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jeux de miroir, miroir du je, À propos de Chloé Delaume sur Boris Vian

Chloé Delaume se confesse : elle est un personnage de fiction… et une maladie.

Chloé Delaume, Boris VianCommençons par le titre : Les juins ont tous la même peau[1]. Juin : sixième mois de l’année. Moment de l’entrée dans l’âge adulte. Moment de l’entrée dans le monde. Comme son Cri du sablier[2], livre d’une réminiscence remontant le temps afin de faire voler en éclats un passé oppressant, la nouvelle tentative de Chloé Delaume est de situer, de se situer, de comprendre son identité. Tentative, à l'âge adulte, de répondre au questionnement d'un enfant, tentative rendue possible par une certaine douceur de l'ironie.

 

 

« Ce n’est plus moi qui parle »[3]. C’est Chloé : « soit en grec herbe verte »[4]. Chloé de L’écume des jours de Boris Vian. « Boris Vian Boris » l’appelle-t-elle durant tout son ouvrage. Boris Vian Boris, ce mort auquel elle ne sait pas parler, qu’elle n’a jamais connu, qu’elle ne peut pas connaître, qu’elle ne pourra jamais connaître[5]. Boris Vian cet homme qui traversa la vie en une seule seconde, mais sans qui « tout serait […] différent »[6].

 

Chloé Delaume se confesse : elle est un personnage de fiction… et une maladie.[7] « Maladie d’un mort ». Maladie de l’amour. Comme Colin et Chloé dans L’écume des jours, Boris et Chloé dans la vie de cet écrivain qui a rencontré la littérature par la figure de Boris Vian. Boris Vian Boris : un révélateur. Révélateur de cet autre-Chloé. Cet autre « Je » protéiforme, s’amusant dans les reflets du miroir.

 

 

Chloé Delaume, Boris Vian

Boris Vian

 


Je est un autre est une citation Rimbaldienne jusqu'à l'excès, jusqu'à l'ennui, le je est toujours les autres, les autres peuplent ce je, énonciation juste et fausse à la fois qui évoque l'idée essentielle du voyage en soi-même.chloé delaume,boris vian L'introspection vers l'intérieur de soi ; là où se consume, certes vainement, l'énergie du « voleur de feu », si vous me permettez cette expression caractéristique de Rimbaud. Une pure recherche de soi. Cette quête de l'inconnu sonde le véritable sens de la vie. Mais c'est également intéressant à un tout autre niveau : celui de l'inspiration. Il s’agit de ne pas manquer la subtilité de cette citation, par laquelle le jeune Arthur voulait insinuer que, pour l'inspiré, cette dernière provient toujours du dehors. L'inspiration nous procède toujours de l'autre. C'est d'ailleurs si fort que, bien souvent, le poète (mais le romancier aussi, sûrement) n'est pas capable de comprendre ou même de juger son œuvre. L'œuvre se fait une sorte de cheminement labyrinthique, une complexité d'impasses et d'embûches à la sortie desquelles, la connaissance entrecroisée s'offre à nous... Une référence nécessaire pour son tout dernier roman (dont nous ne pouvions savoir qu'il serait son roman testament) certes court, mais touffu, complexe et, à l'image de son titre, sinueux.

 

 

Proust qui se disait longtemps un couche-tôt. J'avais essayé de déconstruire son texte monolithique ; texte qui poursuivait sans cesse le temps perdu, en fusionnant l'instant présent et l'instant passé, afin d'accomplir un temps à l'état pur... J'y retrouvais toutefois ma propre vie, par ces multiples mises en relief d'une vie sans reliefs : la vie saine et réglée d'un homme qui souhaite réussir sa vocation d'écrivain. Une vie morne, plate, par laquelle transpirait l'ennui, et la lassitude des parcours semés d'écueils. Les premières lignes découvertes par mes yeux émus n'étaient nullement éloignées de mon propre texte. À mesure qu'il se découvrait, c'était la déroute. Et si ma vie ne faisait là que basculer ?

 


Tout passe par le prisme d'une langue singulière, débordante d'inventions. Le style est démesuré, tantôt lapidaire, tantôt abyssal. Les mots se bousculent, deviennent envahissants, contractant la phrase jusqu'à donner une impression de fusion. Dans ce chaos où leur nature et leur fonction se mélangent, s'inversent, ils révèlent comme un miroir le morcellement de l'identité.

 

Chloé Delaume, Boris Vian

Tombe de Boris Vian (détail) 

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[1] Chloé Delaume, Les juins ont tous la même peau, La Chasse au Snark, 2005.

[2] Editions Farrago, 2001.

[3] Chloé Delaume, op. cit., p.79.

[4] Chloé Delaume, op. cit., p.76.

[5] Chloé Delaume, op. cit., p.9.

[6] Chloé Delaume, op. cit., p.7.

[7] Chloé Delaume, op. cit., p.7.

 

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