Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Entretien avec Hélios Azoulay, je réinvente le réel

Je connais Hélios Azoulay depuis le début des années 90, alors que nous fréquentions les mêmes cours de philosophie à l'Université de Nice, et que nous découvrions Kant et Hegel, suivant avec assiduité les leçons de Dominique Janicaud. À 40 ans, Hélios Azoulay a pris ses libertés avec son passé, qu’il a trouvé le courage de coucher sur le papier. Hélios est un homme, de Nice, de Paris, d’ailleurs, hanté par les fantômes de sa vie, dont la plus grande conquête aura été la musique, ainsi que le monde de l’expression. Grâce à la poésie, la littérature, la grande musique, Hélios Azoulay a trouvé un moyen de réenchanter sa vie, la rapiécer, la réparer, la dédommager. Un moyen ultime pour réinventer l’homme. Après avoir reçu son récit, qui m'a enchanté, je l'ai rencontré dans un bistrot du VIe arrondissement de Paris. Nous avons réalisé cet entretien, qui est paru dans la revue en ligne Boojum. Il est désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

 

 

 

Hélios AzoulayMarc Alpozzo : Votre roman Moi aussi j’ai vécu (paru aux éditions Flammarion en janvier 2020) est avant tout et surtout un récit autobiographique. Vous ne semblez pas d’accord avec cette définition. Pourquoi ?

 

Hélios Azoulay : Mon livre s’achève sur une sorte d’ouverture, un court chapitre intitulé AUBE. Alors qu’une autobiographie me semble toujours être un écho plutôt crépusculaire.

Je n’ai pas voulu raconter ma vie dans Moi aussi j’ai vécu. Bien sûr il y a de nombreuses réalités autobiographiques, mais quand j’en ai ressenti le besoin, je n’ai pas hésité à réinventer le réel en le piétinant à coup de burlesque, ou à l’aide d’autres sortilèges littéraires hallucinés.

Donc, ce n’est pas une autobiographie. Je n’ai pas écrit sur moi. Je me suis écris. J’en ai donc profité pour me revivre. C’est ma vie dédommagée par la littérature.

 

M.A. : Votre roman commence par la fin. C’est une manière plutôt originale de débuter un texte qui parle de sa vie. On a surtout l’impression que vous constatez une incapacité à vivre autrement que sous la forme d’un engagement total de soi-même, d’où cet hommage à la poésie, qui n’est pas la servante de votre propos, mais bien le cadre que vous avez donné à votre existence. Est-ce que je me trompe ?

 

Hélios Azoulay : La première personne que j’ai vu ouvrir mon livre, a éclaté de de rire. C’était une magnifique inauguration. Donc oui, sans doute est-il original de commencer un livre par le mot FIN. Mais si je puis me permettre une question : à l’heure présente, où nous respirons, là, maintenant, où nous parlons, ne sommes-nous pas, tous, à la fin ?

Quant à la poésie, c’est ce que je lis le plus. Je lis beaucoup moins de romans. Je dois donc être influencé par sa langue. Un rapport moins factuel au monde des mots, une intériorité plus concentrée, des appétits d’apesanteur.

Enfin, concernant ce que vous appelez « le cadre » de mon existence, laissez-moi vous raconter une anecdote sublime… Un jour, j’ai encadré le dessin d’un de mes fils, que je trouvais magnifique. En voyant cela, il s’est mis à pleurer. Je ne comprenais pas. Je lui ai demandé : « Mais pourquoi tu pleures ? Il est très beau ton dessin. C’est pour ça que je l’ai mis dans un cadre… » Il m’a répondu : « C’est parce que maintenant, on ne pourra plus le toucher ! »

A en croire de génie de l’enfance, la poésie s’accorde mal avec l’hommage que croit lui rendre « un cadre ».

 

hélios azoulay

Au théâtre du Rond point

 

M.A. : Beaucoup d’écrivains aujourd’hui écrivent pour un public prédéfini. Vous semblez au contraire, tenir une exigence absolue, en vous étalant devant vous, sans narcissisme. Il y a des blancs dans ce livre, qui se multiplient à mesure des phrases, et ce sont ces blancs qu’il faut comprendre. Vous écrivez sur le passé, vous y racontez votre famille, votre frère jumeau, que j’ai connu avec vous à l’Université de Nice, puisque nous suivions ensemble en 1ère année de D.E.U.G. un cours sur Kant, mais pas tant pour ce qui vous rattache au passé qu’à l’avenir. Votre titre semble donc être un bilan de vie, alors même que vous semblez poser plutôt la question ; qu’est-ce que vous voudriez faire de votre vie ? Plutôt qu’un bilan c’est une attente de ce qui va arriver.

 

Hélios Azoulay : Oui, il y a des blancs. Ma page ressemble finalement un peu à une débâcle. Des plaques de glace emportées par le courant d’un fleuve. Comme si la mémoire était un dégel.

Par ailleurs, ces blancs sont aussi des syncopes. Mais pas des syncopes au sens musical, des évanouissements.

Il ne faut pas les comprendre, ces blancs. Je crois qu’il faut les laisser être, les laisser reposer. Et en lisant ce livre à voix haute, même dans sa tête, ces blancs sont tout simplement des respirations, des silences. Un livre est une partition, aussi.  

Mais vous savez, vous m’interrogez à une heure où il est très difficile pour moi de réaliser les raisons de ce livre. Il est trop jeune encore. Difficile de le connaître, ou plutôt de le reconnaître.

Lorsqu’une œuvre aussi personnelle vous arrive, il faut du temps avant de savoir quoi de vous la signe, si vous me passez l’expression. Ce livre, pour moi, est encore à l’état sauvage. Il est loin d’être domestiqué. Dans dix ans je vous vous dirai comment je me relis. Et comment je me relie.

 

 

 M.A. Vous êtes connu pour être historien de la musique, compositeur d’œuvres parfois burlesques, parfois dramatiques, auteur d’essais très sérieux, notamment L’enfer a aussi un orchestre (La librairie Vuibert, 2015). Pourquoi écrire soudain ce récit autobiographique ? Est-ce qu’étaler cette enfance très malheureuse dans laquelle vous vous êtes senti heureux vous démangeait ?

 

Hélios Azoulay : Non, pas de maladies de peau. Aucune démangeaison. Merci.

Dans un chapitre de la partie concernant mon enfance, au DEBUT, je raconte que mon grand-père oubliait tous les matins le lait sur le feu.

 C’est le cas de mon roman. Il était sur le feu depuis longtemps. Oublié quelque part. Il a débordé.

 

M.A. : Votre roman mélange littérature exigeante, poésie, musique et dessins. Pourquoi ce choix ?

 

Hélios Azoulay : Encore « Pourquoi », cher Marc ? Mais pourquoi, Pourquoi ?... Parce que ! Parce que écrire nous improvise !

En revanche, le terme de « littérature exigeante » est amusant. Il me semble que la littérature exige de nous d’être exigeant. Sinon, il suffit d’écrire un livre. Mais ils sont nombreux dans ce créneau.

 

M.A. : Vous le dîtes vous-même, vous avez dû attendre quarante ans avant de trouver le courage de coucher votre vie sur le papier, au point d’en écrire un récit auquel vous déniez, à juste titre, la mention d’autobiographie, et pour cause, les mémoires d’un homme sont presque toujours des anti-mémoires, mais alors pourquoi avez-vous écrit cette enfance originale, pensez-vous que la poésie sauve la vie ?

 

Hélios Azoulay : Je pense qu’avec la poésie, parfois, on répare sa vie. Comme parfois, grâce à elle et par sa grâce, on sauve celle des autres. Donc ça vaut le coup, quand même !

hélios azoulay

Hélios Azoulay sur la scène du théâtre de la Contreescarpe
jouant Moi aussi j'ai vécu sur scène (février 2020)

 

Hélios Azoulay, Moi aussi j’ai vécu, Flammarion, Janvier 2020.

Photo de couverture © Catherine Dente

Commentaires

  • Notre passé est un héritage, force à vous !
    Einstein Code

Les commentaires sont fermés.