Entretien avec Michel Maffesoli « Je m’attache à montrer que l’époque moderne est achevée »
Le sociologue et professeur émérite à la Sorbonne vient de publier deux ouvrages aux éditions du Cerf, Le temps des peurs (2023) et Logique de l’assentiment (2023) dans lesquels il propose une réflexion profonde sur l’époque d’instabilité grandissante que nous vivons à l’heure actuelle, démontrant que l’élite, qui pressent sa fin, agite les peurs d’un État-Léviathan, tandis que coincée dans la modernité qui s’achève, elle se crispe sur ses valeurs mourantes, accusant le peuple qui ne se reconnait plus dans celles-ci, de mal-penser. Wokisme, complotisme, hygénisation de la société, théâtocratie, société liquide sont les outils de l’instrumentalisation des peurs organisée par les élites, tandis que le peuple recherche l’enracinement, en préférant la tradition, le sacré, le local, etc. Ce grand entretien est paru dans le site du mensuel Entreprendre, dans le n°30 de Question de Philo de juin 2023, et dans le n°42 de Livr'arbitres. Il figure désormais au sommaire de mon livre Galaxie Houellebecq (et autres étoiles) paru aux éditions Ovadia (2024).
Marc Alpozzo : Vous faites paraître deux livres aux éditions du Cerf, Le temps des peurs (2023) et Logique de l’assentiment (2023) qui se complètent, le premier étant plutôt un pamphlet et le second un essai de systématisation de votre pensée, dans lequel vous racontez notre époque : guerre aux frontières, crise climatique, pandémie, inflation, etc. Vous montrez dans vos livres que nous vivons une décrépitude moderne que l’élite ne veut pas voir, ce qui conduit à des injonctions sociales qui seraient presque « totalitaires », comme le wokisme ou même les accusations répétées de complotismes à l’endroit de ceux qui se questionnaient tout simplement. Qu’est-ce nous dit de cette époque, cette nouvelle forme de chienlit, ajoutée à la « dictature sanitaire » que nous avons connue entre 2020 et 2021 : le confinement, le masque, les gestes barrières, etc. ?
Michel Maffesoli : Je m’attache depuis de longues années à montrer qu’est en train de s’achever ce que l’on appelle l’époque moderne. Je fais toujours référence aux étymologies, et ici, notez que le mot « époque » signifie parenthèse, on l’a oublié. Or, cette parenthèse moderne est précisément sur le point de se refermer, et une autre s’ouvre : la parenthèse postmoderne, dans le sens le plus simple du terme : ce qui arrive après la modernité. Une époque dure environ trois à quatre siècle, et entre les époques, il y a ce que j’appelle des périodes, qui sont plutôt crépusculaires, qui durent quelques décennies, or, c’est ce que nous vivons précisément en ce moment. Aussi, dans cette période intermédiaire, on pressent les valeurs qui sont en train de cesser, et on se contente de balbutier sur ce qui est parfaitement naissant. Mais on y trouve aussi un décalage entre la société officielle, entendez les élites (ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire), et le peuple, c’est une discrépance entre l’officiel et l’officieux. Or, ces élites restent sur les valeurs dépassées : individualisme, rationalisme, progressisme (les grandes valeurs modernes), ce trépied de la modernité, qui commence avec Descartes, qui se conforte avec la philosophie des Lumières au XVIIIe siècle, qui se systématise au XIXe avec les grands systèmes sociaux, et qui se vivra avec plus ou moins de bonheur tout au long du XXe siècle, jusqu’à sa disparition, ce que nous vivons à présent.
La suite de cet article figure dans Galaxie Houellebecq (et autres étoiles)
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Commentaires
La fin de la modernité ? Plutôt une modernité qui n'en finit pas de mourir à travers la postmodernité. On a commencé à parler de cette dernière dans les années 1970. Ce cher Maffesoli le sait bien.