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Descartes, le père de la science moderne

Dans l’histoire du déploiement des sciences et des techniques, c’est Francis Bacon qui, le premier, a lancé l’idée de conquérir la nature ; c’est Descartes qui sera en revanche considéré comme le premier penseur de la science moderne, et le premier philosophe de la technique. Ce sera clairement au XVIIème siècle, moment décisif où Descartes va rédiger ce qui sera par la suite le programme de développement scientifique et technique de l’humanité occidentale. Et ce programme, dans son célèbre Discours de la méthode dont le premier objectif sera d’être compréhensible par tous, et qui justifiera sa rédaction en français, sera de renverser le rapport de l’homme à la nature, afin de permettre à l’homme de dominer la nature et de l’exploiter à sa guise. Est-ce encore souhaitable de nos jours cependant, voilà une question qu’il s’agirait de se poser. Je vous propose ici quelques premiers éléments de réponse dans l'Ouvroir.

discours.jpgL’ouvrage de Descartes comporte un titre assez long, courant à son époque. C’est celui-ci : « Discours de la Méthode pour bien conduire sa Raison, et chercher la vérité dans les sciences ». Or, tout peut être résumé dans la fin du titre : on voit que ce livre se propose de renverser la recherche de la vérité : jusqu’à Descartes, la vérité était à chercher dans la religion ; elle le sera désormais dans la science, qu’il s’agit d’investir pour la découvrir selon Descartes. Mais précisément, le philosophe entend par « sciences » un type de pratique bien défini, et qui est clairement indiqué dans le chapitre VI, puisqu’il y souligne quels développements il prévoit, et quels espoirs il place dans ces progrès. Et ces espoirs sont loin d’être anodins, puisqu’ils vont clairement redéfinir le rapport que l’homme entretenait jusque-là avec la nature.

 

Au chapitre VI, de son Discours de la méthode, Descartes écrit :« Au lieu de cette philosophie spéculative qu’on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une pratique, par laquelle, connaissant la force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des cieux et de tous les corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. » Or, qu’entend-il par « philosophie spéculative » ? Descartes parle en fait de la manière dont, depuis Aristote, on explique les phénomènes naturels. Mais il fait également référence à tout un courant de la philosophie qui, à son époque est devenue très abstraite, sans rapport avec l’existence pratique. Pour Descartes, il ne s’agit plus de concevoir la science comme un pur jeu de l’esprit, mais un comme un exercice avec une application concrète. Si le type d’explication des phénomènes naturels fourni par Aristote fonctionne sur le principe du finalisme, on est là clairement face à une méthode visant à expliquer les évènements par l’objectif qu’ils poursuivent.

 

Descartes va donc proposer un nouveau mode de compréhension du monde qu’on appelle le mécanisme. De ce nouveau rapport qu’instaure l’auteur entre l’homme et la nature, celle-ci ne sera plus considérée comme mystérieuse, et on maintiendra plus la distance avec elle par le respect dû à l’univers. À partir du Discours de la méthode on considérera le monde comme du matériel en mouvement, mais un mouvement qui n’a rien de mystérieux, qu’on peut donc connaître, produire, diriger, contrôler. À ce point précis de l’histoire des sciences, les facultés de l'homme et les prodigieux progrès techniques permettent de distinguer l'espèce humaine de l'espèce animale. L’homme est alors placé au sommet de la hiérarchie des êtres et font de lui une créature privilégiée et supérieure au sein de la nature. Par exemple, l'homme est au sommet de la chaîne alimentaire. Et pour Descartes, l’homme est même un être qui peut accéder à une vérité fondamentale : il est un être conscient de lui-même. Il peut en effet douter de toutes ses idées, de toutes les réalités, mais il ne peut pas douter qu’il doute. Capable se savoir qu’il est au moment où il pense, qui est le sens de cette célèbre affirmation « Je pense donc je suis », l'homme est alors à la fois une « substance étendue » mais une « substance pensante » quant aux animaux, Descartes les considère comme des êtres sans parole ni intention, assimilables à des machines.

 

Il serait peut-être utile de se questionner sur cette nouvelle méthode qui permet à Descartes de positionner l’homme comme « maître et possesseur de la nature ». Cette formule va rester dans l’histoire, ne serait-ce que parce qu’elle offre à l’homme un nouveau programme, et le terme « programme » doit être entendu dans deux sens différents et complémentaires : d’abord comme un objectif final, mais aussi comme un nouveau mode de fonctionnement, un peu comme si on téléchargeait un nouveau système d’exploitation dans notre ordinateur portable. Mais ce texte montre aussi les limites de la technique, ce qu’il serait bon de souligner.

 

Bien sûr, la formule de Descartes est une pierre jetée dans le jardin de la religion, visant à réduire son monopole, puisque jusqu’à Descartes, seul Dieu pouvait être considéré comme maître et possesseur de la nature. Faisant référence dans son texte, à la situation de l’homme dans le paradis originel, jouissant sans aucune peine des fruits de la terre, condition paradisiaque perdue par l’homme a perdue dans les conditions que l’on sait, pousse Descartes à fonder ses nouveaux espoirs en la technique, afin de permettre à l’homme d’abolir le travail, et de s’absoudre lui-même du péché originel, sans passer par l’intermédiaire du pardon divin. On peut donc définitivement dire que le projet d’abolir le travail et la peine qui lui est due, date de Descartes et du dessein d’un progrès sans fin de la technique, qui sera celui maîtrise de plus en plus efficace de l’homme sur la nature, et celui d’un homme de plus en plus puissant, jusqu’à conduire au transhumanisme, dont on connaît les desseins, notamment celui d’un être amélioré continûment par des artifices techniques, que ce soit des implantation de « puces » informatiques dans le cerveau, ou des cellules pour conserver l’ADN, sans compter le stockage informatique du contenu de la conscience qui permettraient de recréer l’individu venant de mourir. Bref, un grand nombre d'absurdités, mais qui s'inscrivent toutefois dans cette ligne directe du programme scientifique qui anime notre soif de connaissance depuis le XVIIème siècle ; le programme de maîtrise de la nature atteignant son point ultime et qui n'est autre que l’homme affirmant sa prétention à se faire lui-même ; désormais il se veut « causa sui », cause de soi-même, une expression qui jadis désignait Dieu (cause de lui-même et cause de toute chose).

 

Et, visiblement les savants modernes ne se sont pas assez penchés sur la formule de Descartes, qui nous commande de nous rendre l'homme « comme maitre et possesseur de la nature ». Certes, Descartes souhaitait l'invention d'une infinité d'artifices utiles afin de s'exempter des maladies et pourquoi pas vaincre la mort également. Mais bien sûr, ces projets (que l’on pourrait tout aussi bien qualifier de fous !) ne sont pas clairement formulés ; elles sont justes évoquées comme de simples songes.

 

Descartes était un homme très curieux des causes ou les lois qui expliqueraient l'efficacité de la science. Il traitait avec une grande curiosité et très méthodiquement tout ce qui était lié aux techniques les plus spéciales et les plus complexes. Et s’il envisageait un jour la maîtrise de la nature, c’était seulement pour rendre la vue aux aveugles, voir les animaux de la lune, améliorer la médecine, et un jour peut-être, voler comme l'oiseau. Dans son admirable Dioptrique, Descartes démarre sur l'optique théorique qui est l'invention de la lunette d'approche ; une invention due à l'expérience et à la fortune, suivie d'une imitation servile et aveugle. Mais on constate rapidement, que cette invention souffre encore beaucoup de difficultés ; Descartes pense qu'il faut en déterminer scientifiquement les conditions d'efficacité, c'est-à-dire déduire la figure des verses des lois de la lumière.

 

Dans la fin du texte, on constate aussi, que l’horizon de la technique est bien la maîtrise de l’homme lui-même, car le mécanisme permettra de considérer l’homme comme une somme de processus que l’on pourra non seulement contrôler, mais aussi imiter, reproduire. On trouve également au XVIIème siècle, une curieuse fascination pour ce qu’on appelle les automates. Descartes travaillait d’ailleurs sur des projets comme une perdrix mécanique que faisait lever un chien, ou, plus surprenant un automate humain qui se serait appelé Francine, comme sa fille, et qu’il aurait mis en route quelque temps après la mort de sa propre fille. Pourtant, à aucun moment, Descartes ne prônait la domination agressive de la nature. Il affirmait seulement que l’homme devait cesser d’en être esclave ; que l’homme pouvait la rendre utile aux hommes en améliorant ses connaissances de la nature. Dans sa la tête du philosophe, il s’agissait plutôt d’aménager une coexistence pacifique avec la nature, plus qu’une domination pure et simple.

 

Hans Jonas, au XXème siècle, réfutera cette conception dans le Principe Responsabilité. On peut toutefois penser que le projet scientifique cartésien était si complexe, car reposant principalement sur une subjectivité puissante, voire aujourd’hui sur-puissante, cherchant à améliorer les conditions d’existence de l’homme, mais aussi la conscience de ses propres limites, qu’Heidegger a en partie raison quand il attribue à Descartes la source du concept de domination irraisonnée de l’homme sur la nature, car son projet l’a largement dépassé, au point d’aliéner la nature par la technique.

 

René Descartes, Heidegger, Hans Jonas, science, technique, technologie, transhumanisme

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Commentaires

  • Dominer non. Coopérer oui. La France est totalement anthropisee depuis l’époque de Descartes.

  • La maîtrise de la Nature (la science), c'est une chose. A son "paroxysme" c'est la voie actuellement du transhumanisme.
    A coté de cette maîtrise il y a l'outil. Pas évident de comparer l'humain à d'autres espèces sur ce point.
    Mais l'homme a toujours essayé de construire tous les outils de morts possible contre sa propre espèce. Et continue. Alors quand des hommes essaient d'amener la mort dans leur espèce, pour quoi la nature elle-même serait épargnée (pourquoi pas, mais pas sûr).
    Et la confusion morale "puisque c'est techniquement possible, c'est normal de le faire" n'aide en rien.

  • J'ajoute que vous avez raison de mettre l'accent sur le "comme maître" qui tempère le propos cartésien et fait de lui un penseur nettement prudent par rapport au transhumanistes contemporains ; il faut dire que ce n'est pas du tout le même époque. Au XVIIe s tout reste à inventer, aujourd'hui tout reste à restaurer...

  • Et le béotien que je suis de crier « vive Schopenhauer ! »

  • Le souhaite qui veut, je pense. Le problème est surtout que la méthode de Descartes ne permet d'appréhender que ce qui dans la Nature est extérieur, mécanique. Lorsqu'il dit (car il l'a fait) que les poètes trouvent aussi des vérités par intuition géniale, on attend somme toute qu'il explique comment cela se fait, et comment cela se maîtrise, quelle en est l'opération. Car les poètes saisissent un autre pan de la réalité, plus intimement lié à la vie, à l'âme, à l'esprit, c'est à dire à ce qui importe moralement à l'être humain. Or de ce point de vue la civilisation a décliné depuis la Scolastique, a perdu le sens d'une méthode fiable. Il n'y a qu'à voir la façon dont les professeurs de littérature ratent constamment le coche du merveilleux, par exemple chez Charles Perrault, pour comprendre que les mystères sont encore plus impénétrables que du temps de saint Thomas d'Aquin. Or si ces mystères pouvaient être percés, l'équilibre à garder entre respect et maîtrise de la Nature apparaîtrait justement de la façon la plus claire. C'est de ce point de vue que nous nageons totalement.

  • Celui qui ce tait, se soumet et admet, donc non !

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