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Michel Houellebecq mérite-t-il son succès ?

Le roman Soumission, de Michel Houellebecq est un récit crépusculaire et halluciné, le plus sombre de sa carrière, une sorte de roman catastrophe sur fond de suicide européen, et de guerre des mondes. Cette recension est la version courte de mon long article sur son nouveau roman, qui fut un vrai succès de librairie, partout en Europe, demandée par le Grand Genève Magazine, et parue dans le numéro 4, des mois d'avril, mai et juin 2015. La voici désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

 

 

François, le narrateur, est un professeur d’université quarantenaire, spécialiste de Huysmans, contemplant placidement la vie défiler devant ses yeux. Sa foi en l’existence est profondément altérée par une vision acerbe de nos sociétés occidentales et socio-démocrates. Nous sommes en 2022, et la France se réforme, sur fond de crise politique. L’UMP est au bord de la désintégration, le PS en mauvaise posture et, face à la menace qui rôde, les voilà contraints de s’habituer « à l’idée de gouverner ensemble », et de s’unir au parti musulman pour contrer le Front National. Dernier sursaut républicain et antifasciste. Le pays est au bord du chaos politique et, face aux leaders politiques traditionnels sans vision historique, le leader du parti musulman est porteur d’un projet novateur pour un pays proche de l’asphyxie politique.

 

Sans oser changer un détail de la mécanique bien huilée de son système, Houellebecq rejoue dans ce nouveau roman, ce qui a fait son succès : dépression du narrateur, dépôt de bilan d’une Europe morte née, constat d’échec généralisé, petites réflexions misogynes. Chaque roman de Houellebecq respecte à la lettre la recette qui a fait ses preuves. C’est une annonce renouvelée et définitive de la fin du monde. Une littérature catastrophe, sans concession et sans psychologisme. Une étude sociologique froide et sans appel de nos sociétés capitalistes libérales de ces cinquante dernières années ; une peinture au vitriol de nos petites lâchetés, de nos petites bassesses, de nos vices.
 

Le style de Houellebecq reste également inchangé : absence de qualité particulière, de nombreuses facilités, des techniques journalistiques, ainsi que beaucoup de didactisme, et un réalisme forcené. Tout est là mis au service de son subjectivisme maladif, et de sa misanthropie.

 

Néanmoins, nous ne pouvons le nier, ce qui fait l’intérêt de chacun de ses romans, c’est qu’aucun autre écrivain contemporain jusqu’ici, n’a osé approcher d’aussi près le mal de l’époque, n’a su décrire avec une telle justesse une période aussi troublée. En ce sens c’est une œuvre de la grande maladie de nos sociétés libérales, de la fin de l’Europe, du dernier homme. C’est une littérature de la mauvaise santé...

 

C’est une littérature de la conscience malheureuse. C’est le miroir de notre chute finale, de notre trépas métaphysique, de notre trépas religieux, de notre trépas politique. Une littérature en forme d’inventaire avant fermeture définitive. Une littérature-miroir, sans appel, de la nostalgie mélancolique, qui regrette les temps anciens, les hautes valeurs, la grande morale, les mondes verticaux. Et si elle exaspère ça n’est pas seulement parce que c’est une littérature de la grande maladie occidentale, c’est parce que c’est une littérature malade, malade de ses peurs, de ses fièvres, de ses fantômes. Elle apparaît par conséquent comme l’ultime combat avant l’extinction finale, – et Soumission me semble en être l’expression la plus aboutie.

 

À propos de Michel Houellebecq, Soumission, Flammarion, 2015.

(Chronique parue dans le Grand Genève Magazine, n°4, avr-mai-juin 2015)

 

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