Entretien avec Laurent Kasprowicz. Ces morts qui nous parlent : notre réalité interrogée ?
Depuis Raymond Moody, et son Life after life (La vie après la vie), qui a été un succès planétaire dans la deuxième moitié des années 70, et où il recueillait depuis déjà vingt ans des témoignages de personnes affirmant avoir vécu une expérience de mort imminente, le thème des EMI (Expérience de Mort Imminente) n’a jamais faibli en popularité. En 2006, le Père François Brune publie, en deux tomes, un livre, Les morts nous parlent, qui demeure un classique du genre. L’ouvrage de Laurent Kasprowicz apporte une autre pierre à l’édifice. En publiant des témoignages sur des coups de fils venus de l’au-delà, l’auteur inscrit ses travaux dans la droite ligne de Scott Rogo et Raymond Bayless, dont le livre, Phone Calls From The Dead, a paru en 1979. Publiant chez Guy Trédaniel un ouvrage intitulé Des coups de fil de l'au-delà ? Enquête sur un incroyable phénomène paranormal, l’auteur reprend alors le thème des « coups de téléphone post-mortem ». Il y compile des témoignages d'appels téléphoniques provenant de proches décédés, afin de soulever une question essentielle pour l'humanité : sont-ils la preuve d'une après-vie ? Cet entretien s’inscrit dans une série qui a commencé avec Marie de Hennezel et le Dr Thierry Paul Millemann (publiés dans ce Blog), à propos de preuves ou suppositions apportées dans notre monde moderne et ultra-scientifique, d’une possibilité de vie après la vie. Ce troisième entretien ayant pour vocation de questionner sans préjuger cette délicate question aujourd’hui, et qui n’est rien de moins que le prolongement de croyances antiques, comme la transmigration des âmes chez Platon, n’a pas pour vocation de démontrer l’objectivité de ces allégations parapsychologiques, mais de se présenter comme une forme d’enquête métaphysique et morale. Cet entretien est paru dans le site du mensuel Entreprendre et dans Question de Philo. Il est désormais en accès libre dans l'Ouvroir.
Marc Alpozzo : Votre livre[1] traite d’un sujet assez peu abordé en littérature ésotérique, celui des « coups de fil post-mortem », ce qu’on appelle en anglais, « phone calls from the dead ». Vous savez, tout comme moi, combien il est difficile de traiter d’un tel sujet sans d’emblée être considéré comme délirant, voire déséquilibré. Vous soulignez d’ailleurs ce point par une phrase d’Alfred Hitchcock en épigraphe de votre courageux essai : « Si je parlais de ce phénomène dans un film, personne n’y croirait. » Votre livre est moins un livre de témoignage, qu’un livre de recherche d’explications. Tout d’abord, peut-on croire à de telles affirmations ? Et sur le plan scientifique, a-t-on la moindre chance d’obtenir au moins une preuve tangible ?
Laurent Kasprowicz : Merci pour l’intérêt que vous portez à mon livre. L’affirmation des témoins (et la mienne) qui consiste à dire qu’ils ont vécu et même parfois enregistré ce phénomène paranormal spontané repose sur un fait : il s’agit bien d’un phénomène paranormal ou aucune explication prosaïque n’est satisfaisante. Le téléphone sonne, vous décrochez et vous entendez la voix de votre proche défunt qui donne par la même occasion des détails exacts sur lui ou sur vous. Il y a même parfois plusieurs témoins et quelques fois le phénomène est enregistré bien qu’il ne dure que quelques minutes grand maximum. C’est donc objectif et matériel, bref, c’est réel. J’ai vécu cela et je l’affirme avec force. L’autre problème est de savoir qui ou qu’est-ce qui produit le phénomène. Est-ce bien les défunts ? En tant que chercheur, je ne propose que des hypothèses et les réflexions de plusieurs chercheurs que je soumets au lecteur.
Ensuite, vous posez la question de la preuve tangible. J’en ai. J’ai mon propre enregistrement du phénomène puisqu’il s’est répété plusieurs fois en une seule semaine. J’avais un magnétophone à l’époque et j’ai pu enregistrer. J’ai d’autres enregistrements de témoins. La preuve du phénomène, nous l’avons. Le chercheur universitaire Callum Cooper qui mène une recherche sur ce sujet a également pu entendre des preuves de ce type. La question est : qui est prêt à l’accepter ? De même, le phénomène possède des caractéristiques si précises qu’elles ne s’inventent pas dans la bouche des témoins. Des caractéristiques propres à ce phénomène, citées depuis les années 60 jusqu’à nos jours, que ce soit aux USA ou sur notre continent.
Ces phénomènes de manifestation des morts par des moyens techniques comme le téléphone, la radio ou la télévision sont étudiés depuis déjà longtemps, il y avait notamment un laboratoire d’études de ces phénomènes au Luxembourg. Par ailleurs, on sait que des chercheurs, dans les cas de poltergeists, ont suggéré qu’ils étaient rares, et peut-être produits par l’inconscient des témoins. Pourquoi ne peut-on pas affirmer alors que ce sont des phénomènes liés à nos inconscients ? Qu’est-ce qui pourrait faire dire le contraire ?
Ce sont peut-être des phénomènes créés par l’inconscient ou notre âme, mais cela n’enlève rien à la dimension paranormale totalement folle du phénomène. Ce qui pourrait faire penser le contraire, c’est par exemple que, dans quelques cas, c’est votre voisin qui reçoit l’appel ou un message répondeur provenant en apparence de votre proche défunt. Autre élément troublant, le phénomène peut se produire des années après le décès. Parfois, le phénomène d’un appel d’un défunt sert à mettre en garde le témoin d’un danger imminent. Enfin, parfois, et quand le décès a eu lieu, il y a peu de temps, le « défunt » a du mal à parler, paraît perdu, confus… Mais je le redis, nous n’en sommes qu’aux hypothèses pour expliquer ce phénomène et je les pose toutes sur la table dans ce livre… Aucune n’a ma préférence. Il se pourrait même qu’un jour, une autre explication, plus folle encore, surgisse et devienne satisfaisante. Ce qui ne sera jamais discutable à mon avis, c’est l’aspect paranormal du phénomène.
Dans Je vous écris (1993), Annie Duperey affirme sans fard que « les morts demandent à être aidés et à nous accompagner ». Des films comme Sixième Sens (1999), Les autres (2001), des séries comme Six feet under (2005) parlent du retour des morts parmi les vivants. On pourrait le dire ainsi : certaines personnes trépassées ignorent qu’elles sont décédées, et errent dans notre monde pensant qu’elles sont encore vivantes. Dans le film Sixième sens, les morts s’obstinent à demeurer auprès de nous, car ils attendent quelque chose des vivants. Peut-on dire que ces coups de fil de l’au-delà, comme vous les nommez, relèvent de cette nécessité ?
Cela n’est pas impossible. Nous ne savons peut-être pas, finalement, ce qu’être mort signifie…
Je préfère parler de plans plus subtils, je pense que le terme d’au-delà est mal approprié. La théosophie, qui est une forme de sagesse de Dieu, et qui date de l’Antiquité, définis dans sa version moderne plusieurs plans astraux, dont le plan physique, qui est le monde matériel tel que nous le connaissons, avec sa réalité atomique (biologique). Puis il y a aussi le plan astral, monde des émotions et des sentiments, et le plan mental, celui des pensées, des croyances, des concepts, etc. Alors que cette réalité en tant qu’univers purement mental a passionné les philosophes de tout temps et de toute culture, dites-vous, en même temps, les téléphones marchent bel et bien, et l’on ne peut argumenter en prétendant que tout cela n’est que pure chimère. C’est d’autant plus étrange que personne ne va tout à fait vous croire, sauf si la personne en question a fait une expérience similaire, et encore. C’est votre grand-père décédé qui semble vous avoir contacté et vous avez entendu le halètement très fort d’un chien durant l’échange. Vous imaginez bien que de tels propos vont faire sourire un certain nombre de lecteurs. Pourtant, vous avez choisi d’écrire ce livre, pour choquer nos représentations habituelles et notre rationalité. Pensez-vous que notre représentation de la vie matérielle, et forcément de la vie spirituelle, peut changer dans les décennies qui viennent ? On peut même penser qu’une telle révolution à la fois intellectuelle et mystique puisse nous ouvrir les portes d’une perception plus subtile et plus évoluée que la nôtre actuellement, calquée sur les principes et les règles de la physique et des sciences, non ?
Effectivement, je pense qu’en fait, c’est toute notre conception de la réalité qui est interrogée. Dans le cas des coups de fil, on a parfois des téléphones éteints ou cassés ou débranchés qui se mettent à fonctionner. Ce qui me fait dire que même l’explication des défunts ne suffit pas, à elle-seule, à rendre compte de la folie du phénomène. C’est notre réalité toute entière en fait qui connaît un bug lors de ces moments. C’est ce qui me fait proposer à la fin du livre l’idée que notre réalité est peut-être un tout psychique, un immense rêve en quelque sorte. Mais je n’ai pas écrit ce livre dans l’intention de choquer les représentations habituelles des lecteurs à propos de la réalité. Je l’ai écrit pour informer le public français de l’existence de ce phénomène. Si mon livre provoque ou challenge ce qu’on pensait être des certitudes, alors c’est ne n’est qu’une conséquence des faits que je liste à travers ces soixante cas que j’expose dans le livre.
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[1] Des coups de fil de l'au-delà ? Enquête sur un incroyable phénomène paranormal, Paris, Guy Trédaniel, 2023.