Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Michel Maffesoli, Contre l’orthodoxie de la bien-pensance

L’année 2020 aura amené son lot de croyances obligatoires, et l’usage du terme de « complotisme » par l’orthodoxie de la bien-pensance qui n’aura jamais fait autant recette. De quoi se pencher sur un livre datant du 1er trimestre 2019, qui nous parle d’une notion importante dans cette grande mascarade contemporaine, interdisant formellement le doute (qu’il soit cartésien ou sceptique) et l’esprit critique (pourtant cher à nos Lumières allemandes du 18e siècle !), celle de la force de l’imaginaire. Cette chronique est parue dans la revue en ligne Boojum. Elle est désormais en accès libre dans l'Ouvroir

michel maffesoli, aldous huxley, postmodernitéL’obsession des élites

Nul besoin de présenter Michel Maffesoli, qui est sociologue, professeur émérite de la Sorbonne, qui est l’un des plus grands observateurs de la postmodernité, de l’imaginaire et du quotidien.

 

Huxley en son temps, prédisait un totalitarisme scientifique qui était en train de s'établir sur le monde. Il ajoutait d’ailleurs à ce propos : « Il est peut-être déjà trop tard pour lutter. Ce n'est pas une raison quand même pour essayer de s'y opposer par toutes ces forces ». On peut même dire que cette seule phrase est la clé qui permet de comprendre la lutte des vingt dernières années de l’auteur du Meilleur des Mondes. On peut aussi dire que, toute proportion gardée, Michel Maffesoli reprend ce combat à son compte, dans la mesure de ses moyens.

 

Les élites (en faillite) ont la religion du progrès, la religion de la science, ce qui est en décalage avec les ambitions et les désirs du peuple, avec lequel ils sont de plus en plus déconnectés. Ces élites (faites de hauts-fonctionnaires craignant ces masses populaires) ne savent plus écouter la sagesse populaire, qu’ils voient avec contemption, hauteur et soupçon. Ce qui est populaire est alors aussitôt transformé en « populisme ». C’est aussi cette élite qui est le grand timonier de la bien-pensance.

 

Peut-être à rappeler que la pensée postmoderne intervient quand il s’agit de surmonter le désenchantement du monde, suite à la désagrégation des repères culturels ou religieux propres à la modernité. Cette pensée est apparue en réaction à l'échec patent des utopies révolutionnaires. La bien-pensance arrive donc à ce moment-là, qui est par définition un ensemble d’idées conformistes et soumises au politiquement correct.

 

La crise civilisationnelle dans laquelle nous sommes entrées depuis quelques mois, est l’expression même d’une postmodernité qui tremble, parce que les élites vivent une crise profonde, leur « anachronisme agonisant » est de plus en plus fragile. C’est selon Michel Maffesoli « un fatras idéologique, où l’on retrouve en un mélange indigeste individualisme, rationalisme et l’inévitable utilitarisme ».

 

À voir aussi : 

Michel Maffesoli : « Ce vitalisme que l'élite ne veut pas voir me donne espérance »

 

L’erreur de la bien-pensance

L’auteur voit que les oligarchies pressentent que leur pouvoir est en train de s’achever ; ils voient la fin du règne de la technocratie qui ne résistera pas longtemps à la puissance populaire. Ce « totalitarisme doux qui s’insinue dans le militantisme scientiste de la bien-pensance des élites modernes » est en réalité en faillite et le pouvoir mène des combats d’arrière-garde, d’autant qu’il y a une chose qu’il faudrait qu’ils aient à l’esprit, Maffesoli le dit ainsi : « le Réel c’est ce qui est possible que par l’irréel. »

 

C’est d’ailleurs dans cette faille que s’insinue la force de l’imaginaire contre les bien-pensants. Les fameux experts que l’on autorise à penser à la place des autres, ne sont finalement plus écoutés de personne, car on n’écoute plus les lubies et mensonges du pouvoir, car « il n’y plus rien de nouveau sous le soleil de Satan ».

 

Ce que nous montre dans ce livre Maffesoli c’est que cette élite mondiale est endogamique, qu'elle est devenue si abstraite, qu'elle affirme désormais de fausses vérités, mais avec quelle arrogance ! Cette déconnexion, et ce mépris pour le peuple, quand ce n’est pas une haine pour le peuple, s’est vue durant la crise des gilets jaunes, jusqu’à créer une méfiance durable vis-à-vis des intellectuels (appelés « experts » aujourd’hui), des responsables politiques, et des journalistes.

 

La défaite des élites

« Les jocrisseries, fêtes pseudo-culturelles ou intellectuelles, débat télévisés et autres « animations », mais aussi les interminables pseudo-échanges « entre soi » qui saturent les ondes et les colloques universitaires constituent, tout simplement, un déni du réel. Ne pas (vouloir) voir ce qui est là. Ce qui crève les yeux ; la condamnation de notre fausse conscience. Ce dont on a mauvaise conscience. D’où la nécessité d’une pensée radicale. Pensée allant à la racine des choses. »

 

On peut donc désormais comprendre cette ère du soupçon se levant vis-à-vis du journalisme aujourd’hui, ou des mass-médias, moins inquiets de vérité, que de proposer des « pages de variété ».

 

C’est quand le pouvoir restera ancré dans la puissance populaire que marchera la société, ce qui est clairement de l’ordre de l’idéal démocratique. Or, que vivons-nous, selon Maffesoli ? Une démocratie qui n’est plus le pouvoir du peuple, mais le pouvoir sur le peuple. Et si l'on veut sortir de ce piège alors « on ne s’adresse toujours qu’à quelques-uns », ceux-là même qui tentent de ne point être des esprits asservis. La bien-pensance fera pourtant le reste. Car, aller contre la bien-pensance, c’est prendre le risque de se marginaliser ; c'est prendre le risque d'être ostracisé par la « République des bons sentiments »  ; c’est même « parfois dangereux de transgresser » cette bien-pensance. Il est de bon ton pour la bien-pensance de dénigrer les idées neuves, pour les reprendre, mais en les affadissants. C'est la trahison des clercs. En 1927, Julien Benda par cette formule condamnait surtout les intellectuels s'engageant au nom de l'idéologie en faveur de causes extrémistes. En 2019, Mafessoli condamne les intellectuels qui s'engagent en faveur de la bien-pensance ; qui en deviennent les gardiens et les garants. L’idéologie politique devient alors un faire-valoir, pour « de faux savants » mais de « vrais escrocs ». C’est cela la trahison des clercs pour Maffesoli, c’est le « progressisme » qui est en réalité un rejet en bloc de « toute audace de la pensée », avec cette pratique sans âge de la « dépendance de l'employé vis-à-vis du chef de service, de l'étudiant envers son professeur [...] la perdurance de pratique quasi-féodales, clientélistes, mafieuses. » Pseudo-progressiste en fait, la bien-pensance est le« fourrier de l'immobilisme ».

 

C’est ce que l’on peut considérer comme la défaite des élites, avec cette ubérisation de la pensée, leur manque de courage, leur décadence. Contre la modernité des élites, s’opposera l’histoire ; les utopies changent avec les changements de fond. Voilà ce que nous apprenons en lisant le livre de Michel Maffesoli ; passionnant essai sur cette postmodernité décadente, sur la fin, en transition...

 

Un pamphlet plein de bon sens, pertinent et juste.

 

michel maffesoli, aldous huxley, postmodernité

Michel Maffesoli

 

Michel Maffesoli, La force de l’imaginaire contre les bien-pensants, Éd. Liber, Mars 2019   

 

En ouverture :
Joaquin Phoenix dans Joker, un film de Todd Phillips (2019) . 

Commentaires

  • Les élites sont haïssables.

  • A lire... Même si "l'entre soi de l'élite" si durement condamné dans cet ouvrage se pratique malheureusement à tous les étages. Aujourd'hui nombreux sont celles et ceux qui deviennent "bien pensant" pour autrui, le projet d'autrui pour soi cher à Mokhtar Kaddouri devient aujourd'hui central, chacun sa "paroisse", son territoire, sa doctrine. Ces rivalités entretenues créent de l'entre soi démocratisé à l'échelle de centaines de communautés, les mondes dans le "grand monde" tristement plus qu'une question
    "d'élite "... " L'entre soi" est le sujet anti démocratique par excellence enfin pour moi !

  • Les professeurs de philosophie devraient être déclarés d'utilité publique, comme vous, et remerciés d'être reconnus comme éducateurs des bases de la liberté de pensée!
    Merci à vous pour cette capsule synthétique mais très inspirante!

  • Très bon penseur !

  • Quand la bien-pensance est véhiculée par l'ingérence, le terrain de jeu de la démagogie est immense.

    La déconnection de pseudo élites du monde réel par la culture du dogme (religion dégradée de la bien-pensance) se constate par l'absence de courage comme de grands héros politiques, naviguant dans la médiocrité ambiante là où l'artifice des sourires sans consistance humaine prétend chasser la mauvaise mine de la pensée et de la complexité non démonstrative...

    Cela va de pair avec la mouvance déconstructiviste reniant la valeur de vraies leçons de l'Histoire sans refaire les livres à la guise de nos idéologues clientélistes en chefs.

    Nos aînés dont le bilan ne cesse d'être remis en cause post mortem par toute une classe d'imposteurs, avaient le courage de leurs opinions en distinguant bien l'intérêt national sans complaisance de ce qui relève de la traitrise allant en même temps de pair avec son lot de toxicité, là oû la perversion ne s'est jamais aussi bien portée.

    Construire l'avenir implique de voir le présent avec justesse, passant d'abord par un recul sur les événements. L'Histoire ne peut donc être rejugée, encore moins pour convenances personnelles.

    Seul le temps long fait donc notre oeuvre sociétale, tirons-en leçon.

  • Sectocratie.

  • Cette pseudo-élite n' a toujours éprouvé et manifesté que du mépris pour le peuple, qu'elle qualifait naguère de "populace" et qui aujourd'hui quand il s'exprime, est taxé de "populisme ". Les termes ont légèrement changé , mais le mépris est toujours le même...!

  • Il est temps de se souvenir que les leaders éclairés n'existent pas et qu'il est préférable de rechercher une certaine autonomie en développant nos propres contrôles sur notre vie.
    Pas facile, certes car nous avons été habitués ainsi par notre éducation qui nous soumettait à nos parents et nos professeurs.
    Cependant n'oublions pas que notre position d'enfant nous obligeait à faire confiance à ces personnes qui détenaient des connaissances qu'elles nous transmettaient.
    Et utiliser, évaluer les éléments de cette transmission et ce partage afin de se les approprier ou de les refuser devrait nous permettre d'acquérir une certaine autonomie dans notre vie d'adulte.
    Il faudrait prendre conscience des influences positives et/ou négatives qui nous ont façonnés et nous impactent afin de tenter de prendre un peu la main sur nos vies.

  • Il est toujours temps de prendre conscience de ses domestications sociales et générationnelles ...

  • Doit-on appeler “doute” ou “scepticisme” les thèses les plus folles qui font fi de la raison ? J’en doute ! Mais peut-être me définirez-vous ( d’autres l’ont fait) de bien-pensant orthodoxe. Ps : je préfère la bien-pensance à la malveillance même si ceci peut paraître un peu tiédasse !

  • MH ou comment se suicider avec la banane

Les commentaires sont fermés.