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Franca Maï, Célérité meurtrière

Certains romans sont écrits pour dénoncer les petits mécanismes pervers qui nous rendent dépendants d’un système tyrannique, et lutter contre l’inhumanité ambiante qui nous éloigne sans cesse de notre bonheur. C'est grâce à ce roman rapide et sans concession, que j'ai rencontré Franca Maï. Nous sommes devenus amis, et elle m'a invité à venir m'exprimer dans sa revue en ligne résistante e-torpedo. J'y ai largement contribué, et j'ai publié cette chronique dans le Journal de la culture, en 2005. La voici désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

franca maïVoici le troisième roman d’une auteure qui, par les sujets, et par un style littéraire tranché dans le vif, ne peut pas laisser indifférent. Son premier roman avait pour personnage principal, un violeur. Le second, un jeune garçon enrôlé dans la guerre d’Indochine et une mère prostituée et toxico. Pour son troisième opus, elle n’a pas abandonné les situations sordides de notre société contemporaine. Elle n’a pas non plus abandonné ces personnages aux petites vies, mais dont le destin tragique en font des personnalités fortes, presque inoubliables.

 

Mata est une de celles-là. Jeune fille de seize printemps, elle vit toute seule avec sa mère dans une HLM, tandis que son père, parti lorsqu'elle avait cinq ans, ne les aide plus, se contentant d’envoyer une simple « carte postale sans adresse d’expéditeur, une fois par an ». Elle voit sa mère travailler « à l’usine du coin, baptisée Coutinex la dévoreuse », et elle sait parfaitement, même si la maman le cache, qu’un plan de licenciement la guette. Mata voudrait aider sa mère. Elle n’aime pas la voir ainsi souffrir. Seulement, voilà : sa mère, une femme qui ne geint pas, qui ne se révolte pas, et qui réserve « toute sa tendresse et sa disponibilité » à sa fille Mata, « malgré la sueur, la fatigue et la répétition des gestes », veut qu’elle aille à l’école, et y travaille comme il faut. Parce qu’elle veut voir sa Mata s’en sortir plus tard, l’emporter sur son propre sort, à elle, cette « petite ouvrière de rien du tout (qui) a engendré une bombe d’intelligence ». Certes, Mata promet d’être obéissante, mais la rage de vaincre, et le sentiment d’injustice la font pourtant dériver vers des sentiers aux pentes très abruptes. Jeune éros sublime, qui contredit l’adage populaire : « sois belle et tais toi », cette bombe sensuelle et sexuelle est bien dotée d’une cervelle qui marche au quart de tour, d’une maturité déjà très en avance pour son âge, et d’une réelle intention de ne pas se taire.

 

Seize ans et la rage de vaincre

 

Mata, qui donne son nom au roman, n’est donc pas cette jeune nymphe de seize ans, proie, semble-t-il, facile, si l’on en croit les garçons qui lui tournent autour. Entière, farouche, elle a déjà le sens de la répartie, un esprit critique et cinglant, et une lucidité sans failles sur la violence de notre système : une système sans pitié, sans complaisance avec les faibles, les sans grade, ceux qui triment à l’usine, qui croupissent dans des cités dortoirs, et qui, un beau jour, se retrouvent jetés dehors comme des pions : « Quand un porc licencie et met des milliers de travailleurs dans la rue, ce n’est pas violent !... Il garde les mains propres. Les suicides à la chaîne, les anti-dépresseurs ou la fuite dans l’alcool, ce n’est plus son problème… Il a fermé l’usine, il s’en lave les mains… » Cette acuité à saisir les comportements complices des grands groupes, des patrons, fait de Mata une héroïne qui sait, contre vents et marées, ce qu’elle veut : elle ne veut pas mourir…

 

Rendre justice aux plus démunis

 

Alors Mata se rebelle : contre l’usine, la pauvreté, puis les plans de licenciements abusifs. Et contre cette fatalité qui va bientôt s’abattre sur sa mère. Alors, parce qu’il lui semble qu’elle n’a pas le choix, elle choisit : ce sera les armes : « L’état de nécessité, ça percute tes oreilles !... Tu as conscience que le monde dans sa superbe marche sur les SDF, en s’habituant aux borborygmes de leurs ossements. Ça dégage du bon engrais, la saleté humaine !... Je ne vois qu’une seule issue : la violence. » L’injustice, les différences sociales, les coups bas qui accablent les gens de sa condition, Mata entend s’en charger : prendre les armes, et venger sa mère, qu’une poignée d’hommes, d’entrepreneurs retors et menteurs vont finir par spolier.

 

Rapide et efficace

 

La trame de ce roman est volontairement minimaliste, plus un prétexte pour Franca Maï de dénoncer un système déshumanisant, et de dresser le portrait d’une jeune fille rebelle, rêveuse, qui pense encore que par les armes on pourra se battre pour un monde meilleur. Où se niche les utopies aujourd’hui ? Sommes-nous encore maîtres de nos destinées, aptes à vouloir un monde meilleur ? Franca Maï par ce roman semble se poser des questions d’ordre métaphysiques, aujourd’hui oubliées dans l’enfer du tout-économique, explorant les thèmes du licenciement, de la condition féminine dans la cité, d'une civilisation de plus en plus violente avec les bas salaires, et les sans-grade. Bref, un roman qui réveillera sûrement quelques consciences endormies. Mata est un personnage radical, sans rémission et sans compromission. Un pur « produit » engendré par la violence et l’agressivité de nos sociétés contemporaines, sociétés dortoirs, ou la plus grande partie des individus sont des ombres réduites au silence. Et Mata, en réaction contre cette infamie anti-démocratique a le sens de la révolte. Le final est bouleversant. Un roman écrit avec un style soigné, et sans fards.

 

Speedy Mata, Franca Maï, Le Cherche Midi éditeur, décembre 2004.

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