Sollers le Magnifique
Philippe Sollers anime la littérature française depuis presque un demi-siècle. Entre 1958 et 1993, il a écrit quelques centaines d'articles et plus d'une trentaine de livres. Son imposant Éloge de l'infini méritait une petite note dans l'Ouvroir. La voici en accès libre.
Eloge de l’infini, 1096 pages. 29 euros. Le premier dans le genre : La guerre du goût. Que nous a livré Sollers jusqu’ici ? Une curieuse solitude (un très beau roman d’apprentissage sur les traces de Proust), le poème épique et lyrique, qui se présente comme un roman éclaté, bourré de rebondissements, un joyau de musicalité où les langues et la rigueur compositionnelle collabore à un paragraphe compact non ponctué : Paradis. Sans parler du supérieurement avant-gardiste Femmes qui fit école. Sollers peut donc prétendre à être placé entre Gracq et Céline.
Mais surtout, Sollers a du goût. Du goût et de l’intelligence. Il pourfend le « politiquement correct », la « société du spectacle », il réprouve le « mentir vrai ». Il aime le sexe, l’intelligence et les grands bordeaux. Il vous prévient dans son avant-propos. Ce ne sont plus des articles rassemblés en un recueil, mais une unité de texte, une réflexion compacte qui rassemble quelques notes prises au hasard des circonstances sur De Kooning, Mozart, Sade, Nietzsche, Dante, New York, etc. C’est un condensé de culture, d’érudition, de réflexions de la moitié d’une vie. Qu’est-ce qu’il reste à dire ? Que Sollers a beaucoup de goût, qu’il mérite d’être placé parmi les quelques génies qu’il cite. Peut-être attendait-il même qu’on le dise. Sollers fait chier ! Il se répète de livre en livre. Il est un orgueil blessé. Le milieu littéraire en grande partie le rejette. Pourquoi ? On s’en fiche. Il n’est pas reconnu de son vivant. On s’en fiche. Sollers fait chier (un peu comme BHL) à insinuer de livre en livre qu’il est un auteur atypique, en dehors de la norme bien-pensante.
D'ailleurs, Céline en son temps se comportait à l’identique. Céline faisait chier aussi ! Son dernier livre était un condensé de tous les précédents, avec un côté larmoyant surajouté. Lisez tout de même La guerre du goût. Un jour, durant un déjeuner à Lipp, un écrivain assez célèbre, dont je tairai le nom, m’a dit en soupirant, cher ami, c’est douloureux à dire, mais les livres de Sollers sont parfois terribles, néanmoins, lorsqu'il parle des écrivains et qu'il vous promène dans son magasin d'accessoires, là, il vous éblouit, et de ses flâneries, jaillissent des nitescences, des ravissements, dont seul Sollers est capable. Quoi de plus exact !
Philippe Sollers en 2000