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La Vème République va-t-elle sombrer dans une crise de régime ?

Plus qu'une défaite, c'est une déconfiture, un camouflet pour Macron que ces résultats du second tour des législatives. Le roi est-il vraiment nu cependant ? Ma nouvelle tribune dans Entreprendre. Désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

 

À la question : la Vème République va-t-elle sombrer dans une crise de régime suite aux résultats des élections législatives du second tour dimanche ? la réponse est clairement non ! Enfin, redescendons sur Terre ! Certains commentateurs plutôt défavorables à Macron prennent leurs désirs pour des réalités.

 

Bon, faisons un point : il y a 577 sièges à l’Assemblée nationale. Il faut 289 députés pour obtenir la majorité. Ensemble ! a obtenu 245 sièges remportés (38,6% des votes), Nupes a obtenu 131 sièges remportés (31,6% des votes), le RN a obtenu 89 sièges remportés (17,3% des votes) et le LR obtenu 61 sièges remportés (7% des votes). Voir tableau ci-dessous :

 

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La Constitution de l'Assemblée nationale
aux lendemains des élections législatives de juin 2022

 

La Nupes ne peut être considérée comme une force politique de gauche. C’est plutôt une alliance très provisoire pour gagner des sièges. D’ailleurs, dès le lendemain d’une victoire en demi-teinte, mais qui n’a pas dispensé Mélenchon d’une allocution offensive devant les caméras, se prenant au passage pour Lénine, le leader des Insoumis a proposé lundi à ses alliés à gauche la création d’un groupe commun à l’Assemblée nationale pour contrer le RN. Résultats des courses : proposition immédiatement refusée. Jean-Luc Mélenchon fissure déjà la Nupes. Ça aura été vite !

 

1er enseignement : Mélenchon ne sera pas Premier ministre. Le show s’achève. Baisser de rideau !

 

2ème enseignement : le RN réussit un tour de force exceptionnel, puisqu’il envoie 89 députés au Palais Bourbon contre 8 précédemment.

 

3ème enseignement : La France Insoumise obtient moins de sièges que le RN, puisqu’il ne jouit que de 72 députés à l’Assemblée nationale.

 

4ème enseignement : avec 61 députés issus des rangs des Républicains, Macron fort de ses 245 députés, peut tout à fait réussir une coalition de droite et faire passer ses réformes. Certes, il devra composer avec la droite, mais force est de constater que ses prochaines réformes, sur les retraites, la réforme de l’Éducation nationale, la réforme du RSA sont plutôt des réformes libérales que le LR peut tout à fait voter.

 

Mitterrand, fraîchement réélu en juin 1988, ne disposait que d’une majorité très relative à l’Assemblée, puisqu’il n’avait que 275 sièges sur 577. Faute de majorité parlementaire, Michel Rocard, alors Premier ministre, avait gouverné à coups de 49,3[1], puisqu’il y eut recours pas moins de 28 fois. En face, l'opposition avait déposé cinq motions de censure, toutes rejetées. En tout, quinze textes avaient été alors adoptés de la sorte, pensons par exemple à la création du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou encore la loi de programmation militaire 1990-1993. Dans des situations donc, où Emmanuel Macron prendra le risque de rencontrer des difficultés à faire passer ses réformes, cet outil – l’article 49-3 de la Constitution – permettra de mettre fin aux discussions et de faire passer en force un texte, même si son utilisation est aujourd’hui réglementée, depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, cet article ne pouvant désormais être utilisé que sur une seule proposition ou un seul projet de loi par session parlementaire[2]. Il est aussi utile de préciser que l’on peut se servir du 49-3 pour faire passer, lors de la même session, le projet de loi de finances (PLF), et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), textes budgétaires discutés chaque automne. On constate donc que, ni Macron, ni la macronie ne sont pieds et poings liés par les résultats de dimanche dernier. De là à croire que nous serions revenus à la IVème République, fondée en 1946, à la suite de la Libération de la France, et qui est demeurée célèbre pour son instabilité gouvernementale (18 gouvernements de 1946 à 1958), ses ministères s’étant succédés encore plus vite que sous la IIIe République (1870-1940), il ne faut vraiment ne rien comprendre à la Constitution de 1958.

 

Autre point important : la gauche n’a rien gagné avec les Nupes, puisque son score demeure historiquement bas. Marine Le Pen en revanche, dispose d’assez de députés à l’Assemblée pour constituer un groupe parlementaire et une force d’opposition crédible. Ce qui lui a fait pousser des ailes, puisqu’elle réclame d’ors et déjà la présidence de la Commission des finances et la vice-présidence de l’Assemblée. Rien que ça !

 

Les LR seront une nouvelle fois les « cocus » de l’histoire, puisqu’ils seront forcés de s’allier à la macronie, ce qui déplaira fortement à leurs électeurs, une fois de plus, et ce qui se paiera sûrement dans les urnes, aux prochaines élections.

 

Macron a payé sa politique du mépris, son manque d’implication dans les deux campagnes, le scandale des incidents de Saint-Denis, son « en même temps », son mépris du peuple. Peuple, une fois de plus été schizophrène dans les urnes, votant pour un banquier en avril, pour un bolchevik en juin – même si le péril rouge a été de peu évité. Alors, certes, Georges Fenech, après les résultats des élections législatives, a déclaré sur les plateaux de CNews : « Le Président Emmanuel Macron n’a plus le pouvoir. Un Président qui n’a pas de majorité, c’est un Président qui est dépourvu de pouvoir politique gouvernemental. » On peut le dire ainsi. Certes, il est vrai que, pour Macron, ces résultats sont plus qu’une défaite, c’est une déconfiture, un camouflet – certains diront bien mérité ! L’essentiel, pourtant, n’est pas là. La crise historique qui frappe la Ve République depuis sa création en 1958, laissera peut-être place à une instabilité politique ; certainement pas à une crise de régime. D’ailleurs, on entend déjà dans les rangs des Républicains, des voix dissonantes, prêtes à former une coalition avec les macronistes. On parle aussi de l’insécurité frappant le poste de Premier ministre. Mais Élisabeth Borne a été élu dans sa circonscription. On peut bien sûr rêver qu’elle soit remplacée par une LR, Valérie Pécresse par exemple, mais il y a peu de chance que cela arrive. On dit aussi que la nomination au poste de ministre de l’Éducation nationale de Pap Ndiaye est une faute majeure car une vraie provocation. Soit ! Rien ne changera !

 

En réalité, la vraie question ne touche pas aux fondements de la Vème République, qui sont solides, au-delà de ce que l’on pourrait imaginer, et qui ridiculisent les voix à gauche qui demandent à corps et à cris depuis de nombreuses années, une VIe République. Il n’y a pas plus bête ! En réalité, la forte nouveauté de cette élection, c’est la victoire de Marine Le Pen, candidate certes malheureuse à la présidentielle, mais triomphante aux élections législatives. Une bonne partie des commentateurs oublient de dire que le RN fait là une poussée historique, et que l’on a fortement sous-estimée la capacité à gagner de Marine Le Pen, que l’on disait fatiguée, lasse, démotivée. C’est une leçon d’humilité pour tous les partis, en commençant par le trotskyste et lambertiste Mélenchon, que ne veut pas « laisser le sentiment que le RN a gagné ». Or, c’est non seulement le cas, mais son groupe unique qu’il appelle de ses vœux ne se réalisera pas. Trop de dissensions au sein des différents partis de gauche.

 

En réalité, ce à quoi l’on a assisté, c’est à la fin du « cordon sanitaire », la fin du « barrage républicain », beau coup politique qui s’est émoussé au fil des années. Fin de la malédiction du scrutin majoritaire, et percée non seulement du vote RN, mais du vote des « gilets jaunes ». L’affaiblissement de Macron au lendemain de sa réélection à l’Élysée est donc moins dû à des erreurs du pouvoir lui-même, que l’on accuse de tous les maux, qu’aux bénéfices que Marine Le Pen a tiré de la convergence des oppositions radicales, et du barrage anti-Nupes.

 

Cette droite nationale, que certains continuent de s’entêter à appeler « extrême droite », a non seulement bénéficié du travail de dédiabolisation entamé par Marine Le Pen, puis gravé dans le marbre par la candidature d’Éric Zemmour aux élections présidentielles, droite nationale tant honnis dans les années 80 et 90, puis au début du XXIe siècle, et qui est désormais devenue un parti politique sortant clairement de la marginalité. On peut alors souligner ici, qu’en juin 2022, la France a radicalement changé de sociologie des votes, de grammaire politique, qu’elle a tourné la page à 70 ans d’histoire d’une famille politique frappée du sceau de l’infamie du fascisme et de la Révolution nationale. Nous sombrons donc moins dans une crise de régime que dans un changement de régime. Alors que le libéralisme et le progressisme régnaient sans partage sur la vie politique française, c’est désormais son magistère politique et moral qui est mis en défaut, par cette droite nationaliste, antilibérale, organiciste, inspirée d’une idée barrésienne de la nation. CQFD.

 

Aussi, malgré les tentatives de Mélenchon de l’emporter dans cette bataille électorale qui aura été rude pour la Nupes, se rêvant en premier parti de France, première force d’opposition, l’histoire de la Vème République en a voulu autrement. Ce ne sont jamais les hommes qui tournent la page de l’Histoire, mais l’Histoire qui tourne la page de l’Histoire. Comme dans la philosophie de Hegel, la ruse de la raison a voulu que Mélenchon ne fasse pas le jeu de son propre parti, mais celui du parti de son adversaire juré, puisque la percée spectaculaire de Marine Le Pen a été favorisée par un vote utile contre la Nupes, et un vote sanction contre Macron.

 

Avec le nombre d’élus au Palais Bourbon et la commission des finances, pariez que le RN aura les moyens de jouir d’un vrai pouvoir. On craignait que l’Assemblée nationale soit transformée en ZAD par les mélenchonistes fraîchement élus, ce sera un hémicycle qui permettra à Marine Le Pen et son groupe parlementaire de prouver à cette moitié de Français qui craignent encore que son parti soit un parti politique anti-démocratique, qu’elle respecte les lois de la République, qu’elle n’appartient pas à ce passé sulfureux de la vraie extrême-droite, anti-républicaine, putschiste, antidémocrate, mais qu’elle est une authentique force politique, capable de propositions, d’argumentations à propos des textes, ce qui serait tout bénéfice pour Marine Le Pen, capable enfin de rendre le RN crédible aux yeux des nombreux Français récalcitrants, et de favoriser son élection aux présidentielles de 2027.

 

Donc, moins qu’une crise de régime, nous rentrons dans une nouvelle vie parlementaire, se divisant désormais en trois pôles bien distincts : les déconstructeurs, les mondialistes et les nationalistes. Macron avait parié sur sa formation en nous menaçant du chaos rouge-brun si les Français ne le suivaient pas dans cette élection. Il a en réalité favorisé une toute nouvelle poussée politique qui risque fort de rabattre les cartes de 2027. Affaire à suivre !

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[1] L'article 49 alinéa 3, dit d'« engagement de responsabilité », permet au gouvernement de faire passer le texte qu'il présente, sans vote, sous couvert du rejet de la motion de censure qu'un dixième de l'Assemblée se doit de déposer.

[2] Période allant traditionnellement d’octobre à juin.

Commentaires

  • Si cela était vrai ! Virez moi cette caste technobureaucratique parisienne de mignons et de fofolles

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