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Le retour de l'histoire : l'impensable s'est produit

Le 24 février 2022, à 5 heures du matin, les premières balles tirées par l'armée russe en Ukraine ont définitivement déchiré le rideau de la fin de l'histoire, et cette thèse du philosophe américain Francis Fukuyama, tirée d'un essai du même nom, publié en 1992 et identifié comme l'un des essais les plus importants de la fin du xxe siècle, a définitivement vacillé au point de laisser place à un tout nouveau paradigme. Inspiré par les thèses d'Alexandre Kojève sur la « fin de l'histoire », Francis Fukuyama pensait que la fin de la guerre froide marquait la victoire idéologique de la démocratie et du libéralisme (concept de démocratie libérale) sur les autres idéologies politiques, suite notamment à la chute du Mur, la dislocation du bloc de l'Est, qui allaient entraîner d'importants troubles. Si pourtant, la fin de l'Histoire ne signifiait pas, selon Fukuyama, l'absence de conflits, mais plutôt la suprématie absolue et définitive de l'idéal de la démocratie libérale, lequel ne constituerait pas seulement l'horizon indépassable de notre temps mais se réaliserait effectivement en éliminant tout risque de nouvelles guerres en Europe, de l'ampleur des guerres de 14-18 ou de 39-45, l'idée même d'une 3ème guerre mondiale devenait impensable. Pourtant, la Russie de Poutine, et son offensive en Ukraine, commencée le 24 février 2022, signa un tournant historique, qui a forcé l'histoire à reprendre manu militari du service. Ma tribune dans l'Ouvroir

Depuis quelques jours, je vois fleurir des positions pro-ukrainiennes sans discernement. J'essaye de comprendre, mais je suis étonné du peu de nuance dans les acclamations de joie dès que Zelensky dit un mot. Biden accuse Poutine d'être un dictateur, et c'est repris en boucle sur les réseaux. À la télévision les va-t-en guerre du gouvernement, cons en plus d'être dangereux, comme cet irresponsable de Le Maire, mesurent leurs muscles aux muscles de Poutine. Certains Français préparent leur paquetage et cirent leurs rangers avant de tout quitter pour partir rejoindre l'armée de l'Ukraine. Bref, la farce est surréaliste.
 
D'abord, hormis avoir regardé toute sa vie des clips à la télé, qu'est-ce que l'Occidental a vraiment fait ? Est-ce qu'il a connu une guerre ? Est-ce qu'il a connu les privations ? Est-ce qu'il a connu la chute de son monde et de son Empire ? A-t-il seulement connu le froid ? Non. L'Occidental est un enfant gâté, qui se pique d'écologie, de décroissance, de décolonialisme, de féminisme. L'Occidental est un nihiliste, qui renie sa culture, son identité, son passé. Il ne croit qu'en la morale et l'économie. Il croit en la fin de l'histoire, et il ne supporte pas la vue du sang. La guerre est un modèle obsolète pour lui, tout comme la nation, l'identité des peuples, l'histoire, et la force est pour lui le propre du barbare et de l'homme préhistorique. Il ne comprend pas non plus que d'autres continents puissent ne pas partager ses valeurs, la démocratie, les droits de l'homme, etc., qu'il pense si élevées.

 
Or, depuis l'agression de l'Ukraine par l'armée russe, l'Occidental se réveille dans un monde dont il n'a désormais plus la maîtrise, et il pense qu'en s'agitant sur le réseau, en créant des hashtags, il pourra sauver ce qu'il sait avoir déjà perdu.

 
Poutine n'aime pas la démocratie-libérale, il ne partage pas nos valeurs humanistes. Il croit en la nation. Non l'État-nation comme Zemmour par exemple, mais l'Empire. Les Russes sont patriotes, et ils aimeraient revoir la grande U.R.S.S. renaître de ses cendres. Certes, ils n'ont pas la nostalgie du communisme, mais ils regrettent le temps de la grandeur de leur Empire, désormais à terre, par la faute des démocrates. On ignore ou veut ignorer la blessure et l'humiliation que cela a été pour les Russes, pour Poutine, préférant les images d'une foule en liesse, brisant à coups de marteau le mur de Berlin, en 1989.

 
Or, pendant que l'Amérique joue un double jeu dans cette sombre histoire, qu'elle joue à la fois les pyromanes (en cherchant à élargir le champ d'action de l'OTAN jusque sous les fenêtres de Poutine malgré les accords du 9 février 1990) sans jouer les pompiers puisqu'elle nous refile la patate chaude au moment où Poutine s'énerve légitimement, les Français et les Allemands, qui ne voulaient pas que l'Ukraine entre dans l'OTAN, doivent désormais se débrouiller seuls et jouer eux, comme ils peuvent, les médiateurs, et protéger une Ukraine sous les bombes, tout en accueillant 600 000 réfugiés dont ils se seraient bien passés.

 
Néanmoins, et contrairement à ce que j'ai lu par ici, Poutine n'a aucune visée expansionniste. Il veut protéger ses frontières et restaurer son indépendance, ce qui est bien normal. On oublie peut-être un peu vite les 30000 civils morts depuis 2014, sous les bombes de l'armée ukrainienne dans le Dombas, parce qu'ils étaient russophones et qu'ils se sentaient russes. Il y aurait donc un peu plus à dire que ces formules simplistes telles, "les Ukrainiens sont agressés par le méchant Poutine", d'autant qu'elles ne sont pas au niveau.

 
Méfions-nous donc des journaux, car il ne faut quand même pas oublier que la propagande de guerre est désormais en marche. Moi, je me méfie encore plus des réseaux sociaux, et de ses causes perdues d'un jour...
 

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La guerre en Ukraine, SERGEI SUPINSKY / AFP

 

fukuyama.jpegLa tribune dans le Figaro du 3 mars 2022, de l'ami philosophe Robert Redeker est une fois de plus remarquable. J'y apporterai une nuance toutefois. Certes, le 11 septembre 2001 et le 24 février 2022 furent deux tournants historiques dans ce siècle naissant, cependant le glas de l'idéologie de la fin de l'histoire ne fut pas sonné avec le 11 septembre mais bien avec les quelques premières balles qui retentirent le 24 février à 5 heures du matin, et qui déchirèrent le rideau d'un récit collectif que l'on se racontait depuis l'effondrement du communisme et qui reprenait en les modifiant les thèses du marxisme : la démocratie-libérale l'avait emporté, elle était l'horizon indépassable de l'humanité, et les autres civilisations s'aligneraient sur notre modèle moral et économique, notre humanisme anti-militariste et individualiste.

 
Alors que le 11 septembre ne ramenait pas la guerre en Occident, au sens où nous l'entendions autrefois, cette date charnière nous confirmait juste les thèses de Huntington, autour d'un probable choc des civilisations. C'est le président Poutine qui est venu siffler la fin de la récré. Macron, paraphrasant Zemmour, nous confirme ce point : l'histoire est de retour et l'histoire est tragique. Les civilisations s'opposent, et la fin de l'histoire n'était qu'un délire de dernier homme. Encore faut-il savoir si ce dernier homme n'est pas cet Occidental obsédé par la consommation, son pouvoir d'achat, et gavé de bullshit jobs.

 
La bulle dans laquelle l'Occident s'était enfermé, sourd aux coups de tocsin de quelques pragmatiques lucides, vient d'éclater. Cette paix éternelle que l'on nous promettait, cette liberté inconditionnelle dont on nous rebattait les oreilles, ce mépris affiché pour la guerre et la puissance que les élites mondialisées nous instillaient dans la tête à travers la culture et l'éducation, tout cela s'est interrompu le 24 février au matin.
 

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La tribune de Robert Redeker, dans le Figaro du 3 mars 2022

 
En tout point d'accord avec Robert Redeker sur le reste de sa tribune, sinon que l'Occident devra très vite faire face à deux ennemis autoritaires, qu'il semble négliger : l'Islam d'un côté, et le 11 septembre nous l'a démontré ; les Empires autocratiques de l'autre, et la Russie, alliée à la Chine, nous montre à travers cette guerre totale et sans partage en Ukraine, que le 21e siècle sera non seulement sanglant, mais une épreuve radicale si nous voulons sauver nos valeurs, et notre civilisation. Il nous sera impossible d'y survivre, sans revenir à une identité forte, un sentiment nationaliste et patriote, et une bonne dose de courage et de vaillance, une vraie lucidité, comme nous l'ont montré les soldats ukrainiens, et les civils ukrainiens qui, préférant les armes à la fuite, combattent l'envahisseur.

 
Serons-nous à la hauteur ? L'histoire, qui a repris du service, nous le dira bientôt....
 
En couverture : Emmanuel Macron reçu au Kremlin le 7 février 2022 par Vladimir Poutine (photo d'illustration).

Commentaires

  • Fukuyama a d'ailleurs même révisé son thèse dans ses publications les plus récentes.

  • Merci beaucoup. Une question sur l'Ukraine : pensez-vous que les villes qui résistent seront plus heureuses en restant sous le régime de Zelensky ?

  • Entièrement d'accord

  • Je suis d'accord avec vous , comme je n'est pas la capacité de l'exprimer aussi bien que vous par écrit , mais que celà reflète ma pensée ... je partage !

  • Il est frappant de constater que toutes les personnes qui tentent de justifier la politique de Poutine en Ukraine, en Syrie et ailleurs (Géorgie...), se retournent contre l'Occident, l'Europe, les États-Unis, en leur attribuant la responsabilité première, et au fond unique, des malheurs de l'Ukraine. Il ne s'agit pas de nier les responsabilités occidentales, loin de là. Cela dit, on accuse notamment l'OTAN d'être responsable de cette guerre horrible, alors que les Américains n'ont qu'un souhait : se retirer de l'Europe car l'enjeu est dans le Pacifique et avec la Chine ! En fin de compte, ce retournement, cette mauvaise dialectique témoignent d'une haine de l'Occident, qui est une haine de soi. Or, la haine de soi ne permettra pas d'assumer ses propres responsabilités. En effet, cette haine de soi exprime notre usure, notre fatigue d'être, nos désillusions. Dès lors, comment peut-on répondre de soi à l'autre ?

  • Il est frappant de constater que toutes les personnes qui tentent de justifier la politique de Poutine en Ukraine, en Syrie et ailleurs (Géorgie...), se retournent contre l'Occident, l'Europe, les États-Unis, en leur attribuant la responsabilité première, et au fond unique, des malheurs de l'Ukraine. Il ne s'agit pas de nier les responsabilités occidentales, loin de là. Cela dit, on accuse notamment l'OTAN d'être responsable de cette guerre horrible, alors que les Américains n'ont qu'un souhait : se retirer de l'Europe car l'enjeu est dans le Pacifique et avec la Chine ! En fin de compte, ce retournement, cette mauvaise dialectique témoignent d'une haine de l'Occident, qui est une haine de soi. Or, la haine de soi ne permettra pas d'assumer ses propres responsabilités. En effet, cette haine de soi exprime notre usure, notre fatigue d'être, nos désillusions. Dès lors, comment peut-on répondre de soi à l'autre ?

  • une humanité sans Dieu n'est rien.

  • L’histoire se re joue. Les bases ne sont pas comprises. Pas de choix pas de liberté, pas de responsabilité pas de pouvoir. La paix est Non profit non convoitise le pouvoir est en soi.

  • Poutine devient indéfendable lorsqu'il utilise la menace nucléaire de façon offensive.

  • Le tragique de l'histoire n'a jamais quitté l'Europe. Nous sommes passé de la guerre froide à la guerre anti-terroriste pratiquement sans transition.

  • J'ecoute 3 stations de radio France Inter,France Culture et Europe 1(pas de télé) un même et unique discours prononcé ukrainien, le bien et le mal, le noir ou le blanc.. les gentils, les méchants, aucun discernement.. dégoûtée !

  • David Ch on oublie que les USA l'ont larguée eux cette bombe....

  • le problème, un des problèmes, est que ceux qui ont déclaré la guerre oublient les carnages qu'ils ont occasionnés lorsqu'ils reprochent à ceux qui la déclarent (malheureusement) à leur tour de la déclarer.
    (Amnésie redoutable, leurs propos guerriers sont porteurs de la mémoire des carnages... )

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