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Franz Kafka : la métamorphose des cloportes

Au commencement de la nouvelle La métamorphose de Franz Kaflka, le personnage principal, Gregor Samsa, habite à Prague, dans un logement de l’immeuble sis rue Charlotte. À son réveil, un matin, le voyageur de commerce Gregor se découvre en sorte de scarabée brun, de ventre convexe, de taille assez large, avec six pattes et des antennes. Si la nouvelle de Kafka explore le domaine de la science-fiction, et même de la dystopie, l'écrivain tchèque met à l’épreuve son lecteur, sur ses capacités humaines à faire de ce monde un monde meilleur. Nous avons tous entendu parler de ce voeu pieux, depuis plusieurs siècles, de faire de l'homme un homme élevé et moral. Nous rêvons tous de nous émanciper du joug de la nature, de la biologie et de ses déterminismes asservissants et cruels. L’être kafkaïen, en revanche, nous met face à nos contradictions. Le personnage de Kafka, entièrement absorbé par son devoir, et sans vrais traits psychologiques bons ou mauvais, nous prouve qu'un être révolutionnaire, ne pourra renverser le monde et le changer, sans d'abord sonder son être propre et se révolutionner lui-même. Le héros du récit a beau jouer de bonté et être respectueux de la morale, le monde qu'il habite est bien trop cynique et cruel pour que sa bonne volonté soit faite. En exclusivité dans l'Ouvroir.

La-metamorphose.jpegAu commencement de la nouvelle de Franz Kaflka, Gregor Samsa habite Prague, dans un logement de l’immeuble sis rue Charlotte. À son réveil, un matin, le commerçant Gregor se découvre en sorte de scarabée brun, de ventre convexe, de taille assez large avec six pattes et des antennes. C’est ainsi que l’écrivain tchèque le décrit :

 

« Lorsque Gregor Samsa s’éveilla un matin, au sortir de rêves agités, il se trouva dans son lit métamorphosé en un monstrueux insecte. Il reposait sur son dos qui était dur comme une cuirasse, et, en soulevant un peu la tête, il apercevait son vente bombé, brun, divisé par des arceaux rigides, au sommet duquel la couverture du lit, sur le point de dégringoler tout à fait, ne se maintenant que d’extrême justesse. D’impuissance, ses nombreuses pattes, d’une minceur pitoyable par rapport au volume du reste, papillonnèrent devant ses yeux. »

 

Pourtant, la transformation de Gregor Samsa en insecte n’est finalement pas si surnaturelle que ça pour le lecteur. Très vite, on comprend son sens allégorique. Sa métamorphose apparaît vite comme une révolte individuelle contre une certaine société, le refus de mener une existence dépourvue de sens.

 

« “ Ah, mon Dieu ”, songea-t-il, “ quel métier fatigant j'ai choisi ! Jour après jour en tournée. Les affaires vous énervent bien plus qu'au siège même de la firme, et par-dessus le marché je dois subir le tracas des déplacements, le souci des correspondances ferroviaires, les repas irréguliers et mauvais, et des contacts humains qui changent sans cesse, ne durent jamais, ne deviennent jamais cordiaux. Que le diable emporte tout cela ! ” »

 

Commence alors une vie nouvelle pour Gregor Samsa. Transformé en insecte, il a toutefois conservé sa conscience humaine. Le personnage principal semble d’ailleurs s’y habituer et cet état ne le dérange pas tant.

 

« Or Gregor était maintenant beaucoup plus calme. Certes, on ne comprenait donc plus ses paroles, bien que lui les aient trouvées passablement distinctes, plus distinctes que précédemment, peut-être parce que son oreille s'y était habituée. Mais enfin, désormais, l'on commençait à croire qu'il n'était pas tout à fait dans son état normal, et l'on était prêt à l'aider. L'assurance et la confiance avec lesquelles avaient été prises les premières dispositions lui faisaient du bien. »

 

Pourtant, cette transformation attise peu à peu les soupçons de son entourage. En effet, la métamorphose de Gregor Samsa révèle des êtres insatiables, et sa famille aura tôt fait de nier l’humanité de son propre fils. La porte le séparant de celle-ci qui s’alarme, se transforme peu à peu, en frontière infranchissable, entre un insecte qui a gardé son humanité et un entourage aliéné.

 

« En écoutant ces paroles de sa mère, Gregor se rendit compte que le manque de toute conversation humaine directe, allié à cette vie monotone au sein de sa famille, lui avait sûrement troublé l'esprit tout au long de ces deux mois ; car comment s'expliquer autrement qu'il ait pu souhaiter sérieusement de voir sa chambre vidée ? Avait-il réellement envie que cette pièce douillette, agréablement installée avec des meubles de famille, se métamorphosât en un antre où il pourrait certes évoluer à sa guise en tous sens, mais où en même temps il ne pourrait qu'oublier rapidement, totalement, son passé d'être humain ? »

 

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Illustration de la nouvelle de Kafka

 

En effet, cet insecte monstrueux n'est que douceur, bonté, gentillesse alors même que son corps, peu à peu, se transforme en se dégradant et se déformant. Désormais, dépourvu de tout égoïsme, les besoins des autres deviennent sa priorité, et la famille Samsa s’habitue à leur corps défendant, à la présence de cet être monstrueux, non par bonté, mais plutôt parce que cette famille fait preuve d’une indifférence glaciale.

 

« et quand alors sa mère, montrant la chambre de Gregor disait “ Ferme donc cette porte, Grete ”, et quand ensuite Gregor se retrouvait dans l'obscurité, tandis qu'à côté les deux femmes mêlaient leurs larmes ou, pire encore, regardaient fixement la table sans pleurer Gregor passait les nuits et les journées presque sans dormir. Quelquefois il songeait qu'à la prochaine ouverture de la porte il allait reprendre en main les affaires de la famille, tout comme naguère ; »

 

L’univers dans lequel vit maintenant Gregor est déshumanisé et déshumanisant. Sa chambre, auparavant nettoyée par sa sœur, est remplie de « traînées de crasse » s’étalant sur les murs, et de « boules de poussière et de saletés ». Grete abandonne de plus en plus son frère à son triste sort. Elle glisse « du bout du pied, très vite, quelque chose à manger dans la chambre de Gregor, n’importe quoi », sans vraiment vérifier si la nourriture a été consommée. Seule la nouvelle femme de ménage que la famille a embauchée, semble ressentir une certaine sympathie pour Gregor.

 

« Cette veuve âgée, qui sans doute, au cours de sa longue vie, avait dû à sa forte charpente osseuse de surmonter les plus rudes épreuves, n'avait pas vraiment de répugnance pour Gregor sans être le moins du monde curieuse, elle avait un jour ouvert par hasard la porte de sa chambre et, à la vue de Gregor tout surpris, qui s'était mis à courir en tous sens bien que personne ne le poursuivît, elle était restée plantée, les mains jointes sur le ventre, l'air étonné. Dès lors, elle ne manqua jamais, matin et soir, d'entrouvrir un instant la porte et de jeter un coup d'œil sur Gregor Au début, elle l'appelait l'appelait même en lui parlant d'une façon qu'elle estimait sans doute gentille, lui disant par exemple : “ Viens un peu ici, vieux cafard ! ” ou : “ Voyez-moi ce vieux cafard ! ” Ainsi interpellé, Gregor restait de marbre et ne bougeait pas, comme si la porte n'avait pas été ouverte. Au lieu de laisser cette femme de ménage le déranger pour rien au gré de son caprice, on aurait mieux fait de lui commander de faire sa chambre tous les jours ! »

 

Mais Gregor n’a pas tout perdu de sa conscience humaine. Renié en tant que frère humain, il va à présent, disparaître en tant que scarabée. Seul dans l’obscurité, il ressent de moins en moins ses douleurs, comme son corps d’ailleurs. La douceur de Gregor est encore là : « sa famille, il s’en ressouvenait avec émotion et amour. »  

 

À écouter aussi :

Franz Kafka : La Métamorphose (1969 / France Culture)


À la mort de Gregor, cette famille d’insectes déguisés en humains peut désormais reprendre son existence librement. Ainsi, « confortablement assis et bien calés contre leurs dossiers, ils évoquèrent leurs perspectives d’avenir, et il se trouva que celles-ci, à y regarder de plus près, n’étaient pas si mauvaises, car leurs emplois à tous les trois, dont ils ne s’étaient au fond encore rien dit, étaient des plus intéressants et prometteurs, surtout à long terme. »

 

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Franz Kafka (1883-1924)

Commentaires

  • Ne pas négliger, en lui prêtant des intentions qu’il n’eut guère ici, la grande part d’humour de Kafka qui lut cette nouvelle à ses amis en s’esclaffant

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