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Proust et l’amour

Au commencement du roman de Marcel Proust, Albertine disparue, l’amante du narrateur l'a quitté la veille. Cette disparition vient de « produire dans [son] cœur  » l’impression que c’est sa vie qui est partie. On peut largement lire ce roman en-dehors des autres de la Recherche. Car, c’est probablement le plus grand roman d'amour et des désordres du désir amoureux. Tâchons de comprendre cet incipit. Pour cela, commençons par Odette, et la défaite de Swann, dans le fameux Un amour de Swann. Cette chronique est parue dans le numéro 38 de Livr'arbitres, en juin 2022. La voici désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

 À_la_recherche_du_temps_[...]Proust_Marcel_bpt6k10495602.JPEGCette dernière n'a ni les qualités physiques exceptionnelles aux yeux de Swann, ni les qualités intellectuelles non plus requises pour qu'il tombe amoureux L’art va précisément venir à son secours et jouer le rôle d’adjuvant puisqu’il va apporter l’aide en agissant dans le sens du désir de Swann. Comme si l'art et la vie ne faisaient qu'un, d’autant que, pour Proust, la vraie vie c'est la littérature.

 

 Mais Odette part. Ils se quittent. Cet amour fut un amour gâché. Swan pense alors : « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ». Swann ne pense cependant pas que sa relation avec Odette fut une erreur. Et, s’il l'aima, ce fut par la médiation de l'art.

 

 Certes, la passion ne rajoute rien à l'être aimé. Et Proust redessine la passion amoureuse à partir d'une relation triangulaire, c'est-à-dire d’une médiation par l'art et le désir mimétique. À partir de là, l'amoureux divague, agit comme un homme ivre, mais ne délire pas. La réciprocité n'est pas la vérité de l'amour selon Proust (cf. Sylvia de E. Berl). C'est un mirage ou un malentendu. Et ce sera l'art qui viendra magnifiquement transfigurer et illuminer l'être ordinaire, qui, au moment d'une première rencontre, avait pu laisser l'autre de glace.

 

 Chez l’auteur de la Recherche il y a quelque chose de très fort à propos de l'inachevé. Car, si l'amour détrône la beauté, si l'être amoureux retrouve soudain pour le monde qui l'entoure un intérêt jusque-là insoupçonné dans l'amour, la présence n'est qu'une modalité de l'absence. Marcel n'a jamais été aussi amoureux d'Albertine qu'au moment de son évasion. Mais c’est plutôt l'amour pour l'autre, ou, disons, pour son énigme... Le désir est donc là du côté de l'accumulation, du manque. J'aime ce que je n'ai pas et je n'aime plus ce que j'ai. D'où le vide de la rencontre, qui demeure peut-être dans cette suspension au-dessus du vide. Et c'est ce vide que les amants cherchent éternellement à effacer, sans jamais y parvenir... On pourrait alors parler de vertige. Un vertige de l'amour inspiré de l'incognito de l'amour, de la distance et du mystère de l'autre... C’est probablement ce qui résume l’amour chez Proust.

 

marcel proust,emmanuel berlParu dans le numéro 38 de Livr'arbitres, Juin 2022.

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette chronique est extraite d'un article bien plus long, que vous pouvez retrouver ici : Vers une sagesse de l'amour, Platon, Proust, Pasolini, Lévinas

Commentaires

  • L’amour se nourrit (aussi) de l’absence, la réalité de l’amour étant souvent plus fade que son fantasme.

  • Ah non !

    D'abord, tout le monde le sait, ce n'est pas Albertine...

    Et surtout, la Recherche est autrement plus riche...

    Tout de même !

    J'ajouterais - parce qu'on est (naît) insolent ou on ne l'est pas - que tout semble bon pour ne pas lire La Recherche.

    Eh bien si ! Plongez !

  • Proust et l'amour, Proust et la mort, Proust et les Snobs, Proust et les robes, Proust et sa grand mère, Proust etc etc ! Il y a tant à explorer, impossible de s'en lasser.

  • Albertine disparue est un grand roman d'amour, oui, qui contredit l'expression courante : "loin des yeux, loin du cœur." Pour le Narrateur, c'est tout le contraire. Il n'avait pas le sentiment d'aimer Albertine lorsqu'il l'avait près d'elle - et même sous séquestre en quelque sorte ; mais il suffit qu'elle disparaisse pour qu'il se mette à l'aimer. Ce qu'il y a de passionnant dans cette partie de la Recherche, c'est que l'on y sent toute la relativité de l'amour qui a besoin de l'absence ou de l'imagination pour exister et qui pourtant, à cause de cette relativité même ou malgré elle, peut atteindre à une forme d'absolu, si éphémère ou intermittente soit-elle.

  • Proust et l'amour, Proust et la mort, Proust et les Snobs, Proust et les robes, Proust et sa grand mère, Proust etc etc ! Il y a tant à explorer, impossible de s'en lasser.

  • Il existe un parallèle entre « à la recherche du temps perdu » et le comportement addictif: l addictif ne cherche par forcément sa dose , mais l instant exact avant sa première dose, celle qui a tout déclenché, tout comme Proust recherche désespérément cet instant (« perdu ») ou il n avait un as encore découvert l Amour et tout ses désordres comportementaux!

  • « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre. » L'amour est aveugle, certes, mais l'aimantation entre deux êtres est un peu plus complexe que ce que la raison peut analyser!

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