Un coup de dés peut-il abolir le hasard ?
Un charmant petit ouvrage, fort court mais non moins percutant, au style incisif, et qui n'hésite pas à rapprocher le pari pascalien du coup de dés mallarméen parait chez Tinband. Voilà que l’auteur met en lien le classicisme pascalien avec la modernité la plus radicale.
Je le reconnais. Je ne connaissais pas Claude Minière. C’est donc une double découverte que j’ai fait avec son nouveau livre Le coup de dés. Né en 1938, Claude Minière est poète et auteur de plusieurs ouvrages chez « L’infini », collection chez Gallimard dirigée par Sollers, ou Tarabuste.
Ce qu’il envisage de nous raconter dans ce petit dernier, c’est l’histoire intellectuelle du génie mathématicien et philosophe Blaise Pascal. L’auteur d’un Essai sur les coniques, et De l’esprit géométrique, rédigé en 1655.
Le hasard existe-t-il ?
La question que pose cet essai de Claude Minère est la suivante : le hasard existe-t-il, tel que le prétend la modernité ? On connait tous la célèbre phrase de Stéphane Mallarmé : « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard », titre d’un poème hors norme s'étalant sur onze doubles pages, et jouant de toutes les variations typographiques taille, majuscules, italiques, répandant alors autour de la sentence principale un semis de propositions secondaires. Je me demande cependant, si quelqu’un a véritablement compris cette phrase depuis la parution de ce poème. On retiendra néanmoins l’idée du philosophe Quentin Meillassoux : si Dieu est mort, tout devient aléatoire et plus aucun Absolu ne s'impose à nous...
À voir aussi :
Le poème de Stéphane Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira
le hasard, par Denis Lavant et la Machine Rouge
Voilà de quoi plaire à la modernité, qui rejette tout Dieu et toute nécessité.
Or, « Les figures, écrit l’auteur, sont d’un nombre infini que la géométrie n’épuise pas, cette « métrie » demeure trop attachée à la Terre. »
Si Blaise Pascal ne boude pas les miracles, « le sort de sa nièce par exemple », le hasard en revanche semble exclu.
« Le savant, le mathématicien, a eu des raisons de croire aux miracles. Le sort de sa nièce, par exemple. Cette nièce souffrait d’une fistule lacrymale jugée incurable par les chirurgiens. Elle fut guérie d’un coup à l’instant où elle était touchée par une relique prélevée sur la couronne du Christ et conservée à la Sainte-Chapelle, « la Sainte-Épine ». »
Le pari pascalien : un coup de dés
C’est ainsi, soutient l’auteur, que le pari de Pascal serait une sorte de « coup de dés ». L’argument est rusé : il tente de prouver qu'une personne rationnelle a tout intérêt à croire en Dieu, que Dieu existe ou non. L’argument est même logique, car, si Dieu n’existe pas, le croyant et le non-croyant ne perdent rien ou presque. Par contre, si Dieu existe, le croyant gagne le paradis tandis que le non-croyant est enfermé en enfer pour l'éternité. Voilà le coup de dés.
« La pièce roule, elle tombera côté pile ou côté face. Pour persuader son lecteur de ce que, raisonnablement, celui-ci est amené à gager et s’engager, à entrer dans le jeu, l’écrivain Blaise Pascal présente des situations nettement tranchées, de vives mises en scène (presque un « jeu de rôle »). Il les présente avec art, conscient de l’efficacité de l’artifice. »
Si un coup de dés n’abolira jamais le hasard dans la modernité, tout porte à croire, nous dit Claude Minière, que Blaise Pascal a dominé ce débat, par un principe de « pari contre parti-pris ».
Le pari est une sorte de coup de dés qui abolit et n’abolit pas le hasard à la fois, mais duquel, le hasard est exclu, puisque le non-croyant qui fait le pari de croire, gagne à tous les coups.
Claude Minière
Claude Minière, Un coup de dés, Timbad, Octobre 2019.