Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L’impossibilité d’une île ou la menace du post-humain (Michel Houellebecq)

Le désir d’éternité ! Qui n’en a jamais rêvé ? Plus que jamais notre société consumériste, individualiste, nihiliste, athée, incapable de se penser dans la pérennité du groupe, pose cette alternative comme salvatrice. Je reprends ici une note que j'ai écrite à la sortie du film de Michel Houellebecq, qui a adapté son roman La possibilité d'une île, qu'il faudra relire, dans dix ans, lorsque le transhumanisme commencera à envahir nos vies et remplacer l'homme biologique par un nouvel homme, d'un autre âge, l'homme 1.0.

possibilité.jpegC’est bien à partir de cette idée que le dernier Houellebecq se compose, partant, précisément, de cette double question : la première plutôt métaphysique : l’homme mérite-t-il la vie éternelle ? La seconde, plus technique : comment y accéder ? Or, si à la première, Houellebecq donne une réponse plutôt personnelle : l’homme, indigent, ne mérite en rien la vie éternelle, car de celle-ci, il ne tirera qu’un manque d’émotion, un manque de plaisir. Or, qu’est-ce qu’il en resterait du bonheur, si toutes nos émotions nous seraient à tout jamais ôté ?  La seconde réponse pour sa part, demeure des plus évidentes : le clonage !

 

C’est donc l’histoire de Daniel1 qui se poursuit sur plusieurs générations : 25 en tout ! Daniel24 cite puis commente les textes laissés par son prédécesseur humain, lui le « néo-humain » tel qu’il l’appelle, un post-humain complètement cloné censé assurer la pérennité temporelle de Daniel1.

Mais pas de méprise, le nouveau Houellebecq est au livre d’anticipation ce que Christine Angot est à la grande littérature. Il faudrait plutôt considérer ce nouvel opus comme la suite des Particules élémentaires, au moment où les découvertes de Michel Dzerjinski vont permettre de modifier l’espèce. Modification sur deux points essentiels : l’homme sera asexué et immortel. À l’instar des précédents, sur le mode du roman sans intrigue, sous-tendu d’une histoire ténue, bardée de personnages stéréotypés fondés sur le modèle houellebecquien, nous entrons dans un des romans les plus étranges de Houellebecq. Certainement pas son meilleur roman, le rythme étant assez inégal. Reste tout de même le style de l’auteur, un style inimitable, celui qui a fait son succès à la fin du siècle dernier.  

 

Dans la lignée de ses prédécesseurs, La possibilité d’une île est en prise avec son époque. Roman sociologique englué dans le réel et dénué du moindre style littéraire enseigné dans les classes de lycées, Houellebecq ne trahit pas sa démarche, ne se laisse pas réduire par quelques critiques littéraires dont les pendules du temps ont été stoppées depuis déjà vingt ans, continuant d’explorer le champ d’une littérature « post-moderne », sorte de littérature hybride aux frontières d’une fiction minimaliste et d’une vision rigoureuse, précise, d’une acuité « géniale » de notre époque et de sa décadence.

possi4.jpg

Extrait La possibilité d'une île (2008)


Dans ce roman, le point de départ est clair : l’amour est-il une réalité atteignable par les hommes et les femmes ou une cruelle fiction inspirée par notre sexualité biologique nous guidant dans un triste plaisir des corps totalement dénué de sentiments ?

 

« Lorsque la sexualité disparaît, c'est le corps de l'autre qui apparaît, dans sa présence vaguement hostile ; ce sont ces bruits, ces mouvements, les odeurs ; et la présence même de ce corps qu'on ne peut plus toucher, ni sanctifier par le contact, devient peu à peu une gêne ; tout cela, malheureusement, est connu. »

 

On connaît la fameuse « quête » du bonheur en laquelle Houellebecq ne croit pas, ou ne croit plus, lui qui par ce livre se pose une autre question fondamentale, celle du sens de la vie ? Heidegger avait, jadis, en son temps, repris la vieille question antique : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Une question fondant la recherche du sens. Un sens que la secte des Élohims bien évidemment reprend dans ce roman.

mimiche.jpg

Michel Houellebecq sur le tournage
de La Possibilité d'une île (2008)

L’intérêt de citer cette rencontre entre le narrateur et le prophète des Élohims, pour Houellebecq, est de souligner les limites de la science, de la technique et surtout des religions. Religions qui, dans ce roman, sont réduites à de vulgaires phénomènes de pure consommation. Religion qui, selon Houellebecq encore, supplanteront certainement la science dans un proche avenir car elles sont les seules capables d’assouvir le rêve de vie éternelle.

 

Mais la vie éternelle est-elle seulement une possibilité envisageable ?  Et aurait-elle pour autant un sens ? Simone de Beauvoir dans Les hommes sont tous mortels en dénonçait déjà la supercherie. L’homme ne mérite pas un tel destin ! Car c’est le destin le plus funeste qui soit !

possi5.jpg

Image du film La Possibilité d'une île (2008)

 

Quant à Houellebecq, s’il ne montre plus beaucoup de compassion pour ses « frères » humains, il continue tout de même de les créditer d’une faculté qui leur confère toute leur dignité : l’émotion. Faculté que la vie éternelle leur ôterait définitivement :

« Je compris également que l’ironie, le comique, l’humour devaient mourir, car le monde à venir était le monde du bonheur, et il ils n’y auraient plus aucune place. »

L’émotion, serait la rançon donc à payer pour obtenir le bonheur ? Et Houellebecq, en écrivain désespéré, au sens grec du terme, règle la question, sans illusions.

Dans sa vision désabusée d’un monde frisant l’absurde, il écrit au final, que cette « île » est de loin impossible, que l’homme aussi évolué scientifiquement, techniquement, culturellement, resterait quoi qu’il prétende, une bête, un infra humain, un post-humain dont les sentiments auraient disparu, et ne seraient pas plus heureux qu’autrefois. L’homme selon Houellebecq, ne mériterait donc pas la vie éternelle, car il ne sait que produire violence, tragédies et souffrance sur ses propres frères ; en bref, un homo sapiens à peine plus évolué que ses congénères, qui est pour lui-même le plus nuisible des êtres vivants.

possi6.jpg

Michel Houellebecq et son chien
Tournage de La Possibilité d'une île
(2008)

La Possibilité d'une île, Michel Houellebecq, Fayard, 488 pages, 2005.

En couverture : « Le tribunal sur le Congo », de Milo Rau – copyright the artist et Vinca Film

Commentaires

  • L'oubli de la finitude, encore et toujours

  • Le refus des limites naturelles a envahit notre société.

Les commentaires sont fermés.