Qu'est-ce que l'amour de Dieu ?
Suite aux derniers événements tragiques qui ont secoué notre pays, je remets en ligne des notes que j'avais publiées en 2010, suite à une émission que j'avais consacrée au grand film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux, sur RCF-Nice. Je vous les communique ici, réécrites sous la forme d’un article succinct.
Qu’est-ce que l’amour de Dieu ?
Il est possible d’apporter un début de réponse à cette belle question, en évoquant le beau film de Xavier Beauvois Des hommes et des dieux. Ce film retrace l’aventure humaine de huit moines chrétiens en terre musulmane, dans les années 90, vivant en harmonie avec leurs frères musulmans, proches, tout proches des populations. Ils seront néanmoins menacés par des groupes islamistes. D'où la première grande question, quasi-existentielle : doit-on partir ? Autrement dit, doit-on fuir notre mission, abandonner la population à elle-même ? Ce qui questionne le sens de l’engagement, et le sens de la mission religieuse ?
Or, qu’est-ce que la culture monastique, si ce n’est la recherche de Dieu ? Le titre de ce film est d'ailleurs inspiré d’un psaume qui va dans ce sens. Le psaume 82 : « Je le déclare, vous êtes des dieux, vous êtes tous des fils du Très Haut, pourtant vous mourrez comme des hommes, vous tomberez comme les princes. » À la fois fini et infini, l’homme, être mortel, a en son pouvoir la possibilité d’aspirer à la transcendance divine. Cela lui appartient, c’est son choix, et c’est en ce sens qu’il lui faut comprendre et accepter qu’il soit à la fois proche de Dieu, parce qu'il est perfectible, et par ailleurs, sur le chemin de la recherche de Dieu ; être fragile, faible, mortel, l'homme retournera inexorablement au mystère du commencement, autrement dit, à la terre, le berceau de l’humanité.
J'ai été profondément marqué dans ce film par le problème du choix. De nombreux passages soulignent la force de cette notion. Au moment où, sous le joug du fusil du chef des terroristes, le frère Christian refuse de donner les médicaments demandés, répondant ainsi à la menace faite sous cette forme : « Vous n’avez pas le choix ! », par un très émouvant : « Si ! J’ai le choix ! » Autre scène, extrêmement poétique, le repas final. Ils sont dans la proximité de la mort, l’imminence du mourir, et communient ensemble, partagent un dernier moment d’humanité et de joie autour des plaisirs de la table, - référence nette à la cène.
Qu’est-ce qui nous fait homme ?
C'est dans la grande scène finale, où se mêlent toutes les formes de l'humanité, que se pose, selon moi, la seconde grande question du film : Qu'est-ce qui nous fait homme ? La question est bien évidemment, une question profondément philosophique. Je répondrai pour ma part, que l’homme est un être de langage. Il peut dire « je ». C’est ainsi un être de sens. Il peut dire « je souffre » et au même moment savoir qu’il souffre. Il peut dire « je pense » et au même moment savoir qu’il pense. Faut-il préciser qu'en ce qui concerne la parole, toutes les grandes religions donnent une place importante à la doctrine du verbe divin dans l’institution du réel. On n’a pas transformé l’homme tant qu’on n’a pas modifié sa façon de parler.
Des hommes et des Dieux, 2010
Aussi, je ne voudrais pas avoir l'air d'insister, mais cette grande question du choix et de l'engagement est précisément le nœud du film. Car je crois que se profile, par ces diverses questions assaillant les moines à plusieurs reprises, la thèse même que pose ce film : l’être humain se définit par sa liberté. C’est ainsi que l’on comprend à la fois les nombreux doutes des moines, mais aussi, leur choix final d’affronter la peur et le danger, sans pour autant céder à la tentation du martyr. Ils ont ainsi affirmé leur liberté en restant auprès de la population, ce qui, par ailleurs, est la preuve que la liberté est cette tentative récurrente de s’affranchir des lois déterministes de la nature, l’instinct de conservation, et des passions humaines.
L'homme est également un être qui peut aimer. Prendre conscience qu’il est. Savoir qu’il peut mourir. Et, selon la formule de Heidegger, il est un « être-pour-la-mort ». C'est en tant qu’être-pour-la-mort, face à sa finitude, qu'on retrouve de nouveau la grande question du choix. Mais pas seulement ! On trouve également la question du doute, de la peur. La peur de mourir. Les doutes par rapport à son engagement. Le choix de partir ou de rester.
Et c’est en ce premier sens que j’entends Frère Luc dire à Frère Christian : « Je ne crains pas la mort, je suis un homme libre ». C’est en ce sens également, que je l’entends dire « Partir, c’est mourir ! Donc, je reste ! » Autrement dit, rester auprès de la population, mais également renouveler la question du sens de sa vie, la mission, l’engagement auprès de Dieu.
Ne sommes-nous pas là confrontés à ce qui est le propre du détachement, autrement dit, suivre son choix jusqu’au bout ? L’adhésion au destin, l’Amor fati. Ce qui signifie précisément, assumer son destin, jusque dans ses extrémités les plus ultimes.
Les huit moines cisterciens français vivent
en parfaite entente avec leurs frères musulmans
dans le village de Tibhirine (au cinéma)
N'est-ce pas le propre de l’attitude du sage ? Se déprendre du monde et parvenir à l’état de « non-attachement ». C’est cela, me semble-t-il, la finalité d’une existence authentique : se déprendre des illusions du Moi, de l’égoïsme, de la peur de la mort, des possessions (ma vie) et se fondre comme par anticipation dans l’esprit universel et impersonnel auquel on se devrait sagement d’appartenir.
On cherche à s’approcher du mystère de ces hommes de foi, prévenus des dangers et incités au départ, jetés dans le doute (Faut-il s’éloigner ? Faut-il rester ?), intérieurement ébranlés et amenés à entrevoir la possibilité d’un martyr qu’ils n’ont pas recherché.
Aussi, j'aimerais terminer ce papier, comme j'ai clos l'émission, par cette phrase que l’on trouve quelque part dans le film : « L’amour espère tout, l’amour endure tout ». Et en ce sens, je rajouterais ici, que l'amour de Dieu n'est autre que l'amour du Bien.
La communauté des moines cisterciens-trappistes de Tibhirine (Photo: DR)
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Fiche technique :
Genre : Drame
Origine : Français
Réalisateur : Xavier Beauvois
Acteurs / rôles:
Lambert Wilson : Christian.
Michael Lonsdale : Luc.
Philippe Laudenbach : Célestin.
Xavier Maly : Michel.
Olivier Rabourdin : Christophe.
Jacques Herlin : Amédée.
Loïc Pichon : Jean-Pierre.
Sabrina Ouazani : Rabbia.
Durée : 120 mn