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L’insolent Philippe Sollers

Philippe Sollers a couvert 50 ans de littérature française. Je l'ai découvert sur le plateau d'Apostrophes, alors qu'il présentait son roman Femmes. Roman que j'ai lu alors que j'étais à peine en âge d'en comprendre les enjeux. Captivé par ce texte, qui a changé mon regard sur les femmes et la société française, jusques sur l'Occident, j'ai lu quasiment tous ses livres pendant au moins 20 ans. Je me souviens du portrait au vitriol que Michel Houellebecq lui consacra dans Les Particules élémentaires. Voici le mien. Cette recension est parue dans la revue en ligne Boojum. Elle est désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

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Qui es-tu, Philippe Sollers ?

 

Philippe Sollers devient alors insaisissable. Qui est-il ? Un imposteur ? Un provocateur ?

 

La réponse, toute la réponse est peut-être dans cette phrase :

 

« La géographie mentale est sans limites, elle fleurit sans cesse au présent... » (Légende)

 

Ancien maoïste, Philippe Sollers n’a rien oublié des grandes théories dialectiques, dans lesquelles il trempe sa plume pour mener la guerre, voire sa guerre. Il deviendra carrément insupportable à partir des années 80, lorsqu’en 1982, il cesse la publication de Tel Quel aux éditions du Seuil et crée la revue L'Infini, d’abord aux éditions Denoël puis, rapidement, aux éditions Gallimard. S’en suit une série de romans écrits dans une veine plus « figurative » que les précédents, inspirés de ses lectures de Céline, Paul Morand et de grands auteurs américains comme William Faulkner, Ernest Hemingway, Henry Miller, et d’autres. Il publie Femmes, en 1983, qui prend pour sujet le féminisme et les bouleversements politiques et artistiques de l'histoire dans un récit qui met en scène un journaliste américain. La thèse, il en est fier, et la reprend dans ses mémoires, intitulés Agent secret : « Le monde appartient aux femmes. C'est-à-dire à la mort. Là-dessus tout le monde ment ».

 

L’engagement de Philippe Sollers est à plusieurs niveaux. Éditorial d’abord, il est directeur de collection chez Gallimard, et publie les œuvres de Frédéric Berthet, Gabriel Matzneff, Marc-Édouard Nabe, Jean-Jacques Schuhl, David di Nota, Yannick Haenel, etc. Politique aussi, à la fin des années 1990, il dénonce la « France moisie », soulignant la xénophobie latente qui pollue dans l'opinion française, selon ses dires. Littéraire enfin, puisqu’il est auteur prolifique, et publie des romans qui mettent en avant son goût pour le désir, le bonheur, et qui construisent sa légende : Paradis, Le Cœur absolu, La Fête à Venise, Passion Fixe, Une Vie divine, L’Eclaircie, ses Lettres à Dominique Rolin. Ses nombreux articles réunis dans deux gros volumes : La guerre du goût, Éloge de l’infini.

 

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Philippe Sollers en 2013  (Patrice Normand/Patrice Normand.Leextra.Leemage)

 

 

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« D’où ma mauvaise réputation en général, très brouillée », écrit-il dans Agent secret.

 

le philosophe inconnu

Désir est le roman du désir et de ce philosophe connu, plus ou moins, sous le nom de Philosophe Inconnu, né en 1743 et mort en 1803, Louis-Claude de Saint-Martin, qui a publié deux livres illuminés, L’Homme de Désir, et Le Ministère de l’Homme-Esprit.  Le personnage est une sorte de passionné, inspiré de Casanova, de Vivant Denon, de Mozart. Sollers compose avec ce roman, un roman dans le roman. On est plongé en pleine Révolution française. Pourtant, si le philosophe évolue dans ce monde passé, tout nous rappelle notre monde présent, et, sous les traits de ce philosophe du désir, on croit reconnaître Sollers, insulté, malmené, haï, conspué. Le roman est-il le roman du philosophe du XVIIIème ou l’intellectuel du XXème ? Roman du désir, ou roman en forme de pied-de-nez aux détracteurs de Sollers ?

 

« Le Philosophe est incorruptible. S’il choisit de s’exprimer à travers tel ou tel écrivain, on le reconnaît immédiatement à son style : net, contradictoire, énergique et fluide. Qu’il ait eu plusieurs signatures n’a pas d’importance. On ouvre un livre en français, et on sait, au bout de trois lignes, que c’est lui ».

 

enfance bordelaise

Dans Agent secret, on trouve de belles pages sur l’enfance bordelaise de l’auteur, son goût immodéré pour la solitude ; déjà Joyaux écrit sa légende, autrement dit, ce qui doit être lu. Son appartenance à la bourgeoisie, ses postures, son goût pour la Chine, pour le communisme de Mao. Dans Légende, il est d’ailleurs « un Immortel chinois, planant, avec vingt mille années-lumière, sous les siècles… ».

 

agent secret.jpegMais on suit ce parcours avec bonheur, tout du long dans Agent secret ; un destin qu’un album de photographies commente. Sollers ne nous raconte pas ce qu’il a fait de sa vie, parce que sa vie n’est pas finie, il ne fait pas un bilan, mais propose une sorte de kaléidoscope​​​, ce petit tube dont le fond est occupé par des fragments mobiles de verre colorié qui se réfléchissent sur un jeu de miroirs et produisent d'infinies combinaisons de motifs symétriques, et une succession rapide et changeante d'impressions et de sensations. On traverse ses amours, Dominique Rolin ou son fils, David, ses lectures et ses amitiés, Barthes, Althusser, Derrida, Lacan, etc. Il y dénonce aussi l’époque, sa PMA, sa GPA, son puritanisme galopant.

 

 

« L’émotion est très contagieuse, et la victimisation permanente. L’infantilisation progresse donc vers un langage de plus en plus punitif, où les élites sont toujours coupables. » (Légende)

 


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Philippe Sollers occupe son appartement boulevard du Port-Royal depuis 1963.
Franck Courtés pour Lire

 

Ses livres ne se présentent plus comme des romans linéaires. Ce sont plutôt des patchworks, des textes composés.

 

« L’homme de désir est d’abord un homme de l’instant. Il vit, s’il le veut, à la seconde près, ce qui a parfois des inconvénients au milieu du bruit des sociétés modernes. Il y a eu, au cours du XVIIIe siècle, des sociétés discrètes, dont l’une, La Société du Moment, peut faire longuement rêver. Le Philosophe Inconnu l’a-t-il fréquentée ? C’est probable, mais pas longtemps non plus, si on relève sa réserve instinctive à l’égard du mot « Société » », écrit encore Sollers dans Désir.

 

Voilà que l’on comprend qu’il est un homme du siècle dernier. Parce que c’est un homme libre. Depuis le commencement de ce nouveau siècle, force est de constater que l’on ne comprend plus rien à ce mot. L’idéologie dominante ne rêve que de fers et d’enferment. C’est l’enfer ! Aussi, si l’on s’attarde dans ces trois textes, au regard des ténèbres de cette nouvelle époque, on risque fort de ne voir que de l’insolence chez cet écrivain. De l’insolence et de l’effronterie. Là, pourtant, où l’on devrait y voir la figure même de la vie...

 

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Phlippe Sollers et Julia Kristeva, dans les années 70.

 

Philippe Sollers, Désir, Légende et Agent secret, Folio, Folio, septembre 2021, Janvier 2022, février 2022.

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