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Du suicide de Jacques Laurent ou l'histoire d'un secret bien gardé

Le 29 décembre 2000 à Paris, le plus discret des Hussards, Jacques Laurent, se donnait la mort, en se suicidant. Nous ne saurons jamais vraiment comment il s'est administré cette mort, qu'il recherchait obstinément depuis quelques semaines, disait-on. Dans cette note, j'aborde quelques suicides d'hommes ou de femmes de lettres assez troublants, qui s'ajoutent à celui de l'académicien français, pour mieux cerner les raisons possibles de ce décès brutal et volontaire, de la part d'un des écrivains les plus brillants de sa génération, qui nous laissa derrière lui, de très beaux livres, dont Les Corps tranquilles, Les Bêtises, Histoire égoïste ou Roman du roman et Les Sous-ensembles flous... 

« Jacques Laurent, faux égoïste, témoignait à ses amis une grande attention. Il aimait la littérature, les femmes, le whisky, l’amitié et la nuit. Il restera l’un des grands esprits de son temps, et on reconnaîtra un jour qu’il en est l’un des plus grands écrivains. »
Christophe Mercier

« La tranquillité de l'esprit ne fait pas partie des droits de l'homme.»
Jacques Laurent

 

 

antoine blondin, Jacques Laurant, Socrate, Primo levi, Sylvia Plath, cesare pavese, henry de montherlant, Pierre Assouline, Christophe MercierIl y a quelques suicides autour desquels planent encore quelques vapeurs de mystère parmi les intellectuels et les écrivains. Celui de Socrate par exemple, qui, à la fin d’une plaidoirie et d’un éloge philosophique provocateur, sûrement qu’il en connaissait déjà l’issue, fit cette pirouette à ses juges et ses assassins, les laissant mot pour mot sur une énigme toujours non résolue : « Il est temps pour nous de nous quitter, vous pour vivre et moi pour mourir, et de nous, seul le dieu sait qui a la meilleure place ! » Primo Levi, qui survit à Auschwitz et meurt dans sa cage d’escaliers le 11 avril 1987, suite à une chute, nous laissant sans un mot et sans comprendre, a-t-il bien commis un suicide ? Il y a aussi celui de Sylvia Plath, le 11 février 1963 à Londres ; se met la tête dans le four de la gazinière ; ouvre le gaz ; attend sa fin, tandis que les enfants dorment à l’étage. Il y a Cesare Pavese qui en finit le 27 août 1950 dans une minuscule chambre de l’hôtel Roma à Turin, laissant derrière lui ce court message : « Je pardonne à tout le monde, je demande pardon. Ça va ? Pas trop de commérage », et dans son dernier texte, ces dernières paroles : « Assez de mots. Un acte ! » Montherlant devenant ensuite quasiment aveugle à la suite d'un accident, se suicide le jeudi 21 septembre 1972, le jour de l'équinoxe de septembre, « quand le jour est égal à la nuit, que le oui est égal au non, qu'il est indifférent que le oui ou le non l'emporte ». Il met ainsi en pratique jusqu'au bout l'équivalence des contraires de sa philosophie morale. À son domicile du 25, quai Voltaire à Paris, il avale une capsule de cyanure et, simultanément, se tire une balle dans la bouche, de crainte que le cyanure ne soit éventé. Montherlant laisse un mot à Jean-Claude Barat, son légataire universel : « Je deviens aveugle. Je me tue »

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Jacques Laurent


À la disparition de l'écrivain Jacques Laurent, dit aussi Cécil Saint-Laurent, le 29 décembre 2000, il fut peu question des causes de sa mort. Mais pour ses fidèles lecteurs, dont je faisais partie, on sentait qu’il avait eu du mal à rester dans le monde, dans ce monde après le départ de sa femme, emportée par la maladie trois mois auparavant. Pierre Assouline rapporte le témoignage de l’un de ses proches, l’essayiste et romancier Christophe Mercier, sur leurs conversations dans les derniers temps de l’écrivain, qui raconte que son suicide était devenu une obsession par goût de la maîtrise de son destin. Il montrait si peu d’entrain à fouler le troisième millénaire et refusait farouchement le changement de monnaie. La mise en scène de la mort de Montherlant lui donnait quelques frissons, il semblait même fasciné par celle-ci depuis quelque temps, au point que les quelques confidences recueillies en ce temps-là, allaient toutes dans le sens d'une vraie volonté d'en finir, par peur aussi de se dégrader physiquement et intellectuellement.

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Jacques Laurent en tenue d'académicien

On peut donc reconnaître que cet esprit d'indépendance, cette liberté qui habita Jacques Laurent son existence entière, ait pu largement contribuer à son suicide à la fin de sa vie, à l'instar des autres écrivains cités plus haut, qui refusaient qu'on leur dicte quoi que ce soit, et sûrement pas que la vie elle-même leur dise ce qu'ils avaient à faire. 

« À l’instinct de survie s’additionne le goût d’un certain nombre de choses qui vont d’une tapisserie à l’entrecuisse d’une femme, aux bords de la Loire, au coucher du soleil, à un raisonnement d’Aristote. » Ce furent les derniers mots écrits de Jacques Laurent. On ne sera pourtant pas comment Jacques Laurent s'est donné la mort. Ce sera un mystère jusqu'au bout, même si, on peut comprendre que Christophe Mercier refuse de révéler les moyens de cette mise à mort, sûrement par pudeur, ou par discrétion, à moins que ce ne soit par respect de la parole donnée. Bien sûr, l'ami de l'académicien sait que les moyens du suicide sont toujours lourds de sens, mais il est fidèle à lui-même et le silence sera définitif sur « ses tout derniers instants, qui resteront à jamais son ultime secret ».

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Jacques Laurent (1919-2000)

 

À lire : L'article de Christophe MERCIER, « Je n’aime pas voir mourir mes amis »

               L'article dans le Figaro l'an passé pour les 100 ans de sa naissance

Commentaires

  • Une fin à la mesure de l'« Institut international de vigilance, de recherche et de lutte contre le suici

  • J'ai très souvent remarqué en tant que médecin clinicien , que chez les couples plus âgés et très soudés , la disparition d'un seul du couple , sans qu'il fasse faire appel au suicide , s'accompagnait dans les 6 à 12 mois suivants du décès du second élément du couple

  • Merci.
    « Son indépendance d’esprit et de jugement était toujours étonnante. Il ne prenait rien pour argent comptant. [...] Jacques Laurent refusait qu’on puisse penser à sa place : il haïssait les chapelles, le politiquement correct, et, au rebours du fameux « devoir de mémoire », il pensait écrire un texte pour prôner le « devoir d’oubli », seul garant pour lui de la continuité d’un État. »

  • J'avais découvert ce superbe article, il y a quelques jours : très plaisant à lire, érudit, merci Marc ! :)

  • On se tuerait plus à droite (de l'échiquier littéraire) alors qu'à la gauche on ferait mourir les autres à force se lamenter?

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