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Entretien avec Laurent James. Fernandel, un saint méconnu

L’éditeur de Laurent James m’a adressé un curieux récit, décrivant l’acteur populaire Fernandel, de la première moitié du XXe siècle, comme on ne l’avait jamais montré. Selon l’auteur de ce court essai, Fernandel serait un saint. Très intrigué, j’ai décidé d’aller à la rencontre de cet écrivain, qui s’est largement expliqué sur sa thèse. Compte-rendu... Cet entretien est d'abord paru dans la revue en ligne Boojum. Il est désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

laurent.jpegMarc Alpozzo : Pour le cinquantenaire de la mort de l’acteur Fernandel, vous nous proposez une hagiographie intitulée Saint Fernandel. On pourrait penser à un canular ou une provocation. Mais non, vous êtes très sérieux. Vous voyez en Fernandel « le guérisseur universel de toutes les misères du monde et le dispensateur cosmique de tous les bonheurs humains » (« Carte-Préface » par Michel Marmin). Pouvez-vous nous éclairer ?

Laurent James : La question du rire, et surtout du rire fernandélien, est un sujet à considérer avec un très grand sérieux, ce même sérieux que nous mettions en jeu lorsque nous étions enfants. Ce n’est pas pour rien que mon ouvrage se termine sur un clin de moustache à Nietzsche… Il n’y a en effet ni canular ni provocation chez moi. Il existe une analogie substantielle entre les métiers de médecin et de comique, tous deux relevant de la sécularisation de la prêtrise. Et lorsque le comique atteint ce niveau de guérison universelle noté par Marmin, on peut affirmer qu’il est parvenu à être également médecin : c’est donc un prêtre complet.

De manière complémentaire à la fonction éminemment solitaire du prophète, celle du prêtre consiste à tenter de guérir à la fois la collectivité humaine et chaque individu qui la constitue, afin d’opérer en notre fin de cycle cette « transmutation qualitative » dont parlait avec ferveur Raymond Abellio, crucifiant le Fils de l’Homme sur le cercle de la multiplicité pour l’élever au statut de Fils de Dieu.

Pour répondre de manière littérale à votre question, le seul éclairage que je puisse vous apporter est la confirmation que c’est bien Fernandel, et lui seul, qui nous éclaire. Il fait partie de cette petite troupe ambulante de porteurs de Feu du vingtième siècle, dont la mission est de nous préparer à la Pentecôte, ce surgissement concomitant d’abondance de malheur et de surabondance de la Grâce qui marque notre époque terminale.

M. A. : Fernand Contandin, dit Fernandel, est né le 8 mai 1903 à Marseille et il est mort le 26 février 1971 à Paris. C’était un acteur, un humoriste, un chanteur et un réalisateur français. Ayant campé cent quarante-huit rôles au cinéma, on peut dire que vous vous attaquez à une icône de la culture française. Fernandel représente à lui tout seul le cinéma populaire de la première moitié du XXe siècle. Que vous inspire cette disparition, à laquelle vous avez voulu rendre hommage en publiant cet essai pour le cinquantenaire de la mort de Fernandel ? Une autre icône du cinéma populaire a également disparu récemment, celle-ci appartenant plus à la seconde moitié du XXe siècle, Jean-Paul Belmondo. Est-ce que pour vous cela signe la disparition de la culture française telle que nous l’avons connu jeunes ?

 L. J. : Fernandel a tourné au moins autant de longs-métrages après 1945 qu’avant, avec des rôles aussi marquants que Crésus, Don Camillo, Dagobert ou Ali Baba. Et je n’insisterai jamais assez sur l’importance tout à fait fondamentale de Heureux qui comme Ulysse, son dernier film où il endosse le rôle d’un garçon de ferme vivant une authentique Odyssée camarguaise pour sauver un cheval vieillissant des griffes d’un picador. Votre formule « icône de la culture française » n’est que partiellement vraie. D’abord, il est tout à fait juste que Fernandel soit une icône : il a représenté tellement de saints à l’écran, tellement d’hommes exemplaires parvenant à emprunter la voie droite quelles que soient les circonstances et les lieux de leur existence (ce qui est la définition même de l’Église catholique et orthodoxe), qu’il est devenu saint lui-même. Chaque film de Fernandel ruisselle de gouttes de sueur tombées du voile de Véronique.

En revanche, je ne suis pas d’accord avec le fait que l’icône fernandélienne relève de la culture française, ce qui me permet de répondre à votre dernière question. Ce qui disparaît avec la mort de Fernandel, c’est bien la fraction gauloise de la culture cinématographique française. J’ai toujours écrit que la mission historique de la France avait été d’éradiquer toute trace de civilisation celte sur ses terres : langue, musique, vêtements, cuisine, danse, …  et même religion, puisque le christianisme gaulois a été mis au pas, pontificalisé et filioquisé par les Carolingiens. Jean Phaure notait que la démolition de la tour de Boulogne-sur-Mer par Louis XIV était le dernier acte d’une longue série de destructions de tout élément d’architecture gauloise par les rois de France. N’oubliez jamais que ce que la République fait subir à la France, la France l’a fait subir à la Gaule. Eh bien, vous remarquerez que le cinéma intègre cette double dynamique du meurtre à son propre niveau historique. La présence d’acteurs profondément ancrés dans la terre de Gaule comme Fernandel ou Raimu n’était concevable qu’au début du vingtième siècle. La France a pris ensuite le relais, avec de Funès ou Belmondo, dont j’admets la grandeur indiscutable – même si, pour moi, elle est absolument incomparable avec celle de Delon, l’un des rares génies de notre temps, tous secteurs artistiques confondus. Et, aujourd’hui, nous n’avons plus de cinéma français depuis belle lurette, mais un cinéma républicain. Jacques Dufilho a eu du mal à se faire une petite place, entre Bruel et Omar Sy…

M. A. : Fernandel ré-enchanteur, dites-vous, homme total, Fernandel un saint. Quel héritage laisse-t-il aujourd’hui pour les générations futures, selon vous ?

 L. J : Fernandel nous laisse entrevoir la possibilité d’un grand Renversement ; il nous montre les prémices de ce que Jean Parvulesco appelait le Retour des Grands Temps. Un an après son entrevue avec Don Camillo, Pie XII publiait son encyclique Ad Coeli Reginam appelant au renouveau marial de l’Église triomphante, saluant Marie comme « Reine et Maîtresse des cieux et de la terre ». L’héritage de Fernandel n’a rien à voir avec une quelconque cinéphilie des catacombes : il s’agit d’abattre le moralisme abject de Rome, de synthétiser dans sa propre chair Don Camillo en Russie et Don Camillo et les contestataires en hâtant la fin concomitante du communisme et du libéralisme, et bâtissant la réunification du Grand Continent, avec le Saint-Esprit comme viatique. Je laisse le dernier mot à Parvulesco : « Être en armes, n’est-ce pas être, à jamais, au centre, au centre absolu ? Et tout ce qui, à présent, va devoir se faire, s’y fera sous le signe de la réintégration finale du cycle dont la marche historique dans les temps avait été constituée, affirmée en avant de par la seule désintégration de sa propre unité virginale des origines : à l’Immaculée Conception des Commencements va devoir répondre, une fois le cycle actuel entièrement révolu, et n’est-il pas en passe de l’être, l’Immaculée Conception de la Fin ».

 

À voir aussi :

Fernandel et Gino Cervi dans Le retour de Don Camillo (de Julien Duvivier, 1953)

 

Laurent James, Saint Fernandel, Éditions Nouvelle Marge, Août 2021.

En ouverture : Fernandel dans le rôle de Don Camillo.

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