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Philippe Djian, la vie comme une longue et cruelle errance tragique - À propos de 2030

Ça fait presque 40 ans que Djian écrit et publie. Depuis son premier livre, un recueil de nouvelles, paru en 1981, il enchaîne les livres, qui sont un exercice de style pour exprimer la fatalité de toute vie, et l’espoir qui peut, à tout moment naître dans des moments qu’on pouvait croire désespérés. Son roman 2030, paru en 2020, chez Flammarion, montre une nouvelle fois ces existences qui suivent un chemin inexorablement, et qui semblent définitivement écrites à l’avance. Cette recension est parue dans la revue en ligne Boojum. Elle est désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

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toute une œuvre

Je dénote plusieurs périodes dans l’œuvre de Philippe Djian, et particulièrement la première, qui l’a révélé, dans laquelle on retrouve le cultissismique 37,2°, le matin, paru en 1985, et porté au cinéma par Jean-Jacques Beineix, en 1986. Ont suivi, Maudit Manège, en 1986, Échine, en 1988, Crocodiles, en 1989, Lent dehors, en 1991. 

La suite de son œuvre importante parue sous la couverture blanche, me lassa rapidement. Pourtant, on y retrouvait tous les ingrédients qui faisaient de cette littérature une littérature qui compta dans la fin du XXe siècle et au commencement du suivant : le style de cet écrivain, qui martelait à la suite de Louis-Ferdinand Céline, que le style voilà tout ce qui comptait dans un roman, en marge, forcément, et qui m’avait tant marqué lorsque je n’étais encore, qu’un adolescent d’autrefois : l’utilisation répétitive des imparfaits pour exprimer une situation tragique, ce ton lourd et irréversible que le narrateur adopte lorsqu’il prend conscience d’un moment dramatique de sa vie, ce qui ne pouvait pas échapper à un jeune homme en devenir qui cherchait à voir la vie comme une longue et cruelle errance tragique.

 

 

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Philippe Djian : sur le tournage de 37,2, le matin,
en 1986, avec Jean-Luc Anglade

 

Il y avait également la récurrence de cet écrivain-narrateur, comme chez Bukowski, Fante, Miller, dont Djian fut le passeur, en France, dans la deuxième moitié des années 80. Il y avait également les femmes, l’écriture, le sexe, l’alcool, la violence et les paysages sombres, les femmes tragiques et la malédiction d’un destin, l’impardonnable et les frictions.

 

un nouveau départ

Avec 2030, Philippe Djian démarre sa collaboration avec son nouvel éditeur, Flammarion, et le moins que l’on puisse dire, c’est que le ton est nouveau. D’abord le narrateur, Djian nous avait habitué à employer la première personne du singulier, ce qui était presque la marque même de Djian, excepté pour ses deux premiers textes, 50 contre 1, et Bleu comme l’enfer. Ici, dans cette histoire, nous faisons la connaissance de six personnages, en quête de sens. Ça ne change pas tant que cela de ses précédents romans. Pourtant, dans un paysage qui s’efface peu à peu, lui qui n’a jamais nommé une ville dans aucun de ses romans, se contentant de vagues descriptions, dans ce récit, nous aurons droit à un lac, quelques lieux hétéroclites comme un bowling, un cabaret, ou encore une forêt, comme si l’auteur nous disait que là n’était pas l’essentiel.

 

Nous sommes à dix ans de distance, dans cette légère anticipation, qui se base sur l’urgence écologique dont on nous rebat les oreilles depuis déjà deux décennies, dans les médias mainstream. L’un des personnages principaux, Greg, continue de rouler dans une voiture qui consomme de l’essence. La jeune Greta Thunberg apparaît, sous les traits de la « fille qui voulait sécher l'école pour sauver le monde », ayant écrit un livre. Oui, elle a bien grandi la petite Greta, et le monde n’est pas en bonne forme.

 

Greg est en errance, pris en étau entre Anton, son beau-frère, qui l’a un peu forcé, il faut bien de dire, à falsifier les résultats d'une étude sur un pesticide, et sa nièce Lucie, engagée corps et âme dans une lutte écologique. Mais voilà que cet homme rencontre une femme, Vera, qui va lui chambouler sa manière de voir le monde.

 

un pessimisme stoïque

Bref, si Djian ne change pas beaucoup, sinon son style devenant plus classique, moins écorché avec le temps, il montre qu’il a envie de délaisser le roman traditionnel en revanche, pour l’écriture scénaristique des séries télé. On en avait déjà eu un aperçu avec Doggy bag, cette série parue chez Julliard, dans la seconde moitié des années 2000. Mais cela paraît presque nouveau dans l’œuvre de Djian, ce côté écolo-tragédie, scénarii catastrophe sur fond de passion amoureuse. Ce qui ne change pas en revanche, ce sont les personnages, parfois cabossés par la vie, parfois retors, parfois sincères, parfois menteurs.

 

Ce qui est nouveau, c’est que Djian surfe sur les peurs modernes : le réchauffement climatique, les attentats, les manipulations des rapports scientifiques, les profits de l’industrie, les activismes des écologistes convaincus ; ce qui ne change pas, c’est son regard désabusé sur les rapports hommes/femmes, sa plume légèrement décalée, et un pessimisme stoïque proche de la fureur froide, qui relève bien d’un bouddha en colère.

 

« Sylvia avait eu besoin d'un roc et Anton mesurait un mètre quatre-vingt-dix et pesait près de cent kilos. Greg ne pouvait pas trop en vouloir à sa sœur. Certaines femmes sont attirées par les grands singes. »  

 

Tout Djian me semble si bien résumé dans ce seul passage.

 

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Philippe Djian devant ses oeuvres historiques et anciennes
dans les bureaux Mialet-Barrault, 3 place  de l’Odéon,
avec ses deux éditrices : Betty Mialet (historique)
et Alix Penent (actuelle), chez Flammarion

 

Philippe Djian, 2030, Flammarion, 2020, J’ai lu, Septembre 2021.

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