Impérialisme et terreur, Roland C. Wagner et Johan Heliot
J'ai intitulé ce billet, Impérialisme et terreur. Légèrement excessif, j'en conviens, cependant, les deux romans de SF que je présente dans cette chronique, rapportent, chacun à leur manière, la folie contemporaine qui semble emporter la société occidentale. Soyons clairs : il n'y a pas meilleurs sociologues du futur que les écrivains de SF. Je l'ai déjà dit dans un autre billet sur l'oeuvre majeur de John Brunner, Tous à Zanzibar. Ici, deux écrivains de talent nous content l'histoire de la grande folie du XXIème siècle, avec pour résultat funeste : la mort de masse, l'hystérie économique, l'aliénation des foules.
Les éditions du Rocher viennent de lancer une nouvelle collection de longues nouvelles, « Novella SF », regroupant des auteurs pour le moins talentueux et prolifiques, comme Roland C. Wagner, Jean-Pierre Andevron, Serge Quadruppani, ou encore Johan Heliot.
Parmi les premiers numéros de cette collection destinée aux inconditionnels du genre, les textes de Roland C. Wagner, Pax Americana, et de Johan Heliot, Führer prime time, peuvent être rapprochés.
Dans Pax Americana, les Etats-Unis, durant la seconde moitié du 21ème siècle, ont fait main basse sur les réserves pétrolières mondiales. Une domination qui touche néanmoins à sa fin. Une déplétion du pétrole entraîne alors le président des « Zu’ssa », Ernesto La Verda, un latino-catholique pratiquant, à décider de renouer les liens entre son continent et l’ancien.
Dans un autre registre, la nouvelle de Johan Heliot, Führer prime time, peint un talk-show quasi-surréaliste qui met en scène divers personnages historiques aussi célèbres qu’opposés, tels Elvis Presley et Adolf Hitler, afin de les confronter en prime time et, bien entendu, en direct live, devant des milliards de spectateurs pour le compte de la chaîne de télé NERVERSTOP. Véritables avatars historiques, ces personnages célèbres du 20ème siècle sont en fait des clones destinés à vivre quarante huit heures tout au plus : le temps d’un show.
Dans les deux nouvelles, un même thème : le commando terroriste. Avec Wagner, le président des « Zu’ssa » venant en Europe apporter la paix, est menacé d’être victime d’un attentat fomenté par quelques joyeux lurons, une vraie bande de bras cassés voulant résister à l’envahisseur américain. Du côté de Heliot, lors de l’émission quotidienne, un commando terroriste, répondant au nom du « Front de libération des Avatars historiques », kidnappe le Führer.
Mais derrière la trame un brin burlesque, ne nous y trompons pas, les auteurs cachent de vraies questions croisées qui interrogent notre époque troublée. Johan Heliot pose le problème de la société de la surconsommation, aveuglée par sa demande quotidienne de divertissement et de sensations fortes qui, dans cette fureur de la grande écoute, délaisse l’humain pour réduire les hommes à des êtres-marchandises, cerveaux disponibles à disposition. Brossant un tableau, somme toute, convenu, il met en scène une télé-réalité à échelle mondiale, pour dénoncer l’uniformisation des hommes et de la culture. Une dénonciation virulente puisque le groupuscule terroriste s’en prend au représentant majeur du mal radical : Adolf Hitler. En belle parabole de notre époque consumériste, ce personnage se pose dès lors comme le symbole de la déliquescence et la fin annoncée d’une civilisation qui flirte allègrement avec le mal absolu, dans une fuite en avant de plus en plus inquiétante, nous dit Heliot, car la mascarade à laquelle elle se prête, délaisse bien entendu, ce qui est au fondement même de sa cohésion et de sa pérennité : l’éthique et la déontologie.
De son côté, Roland C. Wagner dénonce l’hégémonie hors norme d’une Amérique prédatrice, d’une tyrannie molle qui règne sur le globe d’une main de fer, aidée de sa puissance économique, technologique, militaire, et médiatique. Il n’hésite pas à pasticher certains personnages, comme le président lui-même, offrant avec subtilité, des caricatures à la fois drôles et tendres, inventant des situations des plus absurdes, dénonçant la surpuissance des mass-media, et la force burlesque des Conférences officielles, tout en dénonçant à grand renfort de gags et de situations grotesques, la démence d’un monde au bord du gouffre.
Deux lectures donc, qui nous enchantent par leur drôlerie, leurs multiples rebondissements et leur rapidité phénoménale.
Johan Heliot, Führer prime time, Novella SF, Editions du Rocher, 2005.
Roland C. Wagner, Pax Americana, Novella SF, Editions du Rocher, 2005.