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Bonjour paresse, notes de lecture (Corinne Maier)

Je me souviens d'avoir chroniqué, pour le numéro 3, du Magazine des livres, de mars 2007, un petit livre léger, aéré, et aux prétentions fort tout limitées. Ce livre était sorti en 2004, dans un grand bruit fracassant, comme on en connaît depuis déjà des années. On disait à l'époque que le livre de Corinne Maier dressait un constat sombre sur les rapports entreprise-salariés, sans proposer de remède. Ce n'est pas faux. Et c'est sûrement ce qui en limite sa portée. D'un autre côté, on ne peut être le juge et le jury. J'expose le constat, pour le reste, les choses se feront dans le silence des transformations invisibles. Je remets cette chronique en accès libre dans l'Ouvroir.



corinne maier, éric albert, hirschman, En 2004, Corinne Maier publie un ouvrage-bombe : Bonjour paresse[1]. Une vraie référence pour tous ceux qui veulent sauver leur avenir de la fin imminente de notre société consumériste en plein déclin. Dans le même genre, on peut trouver le livre d’Eric Albert, Pourquoi j'irais travailler.  Phénomène important, Bonjour Paresse a trouvé un public. Son public ! Tous ces cadres désenchantés, tous ces salariés désenchantés par leurs conditions de travail, par l’ascenseur social qui ne fonctionne plus, par des salaires bloqués. Désenchantés en effet, par cette nouvelle absurdité du fonctionnement de l'entreprise et du travail. Et ce qui est absolument formidable, c’est qu’elle dit tout haut, ce que beaucoup font déjà tout bas : elle prône une attitude simple et terrible : « la paresse », la fameuse philosophie de "l'exit" qu'Albert O. Hirschman développait déjà dans Exit, voice, loyalty.


Ceux qui souffrent au travail, ceux qui ont le sentiment d'être manipulés ou frustrés : entrez en révolte ! Vite ! Maintenant ! Tout se joue là, dans votre entreprise ! Constat clair et simple : Où va-t-on ? Est-ce donc la seule sortie de secours possible ? Facile de gueuler, on rétorque à l'auteure, mais que proposez-vous de concret ? À cela Corinne Maier répondant sur un plateau à la fille de Lelouch, dit qu’il n’existe pas de critique constructive, c’est de l’hypocrisie. Il n’existe que la critique. Surtout devant un tel phénomène d’urgence. L'argument est-il facile ? Après tout, le constat pose un problème grave : les cadres ressentent aujourd'hui un vrai malaise en entreprise. Ont-ils tort ? Ont-ils raison ? Quoi qu’il arrive, durant toute notre jeunesse, on nous promettait une issue correcte à notre condition si on travaillait bien à l'école, si on transpirait, si l'on restait dans le rang. Alors qu'il ne s’agit plus de transpirer aujourd'hui, mais de simplement respirer ! Respirer surtout depuis que les exigences de l'entreprise sont devenues intolérables. Hier, le travail pouvait être libérateur. C’est d'ailleurs sa réelle vocation, malgré son étymologie latine tripalium, torture ; aujourd'hui, le travail et le lieu du travail deviennent violents, stressants pour les salariés, anxiété et violence dans l’entreprise, qui considère de façon très perverse, les individus comme des maillons du système parfaitement interchangeables.


La limite de cet ouvrage, c’est que la solution proposée par Corinne Maier est devenue quasi impraticable dans beaucoup d’entreprises privées qui sont fortes en licenciements abusifs et nocifs. Seule la fonction publique pourrait peut-être servir de laboratoire à cette idée, plus provocatrice qu'autre chose ! Personnellement, je la vois elle-même comme une impasse. En faire le moins possible est pourtant la seule solution pour Corinne Maier. En faire le moins possible afin de bloquer le système, et de le rendre impraticable. Elle le dit elle-même, c’est une solution intermédiaire, quand ça ne marchera plus, il faudra bien inventer autre chose ! Oui, pourquoi pas, détruire pour reconstruire...


Pour conclure cette note que je ressors de mes tiroirs :

Certains lui contestent que conduire le système à une telle implosion, ce serait la solution la plus douloureuse pour l'individu. (Hirschman) Et pourtant, c’est déjà ce que font un grand nombre de travailleurs, lassés par le manque de reconnaissance de la part de leur entreprise, lassés par des salaires presque insignifiants, qui n'ont plus rien à voir avec la teneur de leur savoir faire et de leurs diplômes, etc. Un très grand nombrs de salariés, et nous en connaissons tous, font le minimum « syndical » attendant impatiemment le week-end, les vacances, souffrants dans leur coin qu’aucun gouvernement politique digne de ce nom, ne cherche à redéfinir le moindre cadre relationnel dans l'entreprise, ce qui permettrait à terme, un meilleur équilibre entre patronat et salariat, ne cherche à redéfinir les politiques du marché, de l’emploi, de l’enseignement. Bref, que l’on sorte de cette crise par le haut. Malheureusement, les 200 000 exemplaires écoulés de ce livre, n’ont toujours pas permis une réelle prise de conscience des gouvernements et chefs d’entreprise. Pourquoi ? Est-ce donc les inconséquences du clivage éculé gauche-droite qui se refilent le bébé laissant le désastre s'installer durablement, la veulerie des entreprises qui surfent sur une tendance mondiale : la crise, récupérant celle-ci à coup d'intox, réduire les salariés à des niveaux de plus en plus bas, opérant dans l'ombre en faisant cyniquement du chantage à l'emploi ? La tyrannie du marché est de plus en plus forte, de plus en plus flagrante ! Les grèves à rallonge, les jappements de mes compatriotes n'ont pas raison de ce qui sévit sur le marché du travail. Le marasme est grand, et il est probable que nous touchions bientôt le fond !!

Ce que l’on peut craindre aussi, c'est que le travail se réduisant à des secteurs économiques de plus en plus étroits, deviennent demain, pour nous, pour nos enfants, de plus en plus rébarbatifs, asservissants, inhumains...

Et puis ce livre nous amène à un autre constat flagrant : soyons paresseux par réaction contre le « mal-boulot », le « mal-emploi », la déconsidération flagrante de l’employé. Ce qu'on a eu tort de penser, c'est que ce livre faisait l’apologie de la paresse. Les Américains se sont gaussés. En réalité, ce livre au contraire, crie son envie irrésistible de travailler, et de travailler dans de bonnes conditions ! Produit de la génération 69, Corinne Maier connaît tous les bienfaits du travail, et précisément son effet libérateur. « La méditation qui prépare et obtient pour le besoin particularisé un moyen également particularisé, c’est le travail »[2].

L’organisation capitaliste du travail, dans sa forme actuelle la plus déviante, la dévalorisation d’une valeur porteuse d’humanité au profit de quelques gains à court terme… Tout ça est pathétique... Et c'est ce que Corinne Maier essaye de nous dire... 

 

corinne maier, éric albert, hirschman,

Corinne Maier

 

corinne maier,éric albert,hirschmanParu dans le Magazine des livres, n°3, mars.avril 2007.



[1] Bonjour paresse. De l'art et de la nécessité d'en faire le moins possible en entreprise,
Corinne Maier , éd. Michalon, 2004.

[2] Hegel, Principe de la philosophie du droit, §196, p.227.

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