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Céline, l’inventeur coupable d’une langue

Dans son immense solitude, Céline est toujours vivant. Céline, toujours là auprès de nous, vivant, malgré la plus touchante bêtise de quelques-uns, lui reprochant son œuvre, lui reprochant le coup de grâce porté à l’idée de la littérature, à l’homme, à la meute. Céline réformateur ? Céline styliste ? Céline inventeur d’une langue morte ? Céline chroniqueur ? Cet article est paru dans le numéro 33 de Livr'Arbitres, du mois d'avril 2021. Le voici désormais en accès libre dans l'Ouvroir

louis-ferdinand céline,louis pauwels

Lettre de Céline

 

Cessons de nous focaliser sur l’invention d’une langue populaire qui n’existe plus ; langue qui sera bien évidemment imitée, au grand dam de Céline, par un paquet d’écrivains aujourd’hui oubliés, ou presque... Ce n’est pas simplement ce travail habile, subtil, d’artisan et de forgeron d’une langue du pauvre, s’invitant dans la grande littérature, dont il faut parler. C’est aussi, de ce regard, de ce focus interne inédit qui ose entrevoir l’imaginaire symbolique des hommes sous une forme neuve, qui réécrit leur grand récit collectif. D’où la grande condamnation morale. Car ce n’est pas seulement la langue qui sera liquidée par Céline, mais la moralité collective, le projet commun. Coupable, Céline l’est ! Il est coupable d’avoir eu la certitude que « la mauvaise herbe ne s’arrache qu’au prix de l’arrachage simultané de la bonne » pour reprendre la formule magique de Philippe Muray. Coupable d’avoir mis sa peau sur la table.

 

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Céline et Arletty dans les années 50

 

« Il y a des milliers d’écrivains, déclare-t-il à Louis Pauwels, ce sont de pauvres cafouilleux, des aptères, ils rampent dans des phrases, ils répètent ce que l’autre a dit, ils choisissent une histoire… c’est pas intéressant. J’ai cessé d’être écrivaiiiiin n’est-ce pâs, pour devenir chroniqueur : alors j’ai mis ma peau sur la table. Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n’avez rien, il faut payer. Ce qui est fait gratuit sent le gratuit et pue le gratuit. »[1] Voilà ! Rien de gratuit ! Car Céline n’invente rien. Céline se dit chroniqueur. Donc Céline écrit. Et il paye de sa personne pour ça ! Parce qu’un écrivain pour Céline, ça doit avoir vécu ce qu’il raconte. Il faut qu’il se soit presque fait tuer pour l’histoire qu’il nous raconte. Il faut payer, mais vraiment ! « Le véritable collaborateur, c’est la mort ou les associés : la persécution… »[2]

 

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Louis-Ferdinand Céline dans Télémag',  en 1955

 

La souffrance en un mot ! Certes, les personnages peuvent être fictifs : c’est la transposition. Cela consiste à faire sortir de l’être quelque chose de plus que ce que l’on voit. Mais la trame doit être vraie. Car, au fond, la grande inspiratrice, c’est la mort. Céline refuse toute autre forme de littérature qu’il laisse à ces individus lettrés qui lui semblaient si burlesques, plus jeunes. Un type qui raconte des histoires, ça ne peut raisonnablement pas être sérieux. Pas pour cet auteur qui veut dénoncer la guerre, la folie humaine, la pente carnassière des hommes. Il en parle dans ses Entretiens avec le Professeur Y. Et tout à coup, cette vision-là de l’écrivain, cette technique d’écriture-là, va lui rendre la vie impossible. Car TOUS voudront sa « peau ». Son travail de la langue, lui qui croyait au pouvoir des mots et au pilonnage en règle des codes et des conventions traditionnelles, au point de transposer le langage parlé dans l’écrit. Faire revivre l’émotion du langage parlé. Sa vision de l’être humain si noire et pessimiste. Ce désespéré de l’homme aux accents incantatoires, ce prophète de l’apocalypse, atteint, notamment à la fin de son existence terrestre, par la maladie de la persécution.

 

louis-ferdinand céline,louis pauwelsParu dans Libr'Arbitres, n°33, du mois d'avril 2021.

 

 

 

 

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[1] En français dans le texte, réalisé par Alexandre Tarta 1961, in Céline vivant, Editions Montparnasse, 2007.

[2] Voyons un peu, entretien audiovisuel avec André Parinaud, 1958, in Céline vivant, op. cit.

Commentaires

  • Lire "Céline seul" de Stéphane Zagdanski, pour saisir les racines du génie célinien. Pour ma part j'entends Céline, sa partition parfaitement réglée, sa musique qui fait sens plus que les mots.

  • Je viens de quitter " Mort à crédit " une prouesse de la langue !

  • Merci, bel article sur un sujet éclatant.

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