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J.M.G. Le Clézio, saisir la roue du temps

La revue Livr'Arbitres m'a demandé pour son numéro de septembre, d'écrire sur un écrivain du sud-est. Je n'avais alors pas beaucoup le choix. Tandis que j'étais encore très jeune, j'habitais à Nice, et l'écrivain qui était l'enfant du pays, c'était J.M.G. Le Clézio. Bien sûr, il y en avait d'autres, comme Louis Nucéra, que j'avais rencontré chez lui, et qui me donna de précieux conseils d'écriture, Raoul Mille, que l'on croisait régulièrement sur sa Vespa, ou Thomas Narcejac, qui habitait près de la gare des trains. Mais Le Clézio était particulier. Il hantait la ville comme une ombre, et à peine vous pensiez le tenir, qu'il vous échappait. Il habitait un immeuble dont les fenêtres  donnaient sur le port de Nice. J'ai souvent fait le pied de grue sous ces fenêtres. Pourtant, pas l'ombre de Le Clézio. Il était déjà reparti...  

« Par le langage, l'homme s'est fait le plus solitaire des êtres du monde, puisqu'il s'est exclu du silence. » 

J.M.G. Le Clézio, L’inconnu sur la terre.

       

I. L’écrivain de la mer

 

Il est bon de découvrir J.M.G. Le Clézio au début de sa vie, à l’adolescence, à l’âge des rêves et des révoltes. Puis, plus tard, à l’âge mûr, quand on a posé ses bagages, et que l’on peut enfin trouver le temps de contempler le monde.

Le Clézio c’est le bruit et le silence.

Le béton et la nature.

L’enfermement des villes closes et la liberté des lieux infinis du désert.

Le Clézio, c’est la désertion et la recherche d’harmonie.

Le Clézio, c’est le voyage et plus précisément la fuite. Une fuite comme long voyage qui ne prend en compte ni le temps ni l’espace. Car derrière la fuite on découvre le mot impressionnant de liberté.

 

J.M.G. Le Clézio est entrée dans la littérature française, comme il est né à Nice, par le plus pur des hasards. « Ma mère est descendue à Nice au moment de l’invasion allemande afin d’aller chercher ses parents. Je suis né là par accident. »

Sauf si les hasards n’existaient pas !

De Nice d’ailleurs, il ne retiendra rien de bon. Cette ville aux bords de la mer Méditerranée, plus violente et anxiogène qu’elle n’y paraît, où il a souvent ressenti le sentiment d’y étouffer, « dans cet enfer de palmiers, et de villas rococo ». Mais, la mer, c’est aussi « le désir de voyage, l’envie et le besoin de quitter la grande ville dont on ne voit jamais la fin ».

Ce sera le théâtre de ses premiers romans.

 

À huit ans, il partira à l’île Maurice à la rencontre de son père, ce « jeune écolier qui ne (le) connaissait pas encore, et qui ne savait pas qu’il allait devenir ce passeur de mots dépassé par les mots, traversé par eux, […] ces mots qui le définissaient et avec lesquels il commençait de jouer... » Très vite, une certitude ; il l’emportera de Ogoja au Darien, de Jacona à Albuquerque, de Nice en Bretagne : « “Pour moi, l’homme n’est qu’une transition.” »

 

II. La folie et l’oubli

 

J.M.G. Le Clézio sera frappé de précocité. À vingt-trois ans à peine, il publie son premier roman Le Procès-verbal[1] ; recevra le prestigieux prix Renaudot ; s’en suivra une vie d’écrivain et de voyageur. Pourquoi ? Qu’est-ce qui poussa le jeune Le Clézio, pourtant « chouchou » de tous les médias de l’époque, à fuir une civilisation qui paraît d’emblée l’accepter avec autant de bonheur ? La réponse est dans l’œuvre elle-même.

Du Procès-verbal au Géants[2], Le Clézio va décrire un univers de folie, de violence, de rapports de force et de domination. Le monde moderne est montré comme une grande matrice terrifiante et aveugle. Cela montre combien l’écrivain né à Nice, et d’origine bretonne, dès les années 60, se méfiait de cette société occidentale, comme du progrès techno-déterministe. On pourrait même gloser sur le nom du héros de son premier récit : Adam Pollo. Un nom en forme d’aveu. Car, si Adam est le premier homme avec Eve, - Michèle dans le roman de Le Clézio -, à l’instar des dénonciations de Nietzsche dans son Zarathoustra, Adam Pollo en sera ici, en réalité, le dernier.

Dernier homme d’une civilisation au bord de la démence.

 

Être arriéré, ou éclairé, Adam Pollo est très certainement un individu errant, pris de folie et de violence. Finalement arrêté, puis condamné, il sera interné dans un asile de fous. Mais quelle est donc sa fonction idéologique ? Adam Pollo est à la fois ce prophète et ce malade mental d’une civilisation qui aliène les corps et les esprits, qui isole du reste des vivants les êtres trop lucides ; il est l’homme qui capte la schizophrénie de la société matérielle. Notre monde, nous dit Le Clézio, prétend nous conduire à la féerie, mais cède plus facilement au cauchemar.

Cette critique acerbe, menée durant toutes les années 60 et 70, d’une société fondée sans aucune alternative sur des notions de pouvoir et de puissance, se bâtissant à partir de l’économie de marché et de la technique essentiellement, fait de Le Clézio un visionnaire. Mais pas seulement.

Dans Terra Amata[3], son personnage Chancelade, que l’on suit de la naissance à la mort, n’établit aucun rapport harmonieux avec les éléments qui l’entourent, ce qui souligne les relations conflictuelles que l’humanité occidentale entretient avec la planète. La Guerre[4] où l’on voit un personnage, Béatrice, en proie à un monde en guerre permanente. Les Géants[5], mettant en scène un supermarché géant, Hyperpolis, où y règnent en maîtres des robots.

C’est dans cette société entièrement mécanisée, et factice, qu’une jeune fille prénommée Tranquillité n’aura d’autre échappatoire que la mort.

 

La fuite dans cette société semble pour Le Clézio désormais perdue quoi qu’on fasse. Et seule la folie, ou la mort, pourra sauver ses personnages d’une destruction mécanisée et irréversible.

 

III. L’inconnu sur la terre

 

Évidemment, tout cela fait du niçois Le Clézio, dans le monde des lettres, un curieux événement. Ni écrivain sédentaire, ni écrivain-voyageur, six mois en France, six mois au Mexique (où il y enseigne la littérature à l’université), qui est-il vraiment ? À l’entendre, il n’a pas de véritable patrie, ni de raison d’en choisir.

 

Le Mexique ou la France ?

 

 « Ça doit être chaque fois un choc », imagine Jean-Louis Ezine[6]. « Oui, c’est assez difficile de passer d’un monde à l’autre », répond Le Clézio.

 

Ici ou là-bas ? L’écrivain n’a pas de lieu propre, pas d’espace, pas de temps, pas de topos. C’est ainsi que j’imagine l’écrivain. L’écriture, comme le livre doivent être particulièrement intemporels. Transversaux !

 

La citoyenneté du monde de Le Clézio représente cette liberté. Cet impératif. Le Mexique n’est pas sa porte dérobée, c’est une autre possibilité. Voilà peut-être la morale de cette existence : se placer à la rencontre de deux cultures, et tenter par l’écriture, et son silence, de saisir le moment fugitif.

 

Saisir la « roue du temps ». 

_________________________________________________________

[1] Paris, Gallimard, 1963.

[2] Paris, Gallimard, 1973.

[3] Paris, Gallimard, 1967.

[4] Paris, Gallimard, 1970.

[5] Paris, Gallimard, 1973.

[6] J.MG. Le Clézio, Ailleurs, entretiens avec Jean-Louis Ezine, Paris, Arléa, 1995-2006, p. 77.

Commentaires

  • Je connais quelqu'une qui, faisant son marché sur le cours Saleya dans les années 70, se trouvant par hasard face à Le Clézio, lui jeta aux pieds les oranges qu'elle venait d'acheter. L'écrivain refusa ce geste de dévotion et alla se réfugier dans l'entrée du premier immeuble (celui qui jouxtait le restaurant Le Safari)...

  • Bravo ! Jolie commémoration.

  • J’ai essayé de le lire! Je n‘y suis jamais arrivée. Envahie par l‘ennui.

  • Le procès-verbal est un chef-d'œuvre. Le reste de sa littérature, un pensum exotico-stabulatoire. Il mérite amplement le prix Nobel....écrivain obao-obao.

  • Un beau texte qui cerne bien Le Clézio, y compris dans ce qu'il a d'insaisissable, d'incertain ou de fuyant. Mais sa fuite, qui a commencé par un enfermement avant de prendre la forme d'une évasion sans fin, n'est-elle pas l'aveu d'un obscur et injuste sentiment de culpabilité ? Ce que l'on appelle aussi la mauvaise conscience.

  • "Saisir la roue du temps" est délà un superbe titre qui donne envie de lire l'ouvrage !

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