les Lolitas. Pygmalion n’est pas prêt de ressusciter !

M.A : Vous êtes l’auteur d’un grand nombre de journaux intimes, dont les parutions ont jalonné votre vie, est- ce un genre que vous appréciez chez d'autres auteurs ?

R.J. : Aucun genre littéraire ne m’aimante plus que le journal intime : celui de Julien Green est un sommet du genre et je l’ai dévoré. Dans le bureau de mon père, figuraient bien sur les journaux intimes de Marcel Jouhandeau, de Benjamin Constant et d’Amiel. J’ai vite compris que l’homme qui s’analyse, ne s’étudie pas : il se crée. Quoi de plus exaltant ? Et à quoi bon écrire, si ce n’est pas pour parler de soi ?

M.A. : Depuis quel âge tenez-vous un journal ? 

R.J. : J’ai tenu mon journal intime dès ma quinzième année. Je me cherchais et je n’ai rien trouvé… aussi ai-je déchiré des centaines de pages. Sans regrets ! Il n’est pas donné à tout le monde d’être Barbellion, l’auteur du « Journal d’un homme déçu », un pur chef d’œuvre.

 

M.A. : Pourquoi avoir commencé le premier ?

R.J. : À dix-huit ans, sur le conseil du chanoine Norbert Viatte, à l’Abbaye de Saint-Maurice où je préparais mon bac, j’ai conservé quelques aphorismes sous le titre : « Écrits Irréguliers » qu’il a eu l’indulgence de publier. Ce fut mon premier livre : irrégulier, comme le fut ma vie par la suite. À vrai dire, ceux qui suivirent, ne furent jamais que les fragments d’une grande confession et un exercice spirituel. Sans doute la seule chose dont je peux tirer une légitimité fierté dans mon existence.

 

M. A. : Si vous deviez décrire en un mot cette époque révolue de la dernière moitié du XXe siècle, ce serait lequel ?

R. J. : Le goût de la liberté.

 

Roland Jaccard, Serge Safran, gabriel matzneff

Roland Jaccard tire sa révérence
(1941-2021)

 

roland jaccard,serge safran,gabriel matzneffParu dans le n°36 de Livr'arbitres, Décembre 2021

 

 

 

 

 

 

 

 

Roland Jaccard, Le monde d'avant, Journal 1983-1988, Serge Safran Editeur, Avril 2021.

Commentaires

  • Je vais le lire j’espère avant ce soir

  • Eric Arthur Blair l’avait prédit en 1948, lorsqu’il a écrit 1984.
    Mais il était encore légèrement en avance sur notre temps. Il aura fallu entrer dans le 21ème siècle pour perdre définitivement notre liberté.
    Le monde d’avant a disparu.
    On ne nous sert que du virtuel édulcoré auquel on voudrait nous faire croire et adhérer.
    Heureusement que les écrits restent. Et je rejoins Monsieur Roland Jaccard : lisons les journaux intimes pour ne pas oublier.
    Et si la résurrection est possible, elle passera forcément par la littérature.

  • Il est toujours réjouissant de lire Roland Jaccard, merci de ce partage. RL y est vivant comme jamais.

  • J'ai lu cet entretien dans Livr'arbitres, et le regret, maintenant qu'il est parti, c'est que ce soit si bref. Mais c'était quand même bon de retrouver sa voix pendant quelques lignes.

Les commentaires sont fermés.