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Ici & Ailleurs, une lecture de l'oeuvre de J.M.G. Le Clézio

En hommage au prix Nobel que je trouve largement mérité, et qui vient d'être décerné à J.M.G. Le Clézio, je reprends ici mon article paru dans le La Presse Littéraire, numéro 12, en kiosque en décembre 2008, qui a été un éclaireur pour l'adolescent que je fus autrefois.


« Les idées sont toutes objectives. C’est le réel qui donne naissance à l’idée, et non pas l’idée qui exprime ce qu’il y a de concevable dans la réalité »,
L’extase matérielle

 Par les premières lignes de son très beau livre L’espace littéraire, Maurice Blanchot nous transmet ces mots : « Il semble que nous apprenions quelque chose sur l’art, quand nous éprouvons ce que voudrait désigner le mot solitude. De ce mot, on a fait un grand abus. Cependant, « être seul », qu’est-ce que cela signifie ? » À cette question, le célèbre romancier, et critique littéraire, répond que l’art et l’œuvre sont activités solitaires pour l’artiste, et le spectateur, dans son processus infini de réalisation. On pourrait rajouter derrière Maurice Blanchot, que le silence est propre à ce processus. Selon J.M.G. Le Clézio, écrivain d’une œuvre somptueuse, citoyen du monde, grand voyageur, la solitude et le silence ont une définition quelque peu différente. La solitude est le propre de l’écrivain et le silence de toute vie humaine. Écrire. À peine dessiné sur une feuille, le verbe suscite déjà la réflexion. Puis le doute. Enfin la confusion. Sa définition est mouvante. Insaisissable. Multiple. Son activité vous éloigne du monde des hommes et vous en rapproche. Un moment difficile de réconciliation avec soi, l’univers, les autres. Une recherche d’équilibre. Un miracle. Mais rien ne vient définitivement donner au verbe sa pleine lumière. Chaque processus d’écriture est processus qui repense ce verbe à l’infinitif. « Ce qui m’importe le plus, c’est le papier. […] En fait, quand j’écris, je n’entends pas les bruits. Je peux écrire au milieu du vacarme, ça ne me gêne pas », confie J.M.G. Le Clézio. De cette activité sans règles et sans principes, on ne peut rien dire si ce n’est qu’écrire est le propre d’une recherche, d’une tentative d’aller chercher au fond de soi, un trésor, un Graal, que l’activité solitaire vous permettra peut-être de découvrir. Ecrire ne se confond pas avec publier. Publier ne se confond pas avec lire et écouter. Entendre. Beaucoup d’étapes. De nombreuses portes à ouvrir et passer. Mais l’écrivain doit être lu. Car écrire, c’est laisser sa trace. Il n’y a pas d’écrit qui existe sans lecteur. Une symphonie qui ne trouve aucun auditeur est une symphonie qui n’existe pas. Un livre sans lecteur est un livre mort… C’est ainsi !


Tout homme devrait découvrir J.M.G. Le Clézio au début de sa vie, à l’âge de l’adolescence, ce moment privilégié de rêves et de révoltes, et à l’âge mûr, quand vous pouvez enfin vous poser, laisser un temps donné les bagages, et observer avec assez de sincérité dans le regard, le monde qui tourne autour de vous. Le Clézio c’est le bruit et le silence. Le béton et la nature. L’enfermement des villes closes, et la liberté des lieux infinis du désert. Le Clézio c’est la désertion et la recherche d’harmonie. Le Clézio c’est le voyage et plus précisément la fuite. Une fuite comme long voyage qui ne prend en compte ni le temps ni l’espace. Car derrière la fuite, on découvre ce mot impressionnant : liberté.


« C’est un peu contradictoire, mais c’est ça : écrire sans savoir où l’on va, en laissant les choses se faire d’elles-mêmes, sans aucun plan – même pour un essai ; écrire en jetant des phrases, en les regardant s’ajouter les unes aux autres et, ensuite, regarder la page, avec tous les blancs que l’écriture a laissé un peu partout – parce qu’une page écrite, c’est plein de blancs, c’est très curieux. Ça, c’est bien ; c’est laisser dériver le fil. » La liberté, sous la plume de Le Clézio, c’est cela : laisser dériver. C’est AGIR sans forcément savoir ce que l’on fait ; c’est accepter l’erreur. Et l’inutile. C’est accepter de se tromper. De prendre dix mille directions. Par la liberté, il y a une… aspiration. « Je crois que, dans le cas du voyage tel que je le conçois, je ne fuis pas du tout la France, je me sens aspiré par le Mexique. » Être aspirer par… Serait-ce la clé pour lire Le Clézio ? Se laisser aspirer par le rêve, les terrains vagues, la mer, la plage, les montagnes, le désert !


jmg le clézio,liberté,désert, jean-luis ezine, claude lévi-strauss, Unesco, Contrairement à ce que l’on pourrait croire, du Procès-verbal à Ballaciner, il n’existe pas deux mondes chez Le Clézio. Il n’existe pas deux versants de son œuvre. À peine une évolution qui est le centre de gravité, la cohésion même, l’articulation de chacun de ses livres qui devraient trouver leur boucle si la vie prête à l’auteur suffisamment de temps pour parvenir au bout. A côté des lieux : plage, littoral, désert, terre en friche, terrain vague, arbres, lumière, mer, il y a l’univers Le Clézien : les villes, l’électricité, les automobiles, le béton et le fer, le désert, la transparence et le silence. Il y a d’ailleurs surtout et essentiellement ce silence… Le silence des Aztèques suite à leur disparition au moment de la quête du nouveau monde. Le silence de notre civilisation après sa chute annoncée, car dans sa grande folie narcissique de conquête et de puissance, elle aura omis de préparer la mémoire en laissant des traces. Il y a une accessibilité au monde par le silence. Il y a communication. Et dialogue par le silence. Chez les Amérindiens, c’est ainsi. « Justement, parce que le silence n’y est pas perçu comme une absence de paroles, mais comme une autre manière de s’exprimer. »


Six mois en France, six mois au Mexique : il pourrait sembler que Le Clézio n’ait pas de patrie véritable, ou de raison d’en choisir une. Le Mexique ou la France. « Ça doit être chaque fois un choc » imagine Jean-Louis Ezine. « Oui, c’est assez difficile de passer d’un monde à l’autre », répond Le Clézio. Ici ou là-bas ? L’écrivain n’a pas de patrie, pas d’espace, pas de temps, de lieu. L’écriture comme le livre doivent être particulièrement intemporels. Transversaux ! La citoyenneté du monde de Le Clézio représente cette liberté-là. Cet impératif-là ! Le Mexique ne représente pas sa porte dérobée, mais une autre possibilité. Voilà bien la leçon ! Se placer à la rencontre de deux cultures et tenter, par l’écriture bien sûr, et son silence, de saisir le moment fugitif. Saisir la « roue du temps ». Le rêve mexicain ou la pensée interrompue, publié en 1988 est ce livre à la charnière.

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J.M.G. Le Clézio en 1995


Le célèbre ethnologue Claude Lévi-Strauss avait provoqué le scandale dans une allocution à l’UNESCO en affirmant : « Le barbare, c’est celui qui croit en la barbarie. » Dans la même logique, Le Clézio réhabilite ce terme ambigu. Quand il s’agit de l’appliquer aux nazis, on pourra effectivement dire qu’il est négatif. Mais lorsqu’il s’agit de la barbarie de tous ces peuples amérindiens qui représentaient une autre forme de civilisation, de culture que celle des Espagnols venus les massacrer, alors il s’agit, dit J.M.G. Le Clézio de redonner le sens exact au mot « barbare ». Il s’agit de comprendre que l’opposition entre barbarie et civilisation n’est pas pertinente. Il s’agit d’admettre que la civilisation est née dans la barbarie, que la barbarie est à l’origine de toute forme de culture et qu’elle est fondamentalement le propre de « l’homme libre ». « Le barbare représente une sorte d’impossible », dit Le Clézio. La barbarie, celle-ci négative, se trouve très certainement de nos jours dans nos villes, dans le brouhaha de la technique, des technologies avancées, de la communication qui bégaie, des grandes mégalopoles où l’individu est noyé dans la masse informe de l’incognito. D’où peut-être ce besoin de fuite. « La fuite, ce serait partir pour ne jamais revenir. Il y a des écrivains qui sont arrivés à ça. Rimbaud est très bien parvenu à cet état. »

 

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Claude Levi-Strauss (1908-2009)

 


Il y a des fuites par le rêve. Il y a des fuites par le long voyage. Il y a des fuite par l’écriture. Ecrire, cette folie. Cette absence de bienséance. Comment peut-on être écrivain ? L’écrivain semble si inutile à la société. C’est un saltimbanque. Il ne vit pas comme tout le monde. L’écrivain est un homme qui cherche. De l’autre côté de l’horizon. De l’autre côté du temps. Il est celui qui accède à un espace infini de liberté. C’est un voyageur de l’autre côté. De l’autre côté de la vie. Il est cet homme libre. « Ecrire, dit d’ailleurs J.MG. Le Clézio, c’est une façon d’exprimer cette liberté. »



J.MG. Le Clézio, Ailleurs, entretiens avec Jean-Louis Ezine, Arléa, 2006.




jmg le clézio,liberté,désert,jean-luis ezine,claude lévi-strauss,unescoParu dans La Presse Littéraire, n°12, Dec 2007-Jan-fev 2008.

 

Commentaires

  • A lire absolument pour faire suite aux propos de Mr. Le Clezio dans Le Point de cette semaine U.N. a Cosa Nostra sur Amazon.com

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