Réflexions nocturnes sur Maurice G. Dantec, cet écrivain en avance sur les haines de son temps
J'ai découvert Maurice G. Dantec, en 1996, avec un cyber-polar halluciné, intitulé Les Racines du mal. Très marqué par ce polar-monde, qui revisite le Mal radical s'étant abattu sur le XXe siècle, je n'ai manqué aucun des deux tomes de son Journal de catastrophe générale (TDO 1 & 2), dès leur parution en librairie. Je ne sais pas si l'on doit prendre très au sérieux cet écrivain millénariste, mais on ne peut lui dénier qu'il a compris que notre monde était parvenu à sa décadence finale. Cette note a été écrite en 2002, dans une sorte de nuit des Olympica, pour reprendre cet état second cartésien, dans lequel il a vécu la naissance de la rationalité. Me laissant envahir par mes pensées, j'ai pondu ce texte, que je mets en accès libre dans l'Ouvroir.
Voilà un écrivain heureux ! Il peut écrire tranquille, il vieillira en très bonne santé. Mieux : « Ne l’entendez-vous pas répéter que, dans ses oreilles, dans son esprit et dans son cœur, les voix de quelques chers morts (Bloy, Hello, Péguy et tant d’autres...) qui jamais n’eurent peur de se lever pour clamer dans le désert certaines vérités douloureuses et terribles que le cul gonflé de l’Arrière tenta toujours de masquer d’un nuage pestilentiel, ont plus de consistance et de portée que les trottinements insignifiants des taupes progressistes ?
C’est donc l’humilité de Dantec qui lui donne sa force, à rebours de tant de plastronneurs pour lesquels la littérature n’est assurément pas une via dolorosa mais bien plutôt la venelle luisante de crasse qu’ils arpentent honteusement, où quelques vieilles putes sourient aux ténèbres malodorantes et dispensent à ces rôdeurs la jouissance suprême : le succès mondain », écrit Juan Asensio.
L’humilité de l’auteur, l’humilité de sa plume. Tout ce dont Rousseau ne sut jamais se vêtir : l’humilité, et une indifférence de combattant qui aurait terrassé ses propres détracteurs, lui qui se dut d’écrire de fausses confessions pour se défendre des attaques de Voltaire, des ennemis posthumes qu’il voyait déjà salir son nom et son œuvre. Pour qu’un auteur vieillisse en bonne santé, ne s’aigrisse pas, il doit se détacher de l’orgueil de la plume, de la vanité du papier et de l’immortalité de ses textes. Éviter les modes, les salons, les putes de la plume, écrire pour les autres, et s’oublier dans l’écriture, s’y diluer…
Nietzsche n’écrivait pas pour son temps. Schopenhauer non plus ! Ils écrivaient pour les générations futures, ils le disent eux-mêmes dans leurs livres. Ils étaient intempestifs. Et pour être intemporel, intempestif, il faut d’abord se prémunir des crachats, des quolibets. Et écrivant ceci, je pense évidemment à Dantec.
J’avais acheté son TdO (Théâtre des opérations) en 2001, malgré les critiques d’un thésard que je côtoyais dans les couloirs de la fac, et qui travaillait à l’époque sur l’ontologie de l’espace-temps, ce dernier me décrivant ce journal comme suit : « un journal-fleuve qui constate que c’est la merde partout, et qui, résigné, se dit et puis bon ! puisque c'est comme ça, j'en rajoute une couche ! » Une telle lecture est une belle démonstration d’imbécillité ! « Nietzsche en son temps dénonçait déjà la décadence. Certes. Mais lui, à l'inverse de Dantec, est contre la décadence, il créait quelque chose », continue ce garçon, très sûr de la pertinence de son avis.
Les racines du mal, paru en 1996 à la Série Noire
Dantec, entendant cet inepte doctorant, n’aurait même pas sourcillé. Et pour cause, Dantec fait un constat : tout est actuellement récupéré, digéré par un système qui ne pense plus, aux prises des schémas traditionnels et des dogmes de l'hypocrisie marchande et politicienne. Qui pense encore dans les décombres des grands penseurs ?
Première leçon à administrer à cet inepte étudiant de doctorat : pour être clair, tout va mal, tu as bien raison ! Mais contrairement à ce que pourraient penser quelques lecteurs besogneux qui ne savent pas être assez légers lorsqu’ils lisent des auteurs nous provenant du plus haut des cimes, ou souffrant d’une lecture trop superficielle, Dantec propose par ses journaux et ses romans, une vraie boite à pharmacie contre l’intolérance, la (dé)culturation ambiante, les cabales idéologiques, la fin de la littérature, le délitement des liens sociaux, les débats politiques transformés en discours politiciens ; bref, il nous enseigne la technique de survie en territoire zéro, il nous enseigne l’art de la lutte dans les catacombes de l’Occident.
Et de fait, ce livre n’est pas fait pour un tel imbécile, théoricien d’une vaseuse « ontologie de l’espace-temps » !
Génération d’étudiants décérébrés qui souffrent le temps présent en avalant les médicaments distribués par leurs professeurs, vieux vampires d’une époque glorieuse qu’ils ont épuisée de leurs dents aiguisées.
Et voilà pourquoi notre ami Dantec ne craint rien, ni les insultes ni les crachats ni le mépris de jeunes branleurs du verbe et de l’ontologie : Dantec comme Nietzsche, écrit pour les générations futures, générations post-nihilistes. Dantec est ce Zarathoustra des décombres, ce Zarathoustra qui vient nous annoncer non seulement la mort de Dieu, ou la fin de l’homme, mais aussi la fin d’une ère, le règne de l’Occident, et de la vieille Europe qui ne cesse de s’effondrer.
Villa Vortex, paru à la Noire, en 2003
Il annonce la fin des fausses valeurs : politiques, économiques, philosophiques, littéraires. Et nous prépare à un nouvel ordre métaphysique. Il nous y prépare avec des penseurs d’une trempe rare, comme Bloy, Céline, Nietzsche, Heidegger, Deleuze, Popper, Korbzyski, Marx, Bataille, Dumézil, Debord, Foucault, et des auteurs maudits tels de Maistre, ou encore des auteurs interdits de séjour dans les livres de français pour collège et lycée : Drieu de la Rochelle. Une belle liste d’auteurs « sulfureux » à faire frémir les crânes décérébrés gauchisants des facultés de philosophie en France.
Pour enfoncer le clou, Dantec conchie le mitterrandisme, n’aime ni tous ces cons d’archéo-staliniens, ni les néotrotkistes (que j‘invite à se regarder dans un glace pour confondre leur dialectique personnelle !)
De plus, il faut lire Dantec. Je veux dire, pas seulement son journal. Il faut lire ses livres dans la série noire.
Qu’est-ce qu’on y apprend ? Que Dantec a des obsessions durables : le retour de la barbarie dans nos civilisations modernes, les intégrismes religieux, la violence qui s’aggrave dû à une déferlante de psychotropes, le futurisme biotechnologique.
Vous comprendrez alors sans mal pourquoi Dantec ne craint plus personne, tous ces médiocres qui le jugent hâtivement, l’accusant de nihilisme, ou de fascisme, trop obsédé à survivre en apnée dans un monde en ruines, un monde crétin, préparant ses quelques lecteurs à l’avènement d’un homme nouveau qui survivra à la mort de l’homme post-humain.
ARCHIVE. Maurice G. Dantec en septembre 2006
chez son éditeur de l'époque. (LP/OLIVIER CORSAN.)