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« L’enchantement musical » de Vladimir Jankélévitch

Paru et édité par Stéphane Barsacq chez Albin Michel, L’Enchantement musical de Vladimir Jankélévitch réunit des textes peu connus, inédits, ou depuis longtemps inaccessibles, consacrés notamment à Liszt, Ravel, Fauré, la musique espagnole, et les génies de la musique russe.

Jankélé.jpgVladimir Jankélévitch aimait la musique. Il aimait la musique autant que la philosophie. D’ailleurs, on le connait pour ses textes sublimes sur Bergson, la mort, le pardon, le pur et l’impur. On le connait moins pour ses textes de musicologie. Néanmoins, il en écrivit plusieurs pourtant : treize furent publiés de son vivant, et deux posthumes. Le philosophe français écrivit sur Ravel, Fauré, Debussy, Ravel, Liszt. Son œuvre fut une espèce d’enrichissement musical, dans l’articulation des vérités, à la poursuite de singularités concrètes.



 

« L’idée d’une vérité qui puisse changer selon le degré de la latitude ou de la longitude était elle-même une dérision, un paradoxe, une ironie. […] Plus il y a de vérités, plus nous sommes contents, plus les hommes ont de façons différentes de chanter et de servir d’échelles différentes, plus il nous semble que s’enrichit pour nous la gamme des sensations, la possibilité d’être émus et variétés mêmes de notre émotion. »

 

Il y a donc cette grande place faite à la vérité dans l’œuvre du philosophe, mais on ignore qu’il y a une aussi grande place faite à la musique, à la variété des émotions, et à la gamme des sensations. Car, à la lecture du régime de correspondance auquel Vladimir Jankélévitch aima toujours se tenir, dans ces compte-rendus de concerts ou de festivals, ces évocations particulières et poétiques des musiciens chers à son cœur, c’est toute la connivence de pensée entre la philosophie et la musique que l’on retrouve avec bonheur ; son enfance musicale, et les rudiments de piano qu’il apprit par-dessus l’épaule de sa sœur.

 

«J’ai commencé à jouer du piano en cachette, quand ma sœur aînée, qui était déjà virtuose, n’était pas là […]. »

 

Je vois un double mérite de ce nouveau recueil de textes inédits, rassemblés par Françoise Schwab et Jean-Marie Bohm, et édité par Stéphane Barsacq : d’abord, celui de nous donner à connaître des méditations ininterrompues du philosophe sur les musiciens et la musique qu’il affectionnait ; mais, plus encore, c’est un bel hommage au musicien lui-même, Vladimir Jankélévitch, celui qui se cachait au fond de son cœur et de son âme, ce mélomane pratiquant la musique tous les jours, ce poète-philosophe, qui se transformait en lecteur au piano, transformant le passe-temps en une expérience unique de l’ineffable de la vie, celle de vivre l’instant en poète ; voilà quelques souvenirs mis en mots de ces instants volés, ces moments d’enchantement musical, que Jankélévitch nous sert avec l’humilité et le talent qu’on lui connaît par ailleurs.

 

Bien sûr, mieux que la philosophie, qui ne sert à rien, la musique est un moyen unique, selon le philosophe français, d'exprimer l'ineffable, l"indicible, écrivait-il dans son ouvrage Quelque part dans l'inachevé. Elle exprime l'instant, la sublime évidence de l'événement qui échappe à la restriction par le mot, la réduction par temps :

 

« La musique, à la différence du langage, n'est pas entravée par la communication du sens préexistant qui déjà leste les mots ; aussi peut-elle toucher directement le corps et le bouleverser, provoquer la danse et le chant, arracher magiquement l'homme à lui-même. Les plis et replis du souci s'effacent d'un seul coup dès que chantent les premières mesures de la sonate ou de la symphonie [ou du quatuor]. Les fronts ridés redeviennent lisses et unis comme le front d'un petit enfant. La musique fait oublier le temps vide, et rend de même insensible le temps de la morosité introspective : c'est le remède miracle pour les hommes malades d'ennui. Une sorte d'exaltation soulève parfois l'auditeur et semble le transfigurer, l'arracher momentanément à la pesanteur ; il est devenu tout élan et toute lévitation. Auditeur et créateur, ils participent, chacun à sa manière, de cet élan commun. Une sublime évidence éclate soudain quand le temps maudit, tâtonnant, laborieux, le temps de l'impatience et de l'expectative, est touché par la grâce de la temporalité enchantée. »

 

 

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Vladimir Jankelevitch à Paris en 1976

Laissons-lui alors le dernier mot :

 

«[L’œuvre] exige aussi un esprit d’impromptu et d’extemporanéité, une célérité et une présence d’esprit apparentés à l’occasionnalisme de l’improvisation ; il implique la passion et la découverte… »

 

Vladimir Jankélévitch, L’Enchantement musical, Albin Michel, octobre 2017.


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