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Michel Houellebecq, « Interventions », écrivain subversif ?

Au secours, Houellebecq revient ! Après son roman Anéantir, qui est paru en janvier 2022, et qui prolonge l'oeuvre de l'écrivain français, dont les deux premiers romans ont fait l'effet d'une bombe à la fin du siècle dernier, parait aujourd'hui, dans la collection J'ai lu, ses articles, entretiens et interventions jalonnant au fil de l'eau, une carrière bien remplie, depuis déjà plus de trente ans. Voici ma recension de ce livre, parue dans la livraison n° 40 de Livr'arbitres. Désormais en accès libre dans l'Ouvroir

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Alors que la sortie d’Anéantir est encore fraîche, voilà que le recueil de textes Interventions parait en librairie, dans la collection « J’ai lu », rassemblant autant de missives, de scuds, de bombes que Michel Houellebecq a fait paraître en trente ans de bons loyaux services. Car, disons-le, l’auteur des Particules élémentaires, est très certainement le dernier des Mohicans d’un monde à bout de souffle, enfermé dans ses délires narcissiques et ses procès personnels, autoflagellations et niaiseries en tout genre, élaborant depuis plus de trente ans, et patiemment, une œuvre cohérente et réussie, sur un Occident en déroute, qu’il voit passer peu à peu de la dépression collective au fascisme mou.

 

Interventions est un ouvrage qui détonne dans un paysage littéraire désormais de plus en plus consensuel et politiquement correct. Cela fait bien trente ans, ou presque, que c’est comme cela. On se souvient du foin que les médias avaient fait, à la sortie de son deuxième roman, Les Particules élémentaires, et des procès en indignation qui en avaient suivi. Ce nouvel opus, Interventions, n’échappe pas à la règle, précisément dans un pays qui, sans dire son nom, verse dans une forme de fascisme critique, distribuant les bons et les mauvais points, selon son catéchisme autorisé, ses directeurs de conscience, et son magistère politique et moral. Certains textes de ce recueil, frappés souvent au coin du bon sens, deviennent subitement des textes subversifs, précisément dans un pays où la parole libre n’est autorisée qu’à condition de répéter les mantras de l’opinion médiatique. Ce sera évidemment le cas pour son texte sur Donald Trump qu’il présente comme l'« un des meilleurs présidents qu'ait connu l'Amérique », ou son autre texte dans lequel il ose prendre la défense de la liberté de pensée d'Éric Zemmour, déclarant que depuis sa douzième année, il a vu « constamment se rétrécir, dans la presse, le domaine des opinions exprimables », sans compter ses charges contre les féministes, « j'ai toujours considéré les féministes comme d'aimables connes, inoffensives dans leur principe, malheureusement rendues dangereuses par leur désarmante absence de lucidité », l'euthanasie, « l'affaire Vincent Lambert n'aurait pas dû avoir lieu », et la littérature, « Jacques Prévert est un con », Victor Hugo est un « bon poète », etc.

 

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L'acteur et écrivain français Michel Houellebecq (à gauche) et
le réalisateur français Guillaume Nicloux (à droite)
posent au photocall du film "Thalasso"
lors du 67e Festival du film de San Sebastian,
le 25 septembre 2019. (Ander Gillenea/AFP)

 

J’entends déjà les nains de jardin et les mégères apprivoisées hurler à l’outrage public, accuser Houellebecq d’être méchant, antipathique et méprisant dans presque l’ensemble de ses propos. Je me souviens des flots d’indignation et de colère que pouvait déclencher chacun de ses nouveaux romans, ou certains de ses articles. Je pensais que cela se tasserait avec le temps. Il n’en a rien été. Certainement, parce que la plume de Houellebecq représente une menace pour les nouveaux curés de la morale contemporaine, il n’est ni assez guimauve, assez candide pour un pays qui verse dans le « Disneyland pour tous », ni assez consensuel avec les idées autorisées qui sont autant de caprices de grands enfants attardés, de dénis, de scotomisations dans un monde qui mise sur la forclusion, et sombre dans la sensiblerie généralisée.

 

Si Houellebecq a donc été classé à gauche au commencement de sa carrière, c’est sûrement par erreur. Depuis longtemps, ce dernier a compris, que la gauche ne ferait jamais de bonne littérature, ni ne transformerait notre société en un monde meilleur. Il a même compris que la littérature n’avait aucun moyen de changer les hommes. « La littérature ne sert à rien. Si elle servait à quelque chose, la racaille gauchiste qui a monopolisé le débat intellectuel tout au long du XXe siècle n’aurait même pas pu exister », écrit-il, avec lucidité. En réalité, la littérature et la langue de Houellebecq sont plus subtiles que ses contempteurs n’ont jamais voulu l’admettre. Alors que les Inrockuptibles, magazine à gauche, et dans lequel Houellebecq écrivait autrefois, dénote une évolution droitière, mais ce torchon oublie certainement, que la ligne de Houellebecq n’a pas changé, c’est sûrement parce qu’il s’oppose à l’euthanasie par exemple, ce qu’il ne fait néanmoins pas par foi, l’écrivain est athée, mais « pour des raisons morales évidentes », dit-il, puisque le devoir d’une société est de garantir aux malades « les meilleures conditions de vie possibles », sinon il devra se « séparer d’elle », s’il défend Zemmour, c’est parce que l’éditorialiste devenu homme politique lui fait penser à Naphta dans la Montagne magique, ce qui veut dire dans sa bouche, que « l’intelligence de Zemmour surpasse celle de ses actuels contradicteurs ». S’il pense que Trump fut un bon président, c’est parce que ce dernier « poursuit et amplifie la politique de désengagement engagée par Obama », et que l’Amérique donc nous lâche « la grappe », que Trump est issu de la société civile et déchire les traités commerciaux « quand il pense qu’il a tort de les avoir signés », et qu’à l’inverse des libéraux, « Trump ne voit pas dans la liberté du commerce mondial l’alpha et l’oméga du progrès humain », défendant d’abord « les intérêts des travailleurs américains ».

 

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Rumba la vie : Photo Michel Houellebecq Copyright Arnaud Borrel
- 2022 GAUMONT - POUR TOI PUBLIC PRODUCTIONS
– TF1 FILMS PRODUCTION – UMEDIA

C’est donc un peu plus de 400 pages de textes et d’entretiens, afin de nous mettre au clair avec la pensée d’un des plus grands écrivains de ce siècle naissant. On trouvera ses interventions souvent inégales, parfois un brin fumeuses, ou provocatrices, on dit souvent que Houellebecq est un dépressionniste autorisé, ce qui est largement faux, Houellebecq est cet écrivain du temps mort, de cette époque sans Dieu, qui donne aux esprits les plus brillants une lucidité térébrante, une acuité déchirante que l’on se refuse en temps normal, lorsqu’on n’a pas les moyens d’affronter une telle perspicacité. Houellebecq est l’auteur du désengagement, du refus de tout compromis avec le bonheur, c’est l’écrivain de l’absolu, le moraliste, le contempteur de la mondialisation heureuse, et d’une Europe au service du libéralisme économique, c’est l’adversaire des démons du socialisme, c’est l’écrivain qui se demande comment l’on peut encore penser après le meurtre de Chatov dans les Possédés de Dostoïevski. C’est l’ennemi de la modernité, le kobold de la littérature réactionnaire sans être réactive, à laquelle il donne définitivement ses lettres de noblesse.

 

Michel Houellebecq, Interventions, « J’ai lu », Octobre 2022.  

 

michel houellebecq,Éric zemmour,vincent lambert,jacques prévert,victor hugo,donald trump,barack obama,fedor dostoïevskiParu dans le n°40 de Livr'arbitres, Décembre 2022.

Commentaires

  • Brillant essai, bravo!
    J'ai lu La carte et le territoire, Soumission et Anéantir, je lirai sans doute " interventions"... Néanmoins, qu'il y fasse l'apologie de Trump, un suprémaciste blanc, un diffuseur de fausses informations, un fanfaron, un macho qui n'aime que les poupées Barby, un rouleau compresseur...enfin tout ce que je déteste, me dégoûte...et que le racisme d'Eric Zemmour ait grâce à ses yeux me gêne infiniment...Pourtant je ne pense pas avoir été formatée par le politiquement correct. On verra...

  • Un génie, une plume digne des plus grands. Ce qu’il dit colle parfaitement à notre temps…hélas. Il est l’auteur de la fin de notre civilisation. Je le lis, je l’admire, je le plains aussi. Ce ne doit pas être facile d’être Houellebecq.
    À tous ses détracteurs, j’ai envie de glisser à l’oreille cette triste vérité :
    « Quand un vrai génie apparaît en ce bas monde, on peut le reconnaître à ce signe que les imbéciles sont tous ligués contre lui. » Jonathan Swift.

  • @Dominique Vallée, Vous dites tout et vous espérez en son contraire
    Vous êtes formaté par le politiquement correcte ... C'est ballot

  • L'écriture de cet écrivain est un appel urgent à tout REFONDER..

  • @Salima Coolen Avec qui ??? les oracles, les visionnaires avaient déja tout dit, tout décortiqué précisement...il y a presqu'un siècle !!! Les Bernanos, Giono, Thibon, Weil, Orwell, H.G Wells.........et alors ??? Cela n'a strictement rien empêché...ni corrigé la cécité, pas plus que la funeste trajectoire entropique....La négentropie n'est qu'un mot, faudrait-il s'atteler à l'incarner...Avec qui encore une fois ??? Les châtrés d'LR ??? les "extrèmes" ostracisés ??? les divisions blindées du père Asselineau et celles de Dupond Aignan ???

  • Écrivain reconnu, analyste sociétal pertinent, homme libre surtout,.....
    Une espèce devenue rare !

  • Un écrivain dont les romans ont le mérite de se lire facilement mais dont les positions sont inquiétantes.
    Grâce à sa notoriété devenue mondiale, il a fortement contribué à la diffusion du fantasme de "grand remplacement" dans les esprits et ce, même si selon moi, il ne croit pas du tout à la réalisation du scenario décrit dans "Soumission". 
    Il a bien saisi en revanche le type de fiction qui avait toutes les chances de plaire au public. Bien joué de sa part. 

  • Un imposteur, qui passe son temps à décrire de manière poussive et indigeste les interrogations nombrilistes et angoissées de l'homme occidental.
    La lecture de ses œuvres est fort dispensable, alternant entre les fluctuations quantiques du vide et le cri de la chouette sous la lune par une journée froide de novembre en forêt de Fontainebleau.

  • Ou comment dénoncer le manque de mesure d'un écrivain en faisant montre du même défaut dans un (long) article.

  • Tous les avis sont utiles dans un monde qui se construit sur des idées. Qu'en pense la majorité ?
    Est-ce que Houellebecq est à l'origine d'une crise ou d'une guerre ?
    La critique fait vivre : trop de ceci, pas assez de cela.

  • Il y a deux grands écrivains contemporains vivants : Houellebecq, le moraliste et Matzneff le styliste.

  • Il faudrait signaler aussi l'humour de MH. Une qualité d'humour très pince-sans-rire et une ironie souriante qui vient adoucir son pessimisme. Et une façon de dire les choses de façon directe qui surprend dans le domaine de l'essai littéraire. Deux bons exemples "Jacques Prévert est un con" et le texte sur les féministes. Lecture jouissive, je souscris à votre analyse.

  • Michel Houellebecq est très bon écrivain. Il ne faudrait pas en faire une star utilisable par les réseaux. C'est seulement un très bon écrivain

  • Hum...

    MH : " Oui, c’est vrai, mais c’est une des choses qui m’avait poussé à écrire ce livre : en observant le phénomène sur place, j’ai trouvé que cela ne ressemblait pas du tout à l’image glauque, sordide et d’esclavage qu’on en donnait. Je n’ai finalement pas du tout vu ce qu’il y avait de répréhensible, quoi ! Malgré une certaine bonne volonté... Enfin : j’aime bien m’indigner en général, mais là je ne voyais vraiment pas de raison... je n’en vois toujours pas. Alors... ça vous met dans un état bizarre quand on s’aperçoit que tout le monde décrit comme un enfer vous vous paraît... quelque chose de finalement... plutôt une bonne idée".

    https://www.isabelle-alonso.com/articles-1/tourisme-sexuel-2

  • Le véritable Prix Nobel 2022 !

  • Esmina De Galicia : "Le prix Nobel de littérature (Nobelpriset i litteratur en suédois) récompense annuellement, depuis 1901, un écrivain ayant rendu de grands services à l'humanité grâce à une œuvre littéraire qui, selon le testament du chimiste suédois Alfred Nobel, « a fait la preuve d'un puissant idéal »

  • @Mathilde de Beaune : c'est exactement le cas de Houellebecq.

  • Esmina De Galicia idéal ? Houellebecq ? Je croyais que c'était le meilleur peintre de la déchéance contemporaine ?

  • Mathilde de Beaune : certainementplus méritant que Ernaux, la nombriliste.

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