« Conversation avec le torrent », journal d’Henry Bauchau
Le premier tome du journal de l’écrivain, psychanalyste, poète, essayiste et dramaturge Henry Bauchau, Conversation avec le torrent, Journal 1954-1959, paraît aux éditions Actes Sud. Cette ultime trace de l’aventure intellectuelle et créative d’un grand artiste en devenir, ce laboratoire de l’écrivain est non seulement un grand moment d’émotion, mais aussi un fabuleux témoignage de son combat, de ses combats, de ses espoirs, et d’un long dialogue qu’il entretint avec lui-même. Cette recension est d'abord parue dans la revue en ligne Boojum, et elle est désormais en accès libre dans l'Ouvroir.
Il n’est pas rare qu’un écrivain tienne, aux côtés de la création de romans ou d’essais réguliers, un journal intime, qu’il publie de son vivant, ou que l’on publie après sa mort. Né à Malines le 22 janvier 1913, Henry Bauchau était membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique ; il vécut à Paris de 1975 à sa mort, survenue en 2012. Auteur prolifique ayant reçu de nombreux prix et distinctions, dont le Prix Max Jacob et le Grand Prix de littérature de la Société des gens de lettres, il a écrit de nombreux romans dont le fameux Œdipe sur la route, qui raconte la longue errance d’Œdipe, qui le conduira à Colone, lieu de sa « disparition » et de sa clairvoyance, roman racontant avec talent un voyage intérieur dans lequel un homme affronte les ténèbres qu’il porte en lui, jusqu’à atteindre la connaissance de soi.
Ses premiers journaux intimes paraissent à partir de 1992, d’abord Jour après jour (1983-1989) aux éditions Les Eperonniers, puis le Journal d’Antigone (1989-1997) aux éditions Actes Sud, en 1999, enfin le Passage de la Bonne-Graine (1997-2001) toujours chez Actes Sud, en 2002. Depuis, la publication de son journal se succède à un rythme bi-annuel. Jusqu’au dernier, Dernier journal (2006-2012) paru chez Actes Sud en 2015, et celui-ci, Conversation avec le torrent (1954-1959) paru cette année, toujours chez le même éditeur.
Pour ceux qui connaissent Henry Bauchau, on retrouve cette sensibilité et cette intelligence, qui nourrissent ses romans et ses essais, comme L’Écriture à l’écoute publié chez Actes Sud en 2000, ou Œdipe sur la route, paru en 1990, chez le même éditeur. Pour les autres, vous retrouverez cette voix, ce timbre qui vous semblera désormais si familier, cette sagesse mêlée à une forme d’héroïsme, celui de continuer le combat avec l’ennemi intime, celui qui se loge tout au fond de chacun, et avec lequel on cherche à en découdre chaque jour un peu.
« La voix joyeuse et courageuse de L. ce matin au téléphone. Le courage c’est pour une bonne part la gaieté. Vérité dont je devrais m’imprégner plus à fond et que je déserte constamment. »
Ce journal, tenu sur cinq années, de 1954 à 1959, est commencé le 6 juin 1954, par une question : « – Êtes-vous plus en paix depuis votre mariage ? » et s’achève le 20 décembre 1959, par une autre question, tout aussi saugrenue finalement : « Est-ce l’aisance, la vitesse, ou le rapport intérieur de notre être à ce qui rappelle sans doute le plus les sensations de vol chez les oiseaux ? » Deux questions, pour cet écrivain en devenir, dont les débuts marqués par de nombreuses influences, Marguerite Duras, Herman Hesse, Albert Camus entre autres, revenant sans cesse à la question, obsédé par des thèmes chers comme le marxisme, la nature, le rêve, et sûrement le bonheur, récurrent dans ses notes prises presque au jour le jour.
Mais, évidemment, ce qui est particulièrement intéressant dans ce texte, bien sûr, c’est de voir l’artiste au travail ; le jeune artiste nous livrer ses doutes, ses premiers accomplissements. Car, l’écriture est ce qui obsède Henry Bauchau. Elle l’habite sans cesse. Il vit pour elle. L’écriture, on le comprend vite, c’est le sens même de sa vie, de son combat, de son parcours intérieur.
« Il me semble sentir l’approche d’une œuvre nouvelle et importante, mais laquelle. Est-ce un roman au départ de l’analyse, est-ce une nouvelle pièce de théâtre ? Le personnage d’Alexandre et celui de Jules César qui reviennent me hanter. »
Conversation avec le torrent, c’est donc ce torrent intérieur, la création, la littérature, la foi, la poésie, ou encore l’engagement politique.
Henry Bauchau
Henry Bauchau, Conversation avec le torrent, Journal 1954-1959, Actes sud, janvier 2018.
En couverture : Henry Bauchau en 1991
Henry Bauchau