Le journal de Raïssa, la femme de Jacques Maritain
Les éditions Desclée de Brouwer ont eu la bonne idée de faire paraître le journal de Raïssa Maritain, la femme de Jacques Maritain, qui était épuisé depuis déjà 15 ans. Ces carnets de notes, et fragments, rassemblés par le mari de Raïssa, est l’histoire d’une conversion au christianisme. Cette recension est d'abord parue dans la revue en ligne Boojum, et elle est désormais en accès libre dans l'Ouvroir.
Voici un livre à ne pas mettre entre toutes les mains. Voici venir le livre de la conversion d’une femme pieuse au christianisme. Or, dans notre époque athée, anti-chrétienne, antireligieuse, qui fait presque de l’antireligieux un produit marketing, voici venir le livre d’une sainte, d’une femme pieuse, d’un cœur simple comme l’écrivait Flaubert à propos de son personnage Félicité.
Raïssa Maritain, femme du philosophe français Jacques Maritain, une des figures majeures du néo-thomisme au 20e siècle. Comme Thomas d'Aquin, Jacques Maritain fut l'artisan et le défenseur d'une philosophie chrétienne fondée sur l'expérience et la raison, indépendante de la foi, mais en accord parfait avec la Révélation. Philosophe prolixe, encore beaucoup lu aujourd’hui, il formait un couple indissociable avec Raïssa, cette philosophe tout autant poète que mystique. Si Jacques Maritain est encore dans les esprits de tous, Raïssa a tendance à s’effacer peu à peu de la mémoire collective. C'est d'autant plus regrettable, qu'elle fut celle qui mit les mots de la poésie sur une vie hors du commun, qui théorisa le besoin irrépressible et vital de l’oraison, et se tint derrière et aux côtés de l’homme qui partagea sa vie. Pour leurs amis d'enfance, Ernest Psichari ou Charles Péguy, c'étaient deux êtres à la pensée aussi vibrionnante que leur existence. Alors même que Raïssa laisse une œuvre poétique et philosophique remarquable, on considère, d'abord et avant tout, qu'elle est une mystique. Son journal, que j'ai eu l'honneur de recevoir, et que j'ai lu avec un bonheur m'habitant encore, va chercher ses racines de cette soif du ciel encore présente en moi, parle pour elle.
Jacques et Raissa Maritain
« Ô Jésus, combien votre Passion était nécessaire. Comme il fallait que votre adorable cœur fut transpercé pour moi. Ô Jésus ! votre cœur douloureux et saignant me dit de ne pas craindre et d’avoir confiance, il me le dit si fortement », écrit Raïssa dans son journal, le 20 juillet 1960. Combien d’esprits, de cœurs sont aujourd’hui capables d’entendre un tel message de paix intérieure, de tranquillité de l’âme ; combien d’entre nous sont capables de vivre en soi cette chaleur, cette passion, cet amour brûlant ?
Depuis que le christianisme fait « scandale », depuis qu’il est le chancre de la « contre-culture » actuelle (je reprends les termes de Jean-Pierre Denis dans un livre paru au Seuil en 2011), il est temps, je pense, de comprendre le message chrétien, dans sa profondeur dérangeante, déstabilisante, et surtout libératrice. Car le message est un message de libération, d’amour et de libration, et rien d’autre…
En 1962, le mari de Raïssa, qui n’est autre que le philosophe Jacques Maritain, rassemble ses notes et fragments éparses rédigés dans plusieurs carnets en 1962 et compose ce Journal.
C’est un journal composé de quatre carnets allant de 1906 à 1926 et un cahier vert concernant le « journal de 1931 », en plus des feuilles détachées et des notes et fragments trouvés par Jacques Maritain dans un autre cahier, un ensemble de méditations et de pensées pour soi-même jetées à la hâte par manque de temps, que Raïssa nous lègue, nous offre avec la charité de cœur qu’on lui connaît alors, après la lecture de ces brèves pensées, mêlant amour, joie, abandon, humilité, dévotion, passion pour le Christ.
Raïssa Maritain
La foi pour Raïssa n’est pas juste une affaire de sentiment ou de croyance, c’est une foi qui l’habite dans l’entièreté de son être, c’est une béatitude permanente qui lui donne la force et l’amour pour continuer et mener à bien sa mission ici-bas.
« Il est une béatitude propre à la nature spirituelle, et qui se trouve à son comble chez les bienheureux, où elle est immortelle comme l’esprit. »
À l’image des confessions de Saint-Augustin, ce journal est le dialogue d’une femme avec le Très-haut, un cri du cœur, un cri sans âge pour trouver la voie, celle du sauveur certainement, un cri trouvé dans les notes les plus intimes de l’épouse du philosophe. Certains lecteurs hésiteront, j’imagine à pousser très loin leur lecture, tant c’est dans la vie intime que ces notes ont été puisées, et certainement trouveront-ils quelque chose d’indécent dans le travail de Jacques Maritain à vouloir amener au grand jour ce que Raïssa vivait dans son plus personnel quotidien. Personnellement, je n’y vois rien de tout ça. L’entreprise est plutôt saine, partageable, réalisée en vue de mettre à disposition de tous, la démarche de Raïssa, portée par la grâce de la contemplation afin d’expérimenter « le mystère infini de Dieu, son amour et sa miséricorde » comme le dit très bien le frère René Vuillaume dans sa préface datant du 24 juin 1963.
Ce livre est donc le témoignage d’une rare et authentique « expérience du mystère de Dieu » dans la réalité humaine la plus ordinaire, mêlée à « la clarté d’une intelligence extraordinairement vigilante et amoureuse de la vérité ».
Écrit dans un langage très clair, et simple, on suit patiemment, mais passionnément aussi, l’itinéraire spirituel et philosophique d’une âme, qui progresse vers toutes les étapes de l’élévation spirituelle, en découvrant en elle sa nature divine.
Raïssa Maritain
Raïssa Maritain, Journal de Raïssa, Desclée De Brouwer, septembre 2018.
À voir aussi :
The Man Who Loved Wisdom: The Story of Jacques Maritain