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Les ambiguïtés de la conscience sartrienne

La « vraie vie », nous dit Sartre, n’est pas ailleurs ; elle est dans la conscience ; elle est dans notre rapport aux autres ; elle est dans cette liberté inconditionnée que l’on reçoit en héritage dès notre arrivée au monde. 

 

 

1– La conscience et sa nudité

 

Il n’existe pas d’arrières-mondes. En posant d’emblée ce principe moderne, Sartre entend libérer la philosophie de l’illusion métaphysique, et ainsi affirmer une philosophie du concret et de la contingence, mettant désormais fin aux grands dualismes classiques[1], par exemple, être/paraître, intérieur/extérieur, acte/puissance. Mais l’originalité spécifique sartrienne, se réclamant d’une phénoménologie de l’objet concret, montre que le paraître exprime l’« être d’un existant », en radicalisant ainsi le retour vers les choses mêmes[2]. Dès les premières lignes de l’introduction de L’Être et le Néant, Sartre souligne avec zèle le poids du réel, son urgence[3], en abordant directement, et frontalement, l’être du phénomène.

Le phénomène, nous dit Sartre, se dévoile tel qu’il est[4]. C’en sera d’autant plus facile de le décrire dans sa nudité absolue. À cela, Sartre tentant le pas, réduit la philosophie de l’être à l’acte même, et ainsi efface toute possibilité de puissance pré-existante. Écoutons-le : « Tout est acte. Derrière l’acte il n’y a ni puissance, ni « exis », ni vertu. Nous refuserons, par exemple, d’entendre par « génie » – au sens où l’on dit que Proust « avait du génie » ou qu’il « était » un génie – une puissance singulière de produire certaines œuvres, qui ne s’épuiserait pas, justement dans la production de celle-ci. Le génie de Proust, ce n’est ni l’œuvre considérée isolément, ni le pouvoir subjectif de la produire : c’est l’œuvre considérée comme l’ensemble des manifestations de la personne. »[5] L’Être est ainsi réduit à son apparition. La description phénoménologique sartrienne se refusant désormais de recourir à l’hypothèse d’une réalité transcendante, comme si, soudain, Sartre trouvait là le moyen d’enfin rendre le monde à sa vérité. C’est tout du moins la démarche qu’il entend suivre, faisant de la recherche de l’être, probablement l’unique « argument ontologique » de tout son livre L’Être et le Néant. Une recherche de l’être qui débouche sur l’être de l’apparition, c’est-à-dire l’être du phénomène. Or, cette présence de l’être dans le phénomène, – ayant pour fonction première de désenchanter le monde, – n’est pas à proprement parler un renversement du platonisme, mais son surpassement, dans un mouvement qui réconcilie l’être et l’apparence[6].

 

 Cependant, ne nous y trompons pas : à la différence de Heidegger qui fait du Dasein un berger de l’être, cette recherche de l’être sartrienne a pour seul objectif de fonder un principe d’identité qui, de manière tautologique, exprime l’idée que le phénomène est phénomène. Un monisme phénoménal exigeant alors nécessairement un dépassement, parce que plongé dans le monde, je n’ai pas de rapport direct à ce dernier. On trouve alors une distance entre la conscience et le monde[7] à la manière d’un écart. En effet, l’être qui m’apparaît n’est pas l’être de l’existant. Ce dépassement aura donc lieu, et ce sera dans l’opposition entre être et paraître[8]. Les premières pages de l’introduction, dont le but est de clarifier cette « Recherche », opposent le phénomène à l’apparaître, en posant comme principe que le phénomène est pour nous uniquement ce qui nous apparaît[9]. Étant essentiellement en soi, le Phénomène est tel qu’il est, et s’oppose à nous dès son apparition.

 

La philosophie de Sartre est à la fois une philosophie du phénomène, mais également une phénoménologie essentialiste. En affirmant ainsi que « l’apparence est l’essence »[10], Sartre introduit là le concept husserlien d’intentionnalité[11], et met désormais en question les rapports entre l’objet et la perception. Pour comprendre, prenons son exemple de l’apparition de la tasse. Elle est posée là, mais elle n’est pas moi. Comment vais-je être affecté par elle ? C’est le jeu du fini et de l’infini, ou plutôt le jeu « fini dans l’infini », ce nouveau dualisme sartrien, qu’il s’agit de questionner. Suivons-le pas-à-pas. La tasse est cette « apparition » finie, prise dans le flux des possibilités « infinies ». Lorsque je perçois la tasse que j’intentionne, l’objet déborde ma perception ; je dois affronter la richesse de ses déterminations, et accepter de ne pouvoir le saisir dans sa totalité. Pourquoi ? Parce qu’affrontant l’objet, j’exclus chaque fois une infinité d’autres points qui m’attendent[12]. L’être étant la condition de tout dévoilement. Parce que Sartre veut montrer que le phénomène est tel qu’il apparaît, nous ne devons pas chercher derrière ou au-delà du phénomène qui s’identifie à l’être. Il n’y a aucune essence cachée derrière l’apparence. Elles se révèlent d’un coup ensemble. Et en étant déjà dans le phénomène, l’être s’annonce comme transphénoménal[13]. Ce qui appelle un dépassement du phénomène vers un être non-phénoménal[14].Voyons désormais comment cela affecte principalement la conscience.

 

  1. La proximité et la distance de la conscience

 

α. La conscience n’a pas de contenu

 

La conscience est vide. Elle n’est ni une faculté, ni une propriété, ni même un contenant, mais elle est relation à, intentionnalité. C’est-à-dire que « la conscience est conscience positionnelle du monde » (EN, p. 18.) La conscience, n’ayant pas de dedans, s’élance vers l’extérieur, est dirigée vers le « dehors ». De fait, lorsque la conscience est connaissance, elle est connaissance de son objet, en tant qu’elle est conscience d’elle-même d’être connaissance de son objet. Que faut-il alors comprendre ? D’une part, que Sartre rejette toute possibilité d’intériorité de la conscience[15]. D’autre part, que la conscience est pure spontanéité[16] et, qu’ainsi, elle s’engendre elle-même[17], c’est-à-dire qu’elle se distingue d’une chose en ce sens que, n’étant pas une présence à soi, elle implique une distance à soi, un rien ou un néant qui, la séparant d’elle-même, creusent à la fois la réflexion et la temporalisation[18].

 

Aussi Sartre, faisant de l’acte intentionnel un inconditionné immotivé, doit à la fois résoudre, dans cette introduction, le problème du monisme que l’être du phénomène a soulevé, – puisque le phénomène n’est, en lui-même, pour nous, rien d’autre que ce qu’il présente de lui –, en donnant une réponse au monisme phénoménal que cela suppose, grâce au dépassement de l’opposition être et paraître par l’apparaître de l’être[19]. Le tour de force phénoménologique sartrien étant là de refuser la réduction de l’esse du phénomène à son percipi[20] et d’ainsi montrer que, par le négatif, l’existence est constituable. On voit désormais, qu’avec Sartre, le cogito, ne pouvant aller jusqu’à l’essence, demeure au niveau de la perception. C’est d’ailleurs « une condition suffisante : il suffit que j’aie conscience d’avoir conscience de cette table pour que j’en aie en effet conscience. Cela ne suffit certes pas pour me permettre d’affirmer que cette table existe en soi – mais bien qu’elle existe pour moi. »[21] De fait, quand la conscience se dirige vers quelque chose, elle se transcende, c’est-à-dire qu’elle se porte au-delà d’elle-même[22].

 

Cela tient de l’idée principale : la conscience sartrienne est vide. De fait, la voilà contrainte de se porter vers le dehors, parce qu’elle est conscience non positionnelle d’elle-même comme conscience positionnelle. C’est ainsi que Sartre conçoit la notion d’intentionnalité : une conscience qui ne peut ni avoir honte, ni être fière, ni vouloir, ni juger si elle ne se porte pas au-delà d’elle-même, c’est-à-dire si elle ne se projette pas « vers le dehors, vers le monde » (EN, p. 19.)

 

En fait, on trouve deux consciences chez Sartre : la première qui est conscience existante comme consciente d’exister (conscience positionnelle) – c’est l’attitude préréflexive, irréfléchi de la conscience tournée vers un objet distraitement, on parlera de conscience thétique ou positionnel – et de la même manière que Descartes doit douter pour avoir conscience de penser, lorsque je compte, selon Sartre, la conscience non-positionnelle et non-thétique de compter me permet d’avoir conscience de compter – c’est l’attitude réflexive ou réfléchie, c’est-à-dire le moment où la conscience peut se tourner sur elle-même et non plus sur un objet extérieur[23].

 

Pour comprendre, écoutons le philosophe français : « Cette conscience (de) soi, nous ne devons pas la considérer comme une nouvelle conscience, mais comme le seul mode d’existence qui soit possible pour une conscience de quelque chose. »[24] Considérons d’abord que la conscience sartrienne s’offre d’emblée sous une double dimension : Toute conscience est conscience de quelque chose[25] (c’est-à-dire qu’elle est projet deprojet vers) ; ce qui veut donc dire qu’il ne pourrait y avoir de conscience qui ne soit conscience de quelque chose, et Toute conscience est conscience (de) soi, (c’est-à-dire cette conscience non préréflexive qui se prend elle-même comme objet, et qui ne vise donc plus aucun objet du monde, se saisissant elle-même, dans un moment de mise au point, de compréhension d’une situation passé.) Ne visant pas ce qui fait précisément de la conscience une transcendance. Or, cela veut précisément dire qu’à la fois la conscience échappe à toute définition par l’être, mais que, ne dérivant d’aucune essence, elle ne saurait être pensable à partir d’un futur antérieur. C’est le jeu de parenthèses qui nous renseigne sur la question. Le « de » de « conscience de soi » étant mis entre parenthèses, car toute conscience de soi authentique est, selon Sartre, toujours « conscience non-positionnelle de soi » (EN, p. 20)[26].

 

Ceci étant désormais établi, continuons avec cette précision très importante que Sartre formule ainsi : « Toute conscience est conscience de quelque chose. Cette définition de la conscience peut être prise en deux sens bien distincts : ou bien nous entendons par là que la conscience est constitutive de l’être de son objet, ou bien cela signifie que la conscience en sa nature la plus profonde est rapport à un être transcendant. »[27] Nous trouvons dans cette affirmation l’ambiguïté même de la conscience sartrienne : l’être d’une intention veut que toute conscience est à la fois conscience de quelque chose et conscience de soi comme étant conscience de quelque chose. Or, cela veut précisément dire que la conscience n’est jamais inconsciente de soi.  L’intention dans la conscience s’exprime dans son double caractère phénoménal : à la fois l’objet intentionné, et à la fois le sujet qui ne peut l’intentionner qu’en lui étant irréductiblement transcendant[28]. La conscience n’existe qu’à condition qu’elle apparaisse, ce qui signifie, en d’autres termes, que la conscience existe par elle-même, et n’est pas tirée du néant, ceci impliquant dans l’être de la conscience un être non-conscient et transphénoménal. L’être est au fondement de la conscience, au sens où la conscience est antérieure au néant, et ce, même si elle est cause de sa manière d’être.

 

β. La conscience est « manque »

Considérons désormais que « La réduction de la conscience à la connaissance, en effet, implique qu’on introduit dans la conscience la dualité sujet-objet. »[29] Considérons également que le cogito préréflexif [30] est cette conscience de soi qui est « rapport immédiat et non cognitif de soi à soi » : la conscience est conscience de quelque chose. C’est-à-dire que c’est la conscience elle-même qui se produit comme révélation-révélée d’un être qui n’est pas elle, mais qui se donne immédiatement en tant qu’existant dès lors qu’elle est révélée. Voilà à présent que la thèse de Sartre  s’éclaire : « être conscience de quelque chose c’est être en face d’une présence concrète et pleine qui n’est pas la conscience. »[31] Entendons qu’il n’y a pas que le phénomène. Il y a également le monde. Et ce monde, avant nous, est. Irréductible à la conscience, ce monde est en-soi[32]. Il est plénitude. De la même manière, la conscience est une subjectivité absolue, et est irréductible au mode d’être du monde. Elle est manque.

 

De fait, si l’on veut considérer l’être du phénomène comme dépendant de la conscience, il nous faut admettre la part de non-être inhérent à l’objet dans la conscience. Car ça n’est pas sur le mode de la présence que les phénomènes dépendent de la conscience, mais sur le mode de l’absence. Un objet se donne à ma subjectivé par « apparition ». Et même si une apparition renvoie déjà à une autre, « chacune d’elles est déjà à elle toute seule un être transcendant, non une matière impressionnelle subjective – une plénitude d’être, non un manque – une présence, non une absence. »[33] Cela relève du principe du « fini dans l’infini » tel que nous l’avons vu plus haut. En prenant ici le même chemin que Heidegger, Sartre introduit l’idée de non-être en philosophie, et en affirme la crédibilité. Nous ne reviendrons pas sur les vives critiques que l’idée de non-être ont suscité jusqu’au maître de Fribourg[34], mais il est intéressant de constater là, que si l’être est[35], il appelle nécessairement l’être du non-être. Plus précisément, pour Sartre, le non-être est le fondement de l’être, à la manière du néant qui précèderait l’être au point d’en être la condition d’existence. On pourrait d’ailleurs légitimement croire que la thèse est ici paradoxale, voire provocatrice. Il n’en est rien. Mais continuons.

 

Négligeant d’emblée le retour à l’être heideggérien, la philosophie de Sartre se veut une philosophie de la subjectivité, c’est-à-dire une philosophie du sujet, ou plus justement une philosophie de la conscience[36] en tant que, continuant le dualisme kantien, son intuition phénoménologique présente le sujet selon deux angles: un être-au-delà-du-phénomène : l’être-en-soi (qui nous échappe), et un être (ne pouvant saisir de l’être que ce qui lui apparaît) : l’être-pour-soi[37].

 

Sartre appelle donc en-soi ce qui est pure identité à soi. À la différence de la conscience (de) soi, l’être est en-soi, non parce qu’il renvoie à soi, mais parce qu’il est. Entendons, sous la plume de notre auteur, que l’être-en-soi ne comporte pas la moindre distance, en comparaison avec l’être-pour-soi (la conscience (de) soi) qui, nous l’avons dit, est essentiellement fondé sur le manque, donc la distance à soi. L’être-en-soi est pure densité, « opaque à lui-même » car précisément plein de lui-même. Pour exprimer cette absence de distance ou ce manque de rapport à soi, Sartre emploie cette expression : « l’être est ce qu’il est »[38]. Traduisons : isolé en son être, l’être ne peut s’écarter de son être, incapable de tout devenir, de tout arrachement à soi, de tout rapport à ce qui n’est pas lui. Contingent, l’être-en-soi, en tant qu’il est ni possible ni nécessaire, est tout simplement.

 

L’être du pour-soi se définit en revanche comme manque, et comme distance à soi. C’est ce que Sartre exprime par la formule, devenue depuis célèbre : « l’être pour soi se définit au contraire comme étant ce qu’il n’est pas et n’étant pas ce qu’il est. »[39] Qu’est-ce à dire ? Contrairement à l’être en soi qui n’a ni secret, ni opacité, ni « dedans qui s’opposerait à un dehors », qui est brut, monolithique, « être […] et, en dehors de cela, rien » (EN, p. 40), le pour-soi est incapable de coïncider avec soi, car il est dévoilement de l’être, transcendant, hanté par le néant.  

 

jean-paul sartre

Jean-Paul Sartre à sa table de travail

 

_________________________________________________

[1] Dualismes dont la phénoménologie nous aurait semble-t-il débarrassé.

[2] Nous ne reviendrons pas sur la découverte, lors d’un séjour à Berlin, de la philosophie de Husserl qui donna, enfin, à Sartre l’autorisation de poursuivre ses propres intuitions, en réconciliant la pensée et l’expérience.

[3] I. Stal souligne fort à propos cette obsession sartrienne de jouir du réel tel qu’il est. Cette obsession est si forte, que l’on pourrait considérer, à la suite de V. de Coorebyter, puis d’I. Stal qui s’en inspire, que ses textes multiplient les trompe-l’œil dès lors qu’ils abordent la moindre profondeur dans leurs descriptions. Voir à ce propos de cette exaltation du concret, I. Stal, op. cit., p. 14 sq et 70 sq + n. 2.

[4] Notons que Sartre fait explicitement référence à Heidegger et le § 7 de SuZ, où le philosophe allemand distingue entre le phénomène (Phänomen) et l’apparition (Erscheinung), montrant que le phénomène implique nécessairement quelchose qui se tiendrait derrière.

[5] EN, p. 12 (c’est nous qui soulignons).

[6] Nous retrouvons là, le problème de la différence ontologique, c’est-à-dire le problème de l’être de l’étant. Nous reviendrons sur ce point plus loin, mais déjà, tentons de le clarifier, en précisant que l’ontologie sartrienne distingue deux types d’être fondamentalement antinomiques : 1°) la chose ayant un mode d’être qui est d’être ce qu’elle est, et que Sartre appelle l’en-soi, 2°) la conscience de ces choses que Sartre appelle le pour-soi. De plus, si pour Heidegger, « L’ontologie n’est possible que comme phénoménologie » (SuZ, § 7), pour Sartre, « Le phénomène est ce qui se manifeste et l’être se manifeste à tous en quelque façon, puisque nous pouvons en parler et que nous en avons une compréhension. Ainsi doit-il y avoir un phénomène d’être, une apparition d’être, descriptible come telle. L’être nous sera dévoilé par quelques moyens d’accès immédiat, l’ennui, la nausée, etc., et l’ontologie sera la description du phénomène d’être tel qu’il se manifeste, c’est-à-dire sans intermédiaire. » EN, p. 14. On voit là, que, malgré les rapports très intimes que Sartre entretient avec les thèses de Heidegger, la différence ontologique sartrienne se distingue nettement de la perspective heideggérienne. (Voir à ce propos, l’article très éclairant de Philippe Cabestan, « Sartre et la différence ontologique », in Sartre phénoménologue, Dijon, Editions Alter, n°10/2002, p. 65 sq.)

[7] N’oublions pas toutefois que, selon Sartre, l’homme ne précède pas le monde, mais que « la conscience et le monde sont donnés d’un même coup ». (cf. Une idée fondamentale de la phénoménologie de Husserl : l’intentionnalité, in Situations I, Gallimard, 1947, p. 32.)

[8] Il faut entendre le dépassement de l’opposition entre être et paraître par l’évaluation nouvelle de l’être du paraître.

[9] « Car l’être d’un existant, c’est précisément ce qui paraît. » EN, p. 12. On pourrait là se risquer à parler de dévoilement de la nature ontologique de l’être du phénomène.

[10] EN, p. 12.

[11] Nous rappelons ici que l’épokhé husserlien met entre parenthèses l’existence en soi du transcendant afin de saisir son appartenance à la phénoménalité. D’où la tâche spécifique de la phénoménologie de circonscrire la corrélation possible entre l’être du sujet et l’étant. Sartre reprend donc ici le concept afin de vérifier le sens de la conscience et celui de l’être, pensant l’intentionnalité comme « intuition révélante ».

[12] Notre propos ne concernant pas précisément le problème phénoménologique de la perception, mais celui de l’angoisse, nous renvoyons le lecteur, pour plus de précision, à propos de la perception et de l’image, à l’explication très éclairante de F. Jeanson, op. cit., p. 60 sq.

[13] Comme si l’être ne pouvait se manifester que dans un double mouvement : à la fois phénoménalement, et transphénoménalement. (cf. « En considérant non l’être comme condition du dévoilement, mais l’être comme apparition qui peut être fixée en concepts, nous avons compris tout d’abord que la connaissance ne pouvait à elle seule rendre raison de l’être, c’est-à-dire que l’être du phénomène ne pouvait se réduire au phénomène d’être. […] Il est un appel d’être ; il exige, en tant que phénomène, un fondement qui soit transphénoménal. » EN, p. 16.) La transphénoménalité sartrienne est une voie tracée entre réalisme et idéalisme pour résoudre les difficultés que posaient jusqu’ici l’objectivité du monde et celui de sa connaissance. 

[14] Sartre l’appelle « preuve ontologique », EN, p. 28.

[15] Roland Breeur accuse Sartre pour sa part, de laisser ainsi libre cours à sa « haine de toute intimité et de la mièvrerie de l’intériorité ou de la psychologie d’introspection ».  Op. cit., p. 234. Nous ne chercherons pas à entrer à ce niveau du débat, mais il nous faudra, cependant, plus loin, apporter une analyse critique de cet étrange déni de l’intériorité de la conscience par Sartre.

[16] Précisons que dans des œuvres antérieures à L’Être et le Néant, nous ne sommes maîtres ni de nos pensée ni de nos actes qui, créés ex nihilo, nous débordent car ils sont spontanés. (Cf. La Transcendance de l’Ego (1936) et La nausée (1938).)

[17] I. Stal apporte un éclairage intéressant sur les deux théories de la conscience sartrienne. A la fois celle de la maturité, que nous étudierons ici, officielle et lumineuse, et une seconde plus clandestine et souterraine que nous avons choisi d’ignorer ici. Voir à ce propos I. Stal, op. cit., p. 18 sq.

[18] Nous reviendrons plus loin sur cette notion et nous verrons le rôle crucial qu’elle joue dans la phénoménologie de l’angoisse sartrienne.

[19] Cf. EN, Introduction, II, « Le phénomène d’être et l’être du phénomène », p. 14 sq. Notons tout de même que la description de la conscience par Sartre, réconcilie le phénomène et le noumène, en rejetant ainsi le dualisme de l’apparence et de l’essence.

[20] Nous savons que l’empiriste anglais George Berkeley avait écrit une théorie de la vision et portait un intérêt à la nature de la sensation, concluant que tout ce qui existe n’existe qu’en tant que perçu par un sujet percevant. Aussi, aboutit-il à cette constatation : « esse est percipi » (être, c’est être perçu) et « esse est percipere » (être, c’est percevoir). Ce qui signifie clairement qu’un être n’existe pas en soi, mais doit être perçu par un autre être percevant pour exister, d’où la seconde formule : être, c’est percevoir. Cette réflexion féconde et très stimulante peut nous amener à en déduire que la cause des idées n’est pas dans les choses, mais dans l’esprit qui les perçoit. Néanmoins, ces formules de Berkeley ne sauront satisfaire Sartre, car selon le phénoménologue français : « l’être de la connaissance ne peut être mesuré par la connaissance ; il échappe au « percipi ». Ainsi l’être-fondement du percipere et du percipi doit échapper lui-même au percipi : il doit être transphénoménal. » EN, p. 17.

[21] EN, p. 18.

[22] On voit là apparaître le problème de la dualité sujet-objet fondée à partir du cogito cartésien. Nous reviendrons en seconde partie de ce travail de recherche sur cette limite phénoménologique dont Sartre n’a su sortir.

[23] « Toute conscience positionnelle d’objet est en même temps conscience non positionnelle d’elle-même. » EN, p. 19. 

[24] EN, p. 20.

[25] Ce principe d’intentionnalité est husserlien, et conduit à penser que la conscience n’ayant pas de contenu, est toujours « position » d’un objet transcendant.

[26] Ne pouvant plus longtemps user de cette expression où le « de » éveille encore l’idée de connaissance, Sartre dit qu’il lui faudra désormais mettre le « de » entre parenthèses, afin de signifier qu’il n’appartient qu’à une contrainte grammaticale.

[27] EN, p. 27 ;

[28] C’est la « preuve ontologique » sartrienne que nous avons vue plus haut.

[29] EN, p. 19.

[30] Le terme est de Sartre : « c’est la conscience non-réflexive qui rend la réflexion possible : il y a un cogito préréflexif qui est la condition du cogito cartésien. » Idem. C’est en opposition à Descartes et à Husserl que Sartre fait cette déclaration en introduction à l’EN. On sait que Sartre reprochait à Husserl de n’avoir pas laissé le plan de la réflexion, ce qui l’a irrémédiablement conduit à affirmer le caractère égoïque de la subjectivité transcendantale. (Voir à ce propos, P. Cabestan, Dictionnaire Sartre, Paris, Ellipses, pp. 38-39, « Cogito ». Sartre reprochera également à Heidegger d’aborder l’analytique transcendante sans en passer par le cogito. Infra, p. 15.

[31] EN, p. 27.

[32] On retrouve là, l’idée heideggérienne d’un monde qui se présente sur le mode de l’être. Voir Infra, n. 31.

[33] EN, p. 28.

[34] Voir Infra, p. 30 sq.

[35] « L’être est. L’être est en soi. L’être est ce qu’il est. » EN, p. 34.

[36] Cf. Infra, n. 21.

[37] A l’instar du phénomène et de la chose, l’être-en-soi et l’être-pour-soi ne sont pas coupés l’un de l’autre. Ils sont en réalité corrélatifs. Mais l’un est la dimension de transcendance de l’autre.

[38] EN, p. 33.

[39] Idem.

Commentaires

  • La philosophie sartrienne n'est pas une philosophie du sujet car elle manque la dimension fondamentale du corps. Ce sera d'ailleurs sur ce point que Merleau-Ponty entamera sa propre réflexion. Le rapport à autrui se modifie sous l'angle de la chair.
    L' échec sartrien quant au projet de construire une ontologie phénoménologique, cette impossibilité de dépasser le dualisme caractérise son attachement à l'ipséité.
    Il me semble au fond que ce qu'il faut retenir de Sartre, ce ne sont pas les apories de " l'Etre et le Néant " mais sa revendication pour la liberté.

  • Je l'entends bien, mais il y a une philosophie du sujet que l'on ne peut négliger chez Sartre, qui trouve d'ailleurs un prolongement satisfaisant chez Merleau-Ponty et Levinas. Par contre, l'échec de cette tentative est patente car, à la différence de ses deux confrères, il n'a pas su se détacher assez d'une conception cartésienne de la relation à l'autre. De très belles pages sur le rapport sexuel chez Sartre et une affligeante dualité des regards fondée sur la relation dialectique objectivante. Les apories de l'EN sont nombreuses mais on peut au moins retenir la revendication de la liberté et cette tentative de porter la tragique condition humaine sur son dos tel un preux chevalier, essayant comme il peut de lui donner non pas le feu comme Prométhée, mais le choix... Terrible destin que cette philosophie-là de la responsabilité humaine !...

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