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Entretien avec Serge Brussolo, « L’écriture a quelque chose du travail de l’acteur »

Serge Brussolo est un prolifique auteur de romans de différentes catégories. Ayant exploré la science-fiction, le fantastique, le thriller et le roman historique, on ne lui connait quatre pseudonymes, dont Akira Suzuko, Kitty Doom, D. Morlok et Zeb Chillicothe. Il a obtenu plusieurs prix, dont le Grand prix de l'Imaginaire en 1981 pour Vue en coupe d'une ville malade, le Grand prix de l'Imaginaire-Roman francophone, en 1988 pour Opération serrures carnivores et du Grand prix RTL-Lire en 1995 pour La Moisson d'hiver. Directeur littéraire des éditions Le Masque depuis 2000, il a connu un franc succès avec la série Peggy Sue et les fantômes, puis Sigrid et les mondes perdus ainsi que d'autres séries dont les épisodes sont souvent inspirés de ses anciennes œuvres pour adultes. Je l’ai rencontré à l’occasion de la sortie de son nouveau roman Le Cavalier du Septième Jour, paru aux éditions H&O. J’ai eu la chance de pouvoir poser quelques questions à l’auteur pour la revue Boojum. Voici désormais le compte-rendu en accès libre dans l'Ouvroir.

Le-Cavalier-du-Septieme-Jour_4564.jpegMarc Alpozzo : Je vous connais depuis votre roman Vue en coupe d'une ville malade, titre qui m’avait marqué autrefois, alors que je n’étais encore qu’un adolescent, paru dans la collection « Présence du futur », au début des années 80 me semble-t-il. Vous avez été depuis très prolifique, puisque vous avez multiplié les romans populaires dans ce que l’on peut appeler le fantastique ou l’étrange. Votre nouveau roman Le Cavalier du Septième jour, qui parait ces jours-ci chez H&O est, je crois, dans cette veine. Pourquoi le choix de ce genre ? Est-ce par goût ? Par choix éditorial ?

 

Serge Brussolo : Je ne pense pas appartenir à un genre particulier. Je ne me pose jamais la question. La preuve en est que les tenants des genres répertoriés n’ont jamais cessé de me répéter que je n’appartenais en rien au genre auquel ils se glorifiaient d’appartenir. En fait je m’en fous. J’écris ce que j’ai envie d’écrire sans m’interroger. Je ne fais pas d’étude de marché préalable avant d’imaginer une histoire. Je me suis même obstiné, souvent, à écrire dans des genres que les éditeurs déclaraient « non commerciaux ». L’histoire s’impose brutalement à mon esprit, voilà tout. On pourrait dire qu’elle me tombe toute cuite dans le bec, ce qui revient à dire que je suis en vérité un gros flemmard. D’ailleurs, comparé à d’autres auteurs, je n’ai pas tellement écrit : Simenon : plus de mille romans, G-J Arnaud 400 ou 500... Moi, je ne dois même pas atteindre 150, en plus de 40 ans d’écriture.

M. A. : Comment est née l’histoire de ce roman ? Avez-vous des idées notées dans un carnet que vous conservez habituellement dans une poche et auxquelles vous vous référez pour écrire un nouveau roman, ou est-ce que les idées vous viennent au hasard des projets ?

 

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Roman paru en 1980

S.B. : Non, je ne note rien, ce qui fait, du reste, que j’oublie souvent des trucs que, sur le moment, je trouvais très bien. Bon, c’est comme ça, ce n’est pas très important. Les idées me viennent par hasard, souvent de façon saugrenue au moment où je m’y attends le moins, et sans que je sois capable de déterminer le cheminement mental induit qui les a fait naître. Sûrement des associations d’idées style « cadavre exquis » qui s’élaborent à mon insu au fond de mon crâne. J’utilise également de nombreuses séquences de rêves. Des méthodes de travail inspirées des Surréalistes. Ça peut donner des trucs marrants.

 

M.A. : Votre roman est une sorte de thriller fantastique, dans la veine des vrais thrillers américains, avec des personnages quelque peu stéréotypés, et un peu paumés, mais comme toujours dans ce genre de littérature, des histoires qui commencent sans aucun rapport, puis qui finissent par se croiser, des rebondissements à presque toutes les pages. À partir de quoi créez-vous vos histoires et vos personnages ? Est-ce que vous écrivez à partir d’un synopsis ou au grès de la rédaction ? Dans quel état d’esprit êtes-vous lorsque vous écrivez ? D’où viennent vos idées ? Dans quelles circonstances ?

 

S.B. :  Des personnages stéréotypés ? Ouais... Le problème c’est que nous sommes tous des personnages stéréotypés, et cela c’est la triste réalité quoi que nous préférions croire. Nous ne sommes que les clones d’autres clones. Le fait de se croire original n’est-il pas en soi-même un stéréotype de plus ? Quant aux gens « paumés », on n’en voit pas que dans « ce genre de littérature », moi en ce moment j’en croise à tous les coins de rues. Mais bon, c’est un autre débat... J’ai un synopsis de base, à partir duquel j’improvise. Il ne faut pas que ça reste figé, surtout pas, ça doit bourgeonner, continuer à me surprendre, sinon ça devient vite chiant et autant arrêter. Quand le roman commence à acquérir une sorte de vie propre, indépendante, qu’il échappe à son auteur, c’est bon signe. Sinon on en est réduit, comme chez Lovecraft, à jouer les Herbert West, le réanimateur de cadavres ! J’explore des pistes, je ne me refuse rien, quitte à supprimer des épisodes lors de la relecture si je trouve ça trop parasite. Faut laisser pousser la plante librement, après on voit si c’est viable ou pas. Si c’est agréable ou moche. Je suis un baroque, je déteste figer le mouvement.

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Roman paru en 1990

M.A. : Comment écrivez-vous ? Avez-vous besoin d’un carnet et d’un stylo ou écrivez-vous directement à l’ordinateur ? Dans quel état d’esprit vous placez-vous lorsque vous êtes plongé dans l’écriture d’un roman : écrivez-vous au café, dans des lieux bruyants ou avez-vous besoin d’écrire dans un endroit calme, voire isolé ? À quelle heure de la journée écrivez-vous, le matin, le midi, le soir, la nuit ? Lorsque vous êtes plongé dans l’écriture d’un roman que cherchez-vous à créer ?

S.B. : Je n’ai plus touché un stylo depuis qu’on a pu trouver dans le commerce des ordinateurs portables. Même que ça m’a valu certains déboires au début puisque de nombreux éditeurs considéraient que « si c’était écrit sur ordinateur c’était forcément mauvais ». Je ne sais pas... ils devaient s’imaginer que c’était l’ordinateur qui écrivait à la place de l’auteur, non ? A la différence de certains auteurs je n’ai pas besoin d’une panoplie « magique » pour « entrer en écriture », comme on dit pour faire sérieux. Je n’ai jamais été fétichiste : objets, lieux, couleur du papier, musiques... tout ça m’est indifférent du moment que je suis absorbé dans mon truc. L’écriture a quelque chose du travail de l’acteur, il faut se mettre dans la peau du personnage si on veut que ça fonctionne. C’est pour ça que j’ai toujours beaucoup insisté sur l’aspect physique des expériences : le toucher, la perception tactile, les odeurs. Tout ce qui donne une espèce d’épaisseur, de pâte, et qui finit par faire vrai, même si au demeurant ce que je raconte est délirant. Mon défi consiste à rendre l’incroyable convainquant.

 

M.A. : Vos romans sont toujours très complexes et, souvent, on y retrouve des anti-héros au ban de la société, en pleine déchéance. Dans celui-ci, nous ne sommes pas loin de ces héros maudits, à Pueblo Quito, une localité frontalière du sud des États-Unis, où l’on y rencontre une communauté défavorisée qui survit grâce au commerce de la drogue, au milieu d’un gigantesque haras où l’on y vend à prix d'or des chevaux. Vos personnages sont assez superstitieux et croient même que les Indiens ont maudit ce territoire appartenant à un Cheval Nocturne, le Cavalier du Septième Jour, censé nettoyer la Terre du dernier représentant de la race humaine. Or, celui-ci signe ses forfaits d’un « A » qui signifie « Apocalypse ». Vos romans sont plein de croyances irrationnelles, comme cette indienne qui a le don de parler aux chevaux à condition de conserver sa chasteté, et qui pourrait être la seule à pouvoir contrôler cet étalon noir venu détruire cette communauté. Pourquoi ce goût pour le surnaturel et l’occultisme ? Pensez-vous que nos croyances en la science et la rationalité nous éloignent, voire nous coupent d’une partie de la réalité ?

S. B. : Au cours de ma vie j’ai côtoyé beaucoup de gens qui, par leur Culture, baignaient dans un climat d’irrationnel, de magie populaire : fétiches, rituels, envoûtements, j’ai trouvé cela fascinant, cette façon de voir les choses embusquées derrière les choses, de lire entre les lignes. J’ai eu des amis qui se sont laissés totalement phagocyter par des sectes, au point de perdre pied avec la réalité. Quand j’étais jeune, c’était la grande vogue du LSD, de « l’élargissement du champ de conscience », et tout ça... Il existait une volonté très affirmée de sortir du réel, une aspiration à quelque chose de plus large. Il m’en est resté quelque chose. Une partie de ma famille a vécu au Brésil, où la magie est prise très au sérieux, je pense que ça m’a influencé. J’entendais souvent parler de « signes funestes », ce genre de trucs, de gestes conjuratoires, de talismans.

 

M.A. : Est-ce que vous écrivez les livres que vous aimeriez lire, ou est-ce que vos livres sont le fruit d’une nécessité de coucher sur le papier une histoire qui vous vient et vous hante ?

S. B. : J’écris des choses qui m’excitent et qui m’amusent, en partant du principe qu’elles exciteront et amuseront peut-être mes lecteurs. Je n’ai pas d’autre prétention. En fait c’est surtout un remède à la mélancolie au sens pascalien. Une distraction pour oublier la tristesse des choses. Je n’ai pas de message à faire passer. Mon but c’est de parvenir à concocter une recette miraculeuse mi-adrénaline mi-émerveillement qui arrachera le lecteur à la morosité du temps et le propulsera dans une aventure qui sort de l’ordinaire.

 

M.A. Est-ce qu’il existe une recette pour écrire un bon thriller ou est-ce que cela relève plutôt d’un don ?

 

S.B. : Je ne suis pas qualifié pour répondre, je lis très peu de thrillers. Même chose en ce qui concerne la SF. J’ai toujours été fidèle au précepte édicté par Ray Bradbury : « Il faut éviter de lire dans les genres dans lesquels on écrit soi-même »

 

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Serge Brussolo en 1980

Serge Brussolo, Le Cavalier Du Septième Jour, Avril 2021, H&O édition, Poche, 256 pages.

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