Michel Houellebecq, précis de décomposition

Le roman Soumission de Michel Houellebecq est un récit crépusculaire et halluciné, le plus sombre de sa carrière, une sorte de roman catastrophe sur fond de suicide européen et de guerre des mondes. Cette recension est parue dans le site du Grand Genève Magazine, le 23 février 2015, et est désormais en accès libre dans l'Ouvroir.
« Le monde est de taille moyenne », Michel Houellebecq, Lanzarote.
Un monde désenchanté
Le monde de Houellebecq est habité par le désespoir. C’est un monde de taille moyenne, où « la tristesse est grande », « irrémédiable », à tel point qu’elle « (finira) par recouvrir tout »[1]. Les femmes y sont des objets de désir jusqu’à l’âge de 40 ans environ, puis c’est le déclin, condamnées à devenir plutôt des « oiseaux mazoutés » que de vieilles dames élégantes et raffinées. Leur avenir est sombre, d’une jeunesse flambante elles glissent irrésistiblement vers l’âge de la destruction, du démantèlement du corps ; il leur reste probablement quelques années à camper des rôles de cougars, puis c’est « la solitude définitive »[2]. Le monde de Houellebecq est un monde de torpeur, de vide et d’insatisfaction. Les hommes y sont pour la plus grande partie médiocres, las, éreintés, déçus. Le monde de Houellebecq est un monde fatigué. C’est un monde froid, un monde de l’affaissement des hommes, un monde déserté de toute grandeur, un monde de désolation et de désenchantement. Un monde où y règne le chaos[3].
François, le narrateur, est un professeur d’université quarantenaire, spécialiste de Huysmans, contemplant placidement la vie défiler devant ses yeux. Sa foi en l’existence est profondément altérée par une vision acerbe de nos sociétés occidentales et socio-démocrates, un regard désabusé pour ses contemporains, « hypnotisés par le désir d’argent, ou peut-être de consommation chez les plus primitifs »[4] sans compter ceux qui souffrent d’addictions. Il n’y a donc aucune place à la joie dans le monde de Houellebecq. Ses personnages sont des êtres dénués de tout espoir de bonheur, car dans ce monde-là, le bonheur n’existe pas.
À longueur de pages, on observe le narrateur vivre dans une France qui se réforme sur fond de crise politique sans jamais exprimer la moindre émotion. Sans plaisir non plus. C’est un homme froid, misanthrope, légèrement suicidaire, qui jette sur le monde un regard de glace, qui se partage entre des maîtresses qui lui sont d’un grand secours sexuel, et auprès desquelles il trouve parfois un peu de chaleur, même si sur le plan sentimental, il reste sans grand enthousiasme pour le couple, craignant que vivre avec une femme conduise « à très brève échéance, à la disparition de tout désir sexuel »[5]. C’est un homme qui cherche l’amour, mais sans trop de conviction. Un homme absent du monde.
Le monde de Houellebecq est un monde de lutte permanente ; les êtres humains y sont tantôt des objets tantôt des fantômes ; c’est un monde déshumanisé et vide ; un monde à l’horizontale, déserté de toute transcendance, plongé dans la solitude quotidienne. Ce monde, dit encore Houellebecq, c’est le nôtre.
Corps abimés
Les corps sont secs. Abîmés. Le narrateur a passé la quarantaine et son corps se dérègle peu à peu. Tout est implacable dans le monde de Houellebecq, et surtout les lois de la génétique. Les corps sont étrangers. Irrésistiblement calqués sur l’individualisme contemporain, ils évoluent dans l’espace social, indépendamment des autres, soumis aux dictats sociaux, aux contraintes de la performance et la jeunesse à tout prix. Dans le monde de Houellebecq, le vieillissement est une tare, une maladie incurable, et lorsque toutes les fonctions complexes périclitent, que reste-t-il d’un homme ? Le narrateur reconnaît bien qu’il a atteint la force de l’âge, mais cette force est en réalité une faiblesse, notamment parce qu’il est « incapable de vivre pour (lui)-même »[6], que l’humanité le « dégoûte », qu’il déteste ses semblables. Il leur trouve un peu trop de ressemblances avec lui, et cette ressemblance l’effraie, pris au piège d’une incapacité en fait à communiquer. Cette aversion pour le monde et l’humanité est assez récurrente chez les personnages houellebecquiens. Poussés au bout de leur misanthropie, qui les fige dans leur relation aux autres, ils souffrent d’une déficience de la parole. En réalité, François ne déteste pas ses semblables, il souffre surtout d’une haine de soi, d’une aversion pour ce qu’il représente, qu’il plaque sur ses alter egos ; il ne parvient, ou ne s’autorise à aucune réjouissance d’être ; il rejette toute justification, et souffre de l’image que les autres lui renvoient dans le miroir qu’ils lui tendent. François est un personnage qui pâtit d’une déficience de l’image de soi. C’est une âme fragile dans un corps en déréliction. C’est un être qui ne comprend pas le « sens de sa présence ici »[7].
Michel Houellebecq. Copyright : Michel Houellebecq.
Depuis son premier roman[8] Houellebecq s’est toujours fait le défenseur des opprimés, des sans-grades, des déclassés, des mort-nés. Comme Œdipe, dans la pièce de Sophocle, les personnages de Houellebecq ne vivent pas toujours sans justification, ni gratuitement. Ils souffrent, lancés dans une compétition narcissique, et souvent sans succès. C'est l'amour des « faibles » socialement, des naufragés, ceux que l'on n’a entourés ni d'amour ni de joie à la naissance et qui, dans le système libéral, sont les martyrs d'une logique du vainqueur. C'est Thanatos contre Eros, où tout est aspiré par la mort et la désolation. C'est l'amour de ceux qui ont été éjectés du cœur, exposés et abandonnés. François est de ceux-là.
François souffre d’être un corps. Symboliquement, il incarne le corps social, vieillissant, suicidaire, observant avec désespoir le sommet avant la chute ; concrètement son existence corporelle et à l’image de son existence sociale : guère satisfaisante. Sa vie est une accumulation de petits ennuis : la lourdeur du quotidien fait de panne de télévision ou d’Internet, de facture d’électricité à payer, de papiers administratifs. François essaye pourtant, mais jamais ne trouve la paix, la sérénité ; sa vie est une longue agonie. Dans le silence de sa solitude, il se demande ce qu’il sera dans dix ou vingt ans. Il imagine cette éventualité, alors qu’il pourrait recourir tout aussi facilement au suicide : « Je ne serais plus alors,(pense-t-il), qu’une juxtaposition d’organes en décomposition lente, et ma vie deviendrait une torture incessante, morne et sans joie, mesquine. »[9] Cet état de décomposition de son corps, qui rejoint sur un autre mode le corps social, est celui de l’homme moderne, quitté de toute joie, de tout bonheur, plongé dans une inquiétante nuit solitaire, et dont la seule manifestation en ce qui concerne les organes, n’est que la douleur. François fait l’expérience de cette douleur chaque jour. Seule sa bite, qui ne lui procure cependant aucune jouissance, ne s’est « jamais manifesté à (sa) conscience par le biais de la douleur »[10].
Cette souffrance et cette solitude s’expriment exclusivement dans le corps du narrateur. Son désespoir se mue en un corps sec, vidé de tout élan vital, ne parvenant plus au plaisir, étant à peine « une source plausible de souffrances »[11]. De nombreuses pages sont consacrées dans Soumission à la déchéance du corps, à la douleur physique, au cataclysme du temps sur nos fonctions complexes, à l’affaissement des chairs, à la perte de soi dans cette opération de destruction, à la grande tragédie d’être ce machin de chair et de sang.
Dans le monde de Houellebecq, les corps sont tristes, la sexualité est mécanique, et si ça s’accouple, que ce soit à deux ou à plusieurs, c’est parce que le déterminisme biologique est encore très présent. François cumule les conquêtes sexuelles, notamment grâce à un site Internet d’escortes, qui, excepté une seule fois, ne lui donnent aucun vrai plaisir. Dans le monde de Houellebecq, on est plongé dans un désert : désert des sentiments, désert du plaisir. La bite du narrateur est réduite à n’être qu’un « organe aussi efficace qu’insensible »[12]. Les étudiantes se prostituent pour payer leurs études, sans états d’âme, professionnellement, mais aussi très mécaniquement, et leurs corps sont réduits par le regard du narrateur qu’il leur porte à des orifices affectés à la fellation, la sodomie ou l’éjaculation tiède. Et si les érections ne faiblissent pas les corps en revanche se déchargent, les vases pour paraphraser Montaigne se vident, sans vigueur. Le corps est un moyen dans le monde de Houellebecq, un truc qui sert au plaisir, à la performance, au désir, à la perte de soi ; c’est un machin vide dédié à l’orgasme, ou à la souffrance, sans transcendance.
Tout démange chez Houellebecq, tout fait mal. Tout est douleur, tout est pétri d’une souffrance languissante, et le corps, au même titre que l’homme contemporain, dans sa destruction progressive, se perd et se ruine. Cette sécheresse des corps, liée à la sécheresse des cœurs très certainement, notamment celui du narrateur qui ne semble plus trop vibrer dans sa poitrine, est à rapprocher du vide spirituel de ses personnages. François, à la différence de son auteur de prédilection Huysmans n’est pas hanté par le catholicisme, il est un homme perdu au milieu de l’immensité du monde, sans foi.
Michel Houellebecq
Le désert d’un monde sans spiritualité
Le monde de Houellebecq est déserté de toute transcendance, de toute divinité. Dieu n’est pas mort chez Houellebecq, Dieu n’a jamais été là. Dieu est le grand absent de la société occidentale divisée, en déclin, au bord du gouffre. Cette désertion de toute spiritualité, est-elle la cause de la fin des valeurs traditionnelles, du désespoir généralisé, de la morbidité ambiante ? Même le parti islamiste Fraternité musulmane de Mohammed Ben Abes paraît vidé de sa spiritualité attendue. Un parti fondé sur l’ambition politique, la volonté de domination. On ne trouve rien d’halluciné dans ce parti musulman modéré. Il n’y a rien de radical dans ce parti musulman. Il est même prêt à donner plus de la moitié des ministères à la gauche, décidé toutefois à imposer du début à la fin de la scolarité un enseignement islamique. Prétendument humaniste, réunificateur, c’est un parti aux aspects très moyenâgeux que Houellebecq nous décrit, au fil des pages, lors de l’ascension irrésistible de son chef dans le nouveau paysage politique.
Dans le monde de Houellebecq, le paysage politique est divisé. L’UMP et le PS sont en déclin, à la limite de la disparition. Le parti islamiste conduit par Mohammed Ben Abes et le Front national conduit par Marine Le Pen font d’emblée office de vainqueurs probables aux prochaines élections présidentielles de 2022. Un tableau de politique fiction d’une noirceur terrifiante ; une anticipation politique sur fond de peurs françaises ; un panorama anxiogène destiné à angoisser le lecteur. Le pays des droits de l’homme pourrait à l’avenir basculer dans le camp des extrêmes durs, sonnant le glas de notre idéal démocratique. Chronique d’une élection annoncée se déroulant sur fond de guerre civile, qui n’augure rien de réjouissant donc. Car dans le monde de Houellebecq, les communautarismes montants font craindre le pire en matière de sécurité civile, et le déclenchement de l’état d’urgence n’est jamais très loin. Il n’y a aucune alternative possible à des partis extrémistes, qui ont pour dessein, de réduire le champ des libertés individuelles. Il n’y a aucune autre alternative non plus à l’économie de marché, aucun horizon au-delà du capitalisme libéral.
Dans le monde de Houellebecq, les hommes sont divisés en trois catégories : les gagnants sur le terrain de la sexualité et de l’économie, les semi-gagnants sur le terrain de la sexualité ou de l’économie, et les complets perdants sur le terrain de la sexualité et de l’économie[13]. Dans le monde de Houellebecq, les femmes sont des objets de consommation, prises au piège d’une métaphysique de l’amour[14], qui n’est autre qu’une ruse de la raison, ce qui veut dire une affaire de déterminisme biologique. Un travail souterrain de la nature en vue de la procréation. Ce matérialisme absolu déserté de tout souffle spirituel, cette mécanique des organes conduite d’une main de fer par la mère nature laisse penser chez Houellebecq que chaque être est déterminé par sa biologie et par ses instincts. L’organisation sociale, comme l’espace politique, est ainsi déserté de tout idéal, de toute poésie, de toute hauteur, et seule la compétition narcissique, et la performance l’emportent sur l’être et l’amour. Même dans le monde musulman, les femmes demeurent des corps lascifs, dédiés à la séduction et au plaisir des hommes. Mais à l’inverse de l’occident, tout cela ne se passe pas dans l’espace public, mais dans l’espace privé : « Les riches saoudiennes se transformaient le soir en oiseaux de paradis, se paraient de guêpières, de soutiens-gorge ajourés, de strings ornés de dentelles multicolores et de pierreries ; exactement l’inverse des Occidentales, classes et sexy la journée, parce que leur statut social était en jeu, et qui s’affaissaient le soir en rentrant chez elles, abdiquant avec épuisement toute perspective de séduction, revêtant des tenues décontractées et informes. »[15]
La décomposition du corps politique, sa déconfiture, se déroule sous nos yeux. L’UMP est au bord de la désintégration, le PS en mauvaise posture et, face à la menace qui rôde, les voilà contraints de s’habituer « à l’idée de gouverner ensemble »[16] et de s’unir au parti musulman pour contrer le Front National. Dernier sursaut républicain et antifasciste. Tout s’effrite, tout s’écroule dans le monde de Houellebecq. La France est au bord du chaos politique, prise au piège d’un parti musulman qui se présente comme le seul rempart contre la peste brune, mais qui souhaite réformer le pays en profondeur, certes sans violence, surtout si l’on prend en considération le parti d’extrême droite agressif et raciste, débordant de haine qui est d’emblée considéré comme vainqueur aux élections de 2022 dû à cette masse de Français qui veulent se protéger de la montée de l’Islam en France. Devant des leaders politiques traditionnels sans vision historique[17] le leader du parti musulman est porteur d’un projet novateur pour un pays proche de l’asphyxie politique. Cette déconfiture est due à la fois à l’effondrement des valeurs, que les soixante-huitards ont longtemps piétinées au nom d’une liberté métaphysique dont ils ne comprenaient guère le sens, entraînant la fin de la morale traditionnelle, la fin du patriarcat, la fin de la famille, la société française ayant, depuis plus de quarante ans, souffert d’un manque de sacré, sacré que les soixante-huitards n’ont eu de cesse de démonter également, de laminer au nom des droits individuels de chacun, transformant peu à peu les droits de l’homme en droits de l’hommisme, et s’indignant désormais devant ces nouveaux réactionnaires de la politique, criant au fascisme ; indignés ces « ultimes soixante-huitards, momies progressistes mourantes, sociologiquement exsangues (étaient) réfugiés dans des citadelles médiatiques d’où ils demeuraient capables de lancer des imprécations sur le malheur des temps et l’ambiance nauséabonde qui se répandait sur le pays »[18].
Avec le retrait de la religion chrétienne au sein de l’espace publique, avec la laïcité et la fin de Dieu, avec l’achèvement de l’histoire comme récit historique commun, avec la fin d’une vision globale de l’avenir, le projet islamique, tel que Houellebecq l’imagine, n’aura « rien à voir avec un fondamentalisme islamique » mais réduira les chrétiens « à un statut de dhimmis », fera de la France une annexe de l’Arabie Saoudite, de l’Europe un mouroir des idées démocratiques.[19]
Dans le monde de Houellebecq, le choc des civilisations touche à son apogée, le suicide de l’Occident est avéré, la fin de la démocratie est proche, le retour du religieux sous sa forme la plus barbare (aux yeux de l’occidental monogame, athée) est l’expression même des limites organiques de ses choix démocratiques. Dans le monde de Houellebecq, les élites sont prises au piège de leur aveuglement et de leurs petites lâchetés[20], ce qui a pour conséquence l’islamisation du pays.
Michel Houellebecq et son chien en Irlande.
Extrait d'un vidéo-montage.Exposition, Palais de Tokyo.
L’Islam comme soumission
« […] et je lui dis : « J’irai à Rocamadour ». »[21] Le personnage de Houellebecq, certainement inspiré par Huysmans, part en terres spirituelles, à la rencontre du Christ. Il se doit bien d’admettre que l’humanisme athée est un leurre, une vision de grand enfant, d’illuminé ou d’ambitieux qui veut se débarrasser de Dieu pour prendre sa place, se faisant « une haute idée de la liberté humaine, de la dignité humaine »[22]. Cette position d’un athéisme humaniste est difficilement tenable pour Houellebecq, qui montre que, dans une société désertée par la religion, les fascismes ont de beaux jours devant eux, que le retrait de la foi transforme les nations en « nations mortes »[23]. Pendant que le narrateur part à la rencontre du christianisme, à Rocamadour, l’islamisation de la France se met en place. François vit d’ailleurs cette mutation sociale sans trop d’émotions, curieusement obsédé par sa thèse de fin d’études supérieures, et par J.K Huysmans dont il doit finir une édition de ses œuvres pour le catalogue de la pléiade. C’est donc de manière totalement désespéré et cynique que le narrateur observe, tranquillement, l’implantation de l’Islam en terres françaises.
Il sera même initié à cette religion, dont il ne connait pas grand-chose, par Robert Rediger, qui est marié à trois femmes, dont une de quinze ans, et consomme de l’alcool – du Meursault. Étymologiquement, le mot Islam veut dire « Soumission » mais aussi « reddition », « résignation », « allégeance » à Dieu. Houellebecq ne fait pas dans son roman une exégèse du Coran ; il ne souligne pas non plus la variation des sens du mot Islam. Il fait une exposition scolaire et dogmatique des grands principes du livre sacré et de la loi coranique. Il met également l’accent sur la soumission à Dieu. Rien d’étonnant, tout dans le monde de Houellebecq est sous le joug de la soumission. Les êtres vivants sont soumis aux lois déterministes de la nature ; les religieux sont soumis à Dieu ; les femmes sont soumises aux hommes ; les élites sont soumises à leur aveuglement, et ainsi complices du désastre européen. Tout n’est donc que soumission, et toute soumission qui dure conduit bien évidemment à la dépression, s’il n’y a aucune autonomie dans nos actions, dans le respect des lois et des règles auxquelles nous nous plions.
Tout a également des accents de prophétie dans les romans de Houellebecq : « l’Islam était appelé à dominer le monde »[24], et tout cela se passera de manière assez mécanique, suite à la violence du XXème siècle, la négation de toute loi morale, la déliquescence des élites, et la mort de l’Europe[25]. Si les hommes se battent réellement, c’est au nom de grandes questions métaphysiques. Il est vrai que les matérialistes les plus intégraux ont toujours crû en leur bonne étoile. Il n’y a pas d’existence possible sans un minimum de croyance, ou au moins de superstition. « Newton croyait en Dieu, […] Einstein n’était pas davantage athée »[26]. Difficile de dire si Houellebecq prend le contre-pied de sa vision scientiste, mécaniste et athée qui a façonnée tous ses romans jusqu’ici, tant il a du mal à montrer que cette considération des choses serait fausse.
Par la bouche de son personnage Rediger, Houellebecq dresse un portrait de l’Islam, polygame, dure, organisée de manière très méthodique, mais il en fait également une respiration, un « poème mystique de louange […] au Créateur, et de soumission à ses lois »[27]. Il y a évidemment quelque chose de très pervers, de très tordu dans ces explications : continuant de penser que toute foi est une forme de soumission de l’homme à un divin autoritaire, il soumet le Coran à une vision unique, la sienne, déguisée par le truchement du dialogue, celle d’un pur état de résignation face à la folie du croyant, à la violence du patriarcat, et à la barbarie d’un texte sacré. Pour autant, il n’y a pas d’islamophobie chez Houellebecq[28], je pense surtout que l’écrivain pessimiste est un auteur envers et contre tous. Le Coran n’aura évidemment pas échappé à son doute angoissé.
Michel Houellebecq suspend la promotion de son
livre Soumission après l'attentat à Charlie Hebdo
Houellebecq ou l’habile manigance littéraire
La littérature de Houellebecq suinte. Elle suinte d'affres de fin de partie ; c’est une cartographie de la décadence, c’est une poétique du néant, une aspiration au pire ; c’est une littérature qu’on croirait presque fascinée par la chute de l’Occident. C’est un état des lieux. Un dépôt de bilan. Un constat d’échec. C’est une annonce renouvelée et définitive à chaque roman de la fin du monde. C’est une littérature catastrophe. La littérature de Houellebecq, c’est l’ultime combat avant l’extinction finale, – et Soumission me semble en être l’expression la plus aboutie. La littérature de Houellebecq, c’est une littérature sans concession et sans psychologisme. Une étude sociologique froide et sans appel de nos sociétés capitalistes libérales de ces cinquante dernières années ; c’est une peinture au vitriol de nos petites lâchetés, de nos petites bassesses, de nos vices.
Ce n’est pas une grande littérature, au sens académique du terme. On a souvent dénoncé à raison le style de Houellebecq, pour son absence de qualité particulière, fait de facilités, de techniques journalistiques, de didactisme, son réalisme forcené, son subjectivisme maladif, sa misanthropie. Sûrement est-ce la raison pour laquelle on refuse de le ranger parmi les grands de la littérature, comme Beckett, Cioran, Thomas Bernhard[29], pour autant ne nous contentons pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, ce serait ne pas de voir dans quelle encre cet écrivain trempe sa plume.
Il faut bien l’admettre, Houellebecq est de cette race d'auteurs qui bouleversent les codes et les conventions[30] ; il amène la littérature sur un terrain de la noirceur outrancière, la peinture d’une contemporanéité en totale déperdition. Il faut bien le dire, aucun auteur contemporain n’a osé approcher d’aussi près le mal de l’époque, n’a su décrire avec une telle justesse une période aussi troublée. L’encre de cette littérature est une encre chargée d’acide sulfurique ; elle lève le voile sur nos refoulés ; elle exprime sans détours ce qu'il en est des failles de notre conscience collective ; elle produit une littérature dangereuse, une littérature dérangeante, qui exaspère par ses défauts et ses excès, surtout parce qu’elle montre ce qu’il y a de plus noir en l’homme, notre part d’ombre ; elle exaspère, car elle exprime la détresse de notre civilisation. C’est une œuvre de la grande maladie de nos sociétés libérales, de la fin de l’Europe, du dernier homme. Et en ce sens elle est novatrice ; c’est une littérature de la mauvaise santé...
C’est sa grande force, mais aussi, bien évidemment, sa terrible faiblesse. Car c’est très probablement une qualité à double tranchant. La littérature de Houellebecq, c’est une littérature de la mauvaise conscience de l’homme occidentale. C'est une littérature de la conscience malheureuse. C’est le miroir de sa chute finale, de son trépas métaphysique, de son trépas religieux, de son trépas politique. C’est une littérature de la terreur. Une littérature en forme d’inventaire avant fermeture définitive. C’est une littérature du dernier homme, au sens de Nietzsche, de l’homme réactif, du nihiliste négatif, de l’homme malade de la vie, fiévreux, qui dit un grand « Non » à tout ce qui est ; c’est une littérature du ressentiment. Une littérature-miroir, sans appel, de la nostalgie mélancolique, qui regrette les temps anciens, les hautes valeurs, la grande morale, les mondes verticaux. Si elle exaspère encore ça n’est pas seulement parce que c’est une littérature de la grande maladie occidentale, c’est parce que c’est une littérature malade, malade de ses peurs, de ses fièvres, de ses fantômes.
C’est une littérature tragique, mais qui ne joue pas le jeu du tragique ; ce n’est pas une littérature qui n’espère rien, comme le ferait l’homme tragique, c’est une littérature qui veut détruire l’espoir. C’est une littérature animée d’une volonté morbide. C’est une littérature moraliste qui désire tracer clairement la ligne entre le Bien et le Mal, mais sans savoir véritablement par quel moyen procéder, pris au piège de son propre désespoir. C’est une littérature qui aime l’ordre et la logique, – tout est pensé et organisé selon le principe du bien et du mal. La vie selon Houellebecq est régie par les lois de la nature, elle est soumise au joug du déterminisme de l’élan vital ; elle est écrasée par les principes déterministes des règles de la sélection naturelle, du principe de la reproduction, des lois de la nature. C’est un homme coincé entre une vision cartésienne et scientiste du monde et de l’économie, et une conception morale de l’homme. Il y a un refus catégorique de la vie. Une haine de soi en qui se traduit par une vision pessimiste de la vie, une urgence poétique. Une tentative de rester vivant. De condamner les hommes pour leur faute originelle.
Il y a aussi, je dirai, quelque chose de désespéré chez Houellebecq. Il y a ce désespoir, cette noirceur de l’écrivain qui se trouve incapable de saisir ce je-ne-sais-quoi ce presque rien de l’existence. Il y a dans sa littérature cette impossibilité pour lui d’être en phase avec ce qui est. Il y a une horreur du sens ultime de l’existence. Il y a une peur de vivre. Et tout cela se traduit par un sens aiguisé du combat, de la survie en zone hostile, d’un sentiment d’isolement et de frayeur face au monde[31].
Pas de place à l’événement dans le monde de Houellebecq. L’homme lui-même est un facteur des lois déterministes de la nature, que l’économie capitaliste reproduit à merveille, et toute la société occidentale semble se calquer sur ces règles invariables et aveugles[32]. L’avenir de nos sociétés est la dépression ; et le seul remède au mal est un mal plus grand encore : le retour du refoulé, donc du religieux, sous sa forme la plus ancestrale, un Islam qui ferait reculer les droits et les libertés individuelles.
La structure même de cette littérature est la paranoïa, mêlée au besoin d’en finir, avec ses personnages, avec lui-même. Pas de place pour la tendresse dans cette littérature-là, ni même de place pour la joie. Tout est souffrance, solitude, catacombes, désespoir, soumission[33]. Tout est soumis à une conception cartésienne et déterministe. Rien n’échappera au rouleau compresseur d’une vérité comme certitude. Tout est inéluctable, notamment la fin.
La littérature de Houellebecq est une littérature de fin de siècle ; une littérature d’un monde à bout de souffle, et en ce sens, on peut bien dire qu’il a eu le génie de capter cet épuisement généralisé. Ça n’est pas une littérature éveillée. C’est une littérature qui protège et prolonge le grand sommeil des peuples. C’est une littérature mortifère, sans espoir de hauteur. C’est une littérature du petit homme. Et Soumission n’échappe pas à la règle. En ce sens d’ailleurs, il fait partie des meilleurs romans de l’auteur, car à la suite des deux premiers, il essaye de capter une peur première chez son lecteur : le fantasme de la disparition, le fantasme du désastre définitif.
C’est une littérature du vice, de la maladie, de la déchéance, du vide. Houellebecq a pris le tournant du XXIème siècle, mais en gardant son regard de fin de siècle. Sûrement, a-t-il grandement raison dans ses analyses politiques et sociétales de nos démocraties à bout de souffle ; il ne leur apporte néanmoins aucun remède. Sa littérature les achève même, selon une habile manigance littéraire qui est le dépressionnisme autorisée à toutes les pages. La fausse dénonciation, qui rejoint facilement la fascination du pire[34], n’est en réalité qu’une littérature sans nuances, une littérature nihiliste sous couvert de dénonciation du nihilisme. À force de persister à regarder le soleil noir de la dépression, cette littérature, pour reprendre la formule de Nietzsche[35], a fini par devenir ce soleil noir de la dépression, sans partage, sans recul. Qu’est-ce qui est dit de l’individu dans ce roman ? Que retient-on de la marche de l’histoire ? Peut-on trouver une autre forme de bonheur, hors de la jouissance du symptôme, et la soumission aux lois mécanistes de la nature ? Houellebecq a exploré avec finesse et intelligence les territoires obscurs de la dépression, et en ce sens son œuvre fera date, il a tiré la leçon de notre conception libérale et individualiste de la seconde partie du XXème siècle, et ses visions sont justes, mais il se garde bien de prendre la moindre hauteur. Il est un moraliste intrinsèque, il recherche à prolonger la mauvaise conscience de l’homme occidentale, mais il ne fournit aucune piste de sortie. Pourquoi le ferait-il du reste ? Est-ce bien son travail ? Soumission est dans la suite logique des autres, une longue et douloureuse plainte, un chant de l’irréversible fatigue, une agonie de fin de siècle, qui a le courage de regarder les choses en face, mais pas le courage de les dépasser. C’est par cette autre habile manigance que l’œuvre Houellebecq prétend faire l’inventaire de notre Occident en fin de vie, et fermer la porte à double tour en quittant les lieux.
Michel Houellebecq, l'auteur de Soumission, roman publié
aux éditions Flammarion. Philippe Matsas / Flammarion
(Paru dans le site du Grand Genève Magazine, le 23 fev 2015)
[1] Michel Houellebecq, Soumission, Paris, Flammarion, 2015, p. 22 (S).
[2] Idem, p. 23.
[3] Particulièrement dans Soumission.
[4] Idem, p. 11.
[5] Idem, p. 113.
[6] Ibid, p. 207.
[7] Ibid, p. 216.
[8] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Paris, Maurice Nadeau, 1996.
[9] (S), p. 99.
[10] Idem.
[11] Ibid, p. 205.
[12] Ibid, p.205.
[13] Voir surtout ses deux premiers romans, Extension du domaine de la lutte, op. cit., et Les particules élémentaires, Paris, Flammarion, 1999.
[14] Voir à ce propos Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, Suppléments, ch. XLIV.
[15] (S), p.91.
[16] Ibid, p. 146.
[17] Voir à ce propos la description au vitriol de François Bayrou, (S) pp.150 et sq, et p. 291 : « mais Bayrou par contre est vraiment un crétin, un animal politique sans consistance, tout juste bon à prendre des postures avantageuses dans les médias. »
[18] Ibid, p.154.
[19] Ibid, p. 155.
[20] D’un côté on fait politiquement monter le Front National, de l’autre le narrateur François croise des cadavres, entend au loin des fusillades, sans que la presse ne relaye l’information pour éviter d’offrir plus de voix au Front National.
[21] Ibid, p.163.
[22] Ibid, p.250.
[23] « Sans la chrétienneté, les nations européennes n’étaient plus que des corps sans âme, – des zombies », Ibid, p. 255 ;
[24] Ibid, p. 271.
[25] Voir à ce propos des dialogues du personnage de Robert Rediger, pp. 244 sq.
[26] Ibid, p. 252.
[27] Ibid, p. 261.
[28] Je passe outre ses sorties médiatiques de septembre 2001 sur l’Islam.
[29] Je me range dans cette catégorie. Il demeurera malgré tout une œuvre mineure, on ne fait pas de grande œuvre avec de la bile.
[30] S’inscrivant, mais de manière beaucoup moins intéressante, moins puissante à mes yeux, dans la lignée de Céline ou de Bloy.
[31] On retrouve cette problématique dès son premier ouvrage H.P. Lovecraft, contre le monde, contre la vie, Paris, Le Rocher, 1991.
[32] Il suffit de voir par exemple comment Houellebecq imagine que les femmes occidentales accepteront sans réagir les nouvelles lois polygames dans sa France de demain : « Celles qui étaient suffisamment jolies pour éveiller le désir d’un époux riche avaient au fond la possibilité de rester des enfants pratiquement toute leur vie. Peu après être sorties de l’enfance elles devenaient elles-mêmes mères, et replongeaient dans l’univers enfantin. Leurs enfants grandissaient, puis elles devenaient grands-mères, et leur vie se passait ainsi ».
[33] « Sommet du bonheur humain » dans l’Islam, cf. (S), p. 260. Houellebecq par le truchement de son personnage Rediger reprend le roman d’Histoire d’O afin de démontrer que le bonheur absolu de la femme est de se retrouver soumise à l’homme, puis l’Islam pour souligner que le bonheur absolu de l’homme est d’être soumis à Dieu.
[34] Pour reprendre l’expression de Florian Zeller.
[35] « Quiconque combat des monstres devrait veiller à ne pas devenir lui-même un monstre. Et quand on regarde au fond des abysses, les abysses vous regardent aussi. » Frédéric Nietzsche.
Commentaires
Il est très doux de scandaliser : il existe là un petit triomphe pour l'orgueil qui n'est nullement à dédaigner.
Marquis de Sade
dans les romans on s'éclate
Je pense que vous faites une monumentale erreur, Karim Houari, les romans de Houellebcq se veulent des romans à message, voire des romans prophétiques...
oui hahahaha, on trouvera tjrs dans le futur des choses dedans tellement il y en a, ça me fait penser à un article que j'ai lu sur l'or que l'on pouvait trouver dans les égouts des grandes villes américaines, des millions de dollars paraît-il , provenant de diverses appareils jetés, mais cela coûte plus cher à extraire que le prix de l'or lui-même (et autres métaux précieux)
Je ne suis d'accord avec vous Marc. Je pense que MH n'a aucune prétention ni aucun talent de visionnaire.
C'est par contre un redoutable disséqueur de la société, de ses travers, de ses vices.
Je l'ai écouté (vu) dans je ne sais plus quelle émission .... sa démarche intellectuelle m'a interpellée, mais je suis nettement plus heureuse que lui !
Damien, j'ai pourtant le sentiment que cette dissection du cadavre de l'Europe occidentale prend parfois des postures de visions ; et ça n'est probablement pas pour rien qu'il cite abondamment Cassandre dans son dernier roman.
ouh là il y a pleins de romanciers/hommes qui savent trés bien parler des femmes (et heureusement)
franchement j ai pas envie de le lire ...c con mais ca tete m inspire pas ...plutot ca vibe ...noire
Rien de ce qu'il écrit n'est gratuit et je me refuse à croire que Houellebecq se complait dans l'univers qu'il décrit. Son regard est tranchant et cynique mais le talent et la justesse de l'auteur permet de mettre le projecteur sur nos propres contradictions. "Je veux simplement rendre compte du monde" insiste t'il dans l'épilogue de son précédent roman.
@christinejust
Ah, lesquels ? D'autre part, j'ai écris savoir "parler" femme. C'est sensiblement autre que savoir parler des femmes.
Ce que je préfère de très loin, dans Houellebecq que je n'ai qu'à peine lu, sans pouvoir poursuivre, c'est ce qu'en dit Marc Alpozzo, notamment... Je pourrais dire que "je connais" l’œuvre de Houellebecq par procuration. C'est à dire qu'elle ne me procure du plaisir que parce que d'autres écrivent sur lui.. En plus, c'est gratuit.
Je me demande si je ne vais pas, moi aussi écrire une analyse critique de l’œuvre de Marc Alpozzo qui analyse l’œuvre de Houellebecq ?
Une sorte d'apologie ou plutôt "d'apolzzologie" de l'écriture gigogne, en quelque sorte.
Marc a fait une longue palabre sur le contenu des livres de MH, personnellement deux ou trois phrases me suffiraient pour en parler de ce contenu, quant au talent c'est autre chose, là peut-être qu'il y aurait plus à dire, un talent mystificateur de haute volée, trompant même notre philosophe
Ce talent mystificateur dont vous parlez mon très cher Karim Houari il me semble l'avoir souligné par le sous-titre du dernier chapitre de l'article. Par contre contrairement à vous il me semblait nécessaire de faire une analyse globale de l'oeuvre de MH qui a elle toute seule nous propose un monde... et c'est d'ailleurs ce qui m'intéresse le plus dans cette oeuvre, c'est la raison pour laquelle ses livres ne quitteront jamais ma bibliothèque.
Je comprends très bien ce genre de passions, je me suis moi-même passionné pour des Rimbaud, des Bilal, des Tintins, des surréalistes, des chanteurs, des acteurs, enfin toutes sortes d'idoles fascinantes et passionnantes, des gens avec leur monde comme tu dis, il se trouve que j'ai trouvé le mien aujourd'hui et que toute distraction n'est plus que distraction
pas encore lu mais comme d'hab ça doit être détonnant !! j'adore son travail
Christine vous ne devriez donc ni le lire, ni l'écouter pour votre salubrité mentale que du coup, j'imagine exceptionnelle…lisez-vous Lévinas des fois ?
Il y a tellement d'autres lectures plus intéressantes oui : la liste est longue ... . Cela dit comparer Levinas à MH, (que j'ai essayé puis abandonné avec ses particules élémentaires)c'est qd méme drôle !! N'oublions pas qd méme que MH n'est ni un penseur ni un philosophe(contrairement à Levinas) ni méme un intellectuel: seulement un romancier ! c'est la houellebecqmania ! Aprés que je n'ai pas aimé des romans ecrits par un romancier dépressif et misogyne c'est interdit non ? interdit d'en parler aussi ?
Deux possibilités peuvent expliquer son succès : le malentendu, et alors celui-là persévère, ou il a quelque chose à nous dire d'audible, et nous aimons/voulons l'écouter... Personnellement, Karim, je ne jetterais pas le bébé avec l'eau du bain (mais quelle vilaine formule, bon sang !!!), MH a beaucoup de choses à nous dire, et ce qu'il dit est très intéressant, quand bien même nous ne serions pas d'accord avec lui... cela dit, en ce qui concerne la démocratie directe je suis d'accord avec lui... C'est beaucoup moins défaillant que ça en a l'air l'oeuvre et la pensée de Houellebecq (pour faire une comparaison qu'il apprécierait, je dirais qu'on ne va pas jeter Arthur Schopenhauer de l'histoire de la philosophie, sous prétexte que sa pensée est d'un pessimisme assourdissant !!)
Qd MH dit : -" Je veux simplement rendre compte du monde " qu'il n'oublie pas qu'il ne rend pas compte du monde mais de SA vision du monde . D'ailleurs, Je préfère garder la mienne (de vision ) !! question de salubrité mentale
Le narrateur explique son dégoût pour les femmes qui “lisent des bouquins sur le développement du langage chez l’enfant” (EDL, 5), sa détestation des “étudiantes en psychologie” - “des petites salopes, voilà ce que j’en pense” (EDL, 145) -, et surtout, sa haine des femmes en analyse : “Impitoyable école d’égoïsme, la psychanalyse s’attaque avec le plus grand cynisme à de braves filles un peu paumées pour les transformer en d’ignobles pétasses, d’un égocentrisme délirant, qui ne peuvent plus susciter qu’un légitime dégoût.” Aussi la rupture avec Véronique ne lui inspire-t-elle qu’un regret - “ne pas lui avoir tailladé les ovaires.”
Si, à côté de ces femmes engageantes, mais périssables, l’un et l’autre romans sont peuplés de “boudins”, de “minettes” et de “vieilles peaux”, sans oublier une “mère dénaturée” archétypale, l’auteur n’ignore pas qu’il s’adresse aussi à des lectrices : “Il se peut, sympathique ami lecteur, que vous soyez vous-même une femme. Ne vous en faites pas, ce sont des choses qui arrivent.” (EDL, 15-16) Houellebecq récuse par avance tout soupçon de misogynie : ne proclame-t-il pas la supériorité morale des femmes ? “Décidément, les femmes étaient meilleures que les hommes. Elles étaient plus caressantes, plus aimantes, plus compatissantes et plus douces”. Par contraste, “il est possible qu’à des époques antérieures, où les ours étaient nombreux, la virilité ait pu jouer un rôle spécifique et irremplaçable ; mais depuis quelques siècles, les hommes ne servaient visiblement à peu près plus à rien.” (PÉ, 205) L’auteur décline ainsi dans la presse les variations d’un slogan emprunté à la publicité, qui prendra in fine une coloration métaphysique : “Demain sera féminin.” (PÉ, 153 et 388).
mon avis c'est qu'il écrit bien et a la plume très facile, le monde qu'il décrit il en fait un foutoir, un bordel sans nom ou tout se mélange, le piège est là car quiconque s'y retrouve quelque part interpellé forcément, c'est malin de sa part mais bon pour les gogos qui se laissent prendre, sa fiction monstrueuse les impressionne, moi pas trop voire pas du tout, désolé
et cette ambiguité est voulue et entretenue, il est habile à ménager le fond de sa pensée, à la cacher ou peut-être n'en a-t-il aucune de pensée, mon sentiment est qu'il se cherche encore, du moins il se l'imagine, comme un ado cherchant encore sa personnalité, refusant tout avec une conviction vide, pour la beauté de se croire libre et sans aucune espèce d'entrave ou considération morale, pour la beauté du rebelle incompris et mécontent éternel, farouche et maudit, seul contre tous, le solitaire qui seul brave courageusement tous les dangers dans lesquels les autres se vautrent en soumission
pour faire polémique il faut ce genre d'ingrédients, est-il ou non misogyne, macho ou non, dégueulasse ou tendre, etc., les avis sont partagés et c'est ce qui fait son succès, il sait jouer de l'ambiguité dans tous ses propos, dorer la pilule à tout le monde quand il faut et affirmer tout cela par un discours extrême genre grande gueule moi je vais vous dire la vérité vraie, vous pouvez me croire je ne mâche pas mes mots, jugez par vous-même..
Dommage Karim car c'est très intéressant.
MH est très intelligent et joue sur l'ambiguïté entre l'auteur, le narrateur et les acteurs (ses personnages). Il lui arrive de jouer aussi avec le lecteur en lui faisant penser et dire certaines choses.
Il joue sur l'émotion plus que sur la raison et ce n'est pas tant l'idée d'une certaine réalité qui peut être répugnante mais c'est la manière de l'exprimer.
Et c'est là où le style MH prend toute son importance. Ce style direct et efficace divise les lecteurs entre ceux qui vont avoir un haut le cœur et une réaction de rejet, et ceux qui vont être séduits, fascinés par tant d'intelligence et de lucidité.
C'est la rencontre avec la vérité qui est toujours dérangeante et souvent insoutenable
ATTENTION toutes les notes sensées renvoyer en bas de page sont des liens morts... un problème classique lors de la mise en ligne, les liens sont restés rattachés au bureau de l'ordinateur et non au serveur du site, ah Marc Alpozzo, le web c'est plus fort que toi !
Lors de la sortie de son premier "ouvrage" , une pédiatre me l'a donné à lire...;je lui ai rendu avec un gout de .....
J'ai le sentiment que "les particules élémentaires" est encore plus sombre. Dans "soumission" le lecteur est plutôt accompagné vers un "à quoi bon". Sans désolation outrancière.
Reste que le Goncourt fût amplement mérité pour "la carte et le territoire".
Un chef d oeuvre : un voyage au bout du jour
J'ai aimé "La carte et le territoire". J'ai beaucoup sourit en lisant "La possibilité d'une île". "L'extension du domaine de la lutte" ne m'a pas porté au septième ciel. En lisant "Plate-forme", j'ai vu combien Houellebecq est un romancier contemporain qui a sondé l'âme ( peut-on employer ce terme ?), qui sonde perpétuellement l'âme de l'homme occidental contemporain, quadra ou quinquagénaire, un brin désabusé, esprit en quête d'un sens, d'un peu de vie. Je lirai donc dès que possible "Soumission". Quant à la femme (existe-t-elle La Femme ? Le concept forcément théorique, abstrait, s'efface devant la multiplicité des femmes, chacune individuelle, singulière, que nous offrent la réalité, le monde sensible et concret) peu de romancier masculin savent "parler" femme, savent les faire parler. C'est une langue, un genre, assez mal compris par les auteurs masculins, assez mal restitués donc. De ce sujet donc, n'en faites pas matière à procès à Houellebecq seul et étendez-le à l'immense majorité des auteurs de sexe mâle. Cependant , consolez-vous Christine, il y a pléthore de romanciers féminins. Sans doute parlent-elles mieux selon votre point de vue ?