Johan Heliot, Fureur de la grande écoute
Johan Heliot est un auteur de SF encore jeune, ayant fit sensation avec la publication de son premier roman La lune seul le sait[1], en 2000. Depuis, il s’est imposé comme l’un des nouveaux chefs de file de l’imaginaire francophone.
Plutôt audacieux, Johan Heliot n’hésite pas par exemple, à mêler les genres, confronter les époques, ou les personnages historiques et les personnages fictifs. Ces livres sont souvent drôles, inventifs, et enlevés.
Et c’est effectivement le cas, de ce nouvel opus, dont le titre est déjà tout un programme : Führer prime time. Paru dans une collection de longues nouvelles situées dans un futur proche, éditée par Le Rocher, la dernière fiction de Johan Heliot s’inscrit dans un cadre qui semble bien à la mode aujourd’hui : la critique sans concession d’une société médiatique de masse et des manipulations immorales auxquelles elle soumet l'opinion publique.
On se souvient naturellement des parallèles fait par Pierre Bordage entre Camps de concentration et télé-réalité, dans son flamboyant Wang[2] ou du cultissime Jack Barron et l'éternité[3] de Norman Spinrad, qui nous présentait un avenir concentrationnaire de l'occident machinisé.
La longue nouvelle de Johan Heliot s’inscrit dans le même cadre : un talk-show quasi-surréaliste met en scène divers personnages historiques aussi célèbres qu’opposés, tels Elvis Presley et Adolf Hitler, afin de les confronter en prime time et bien entendu en direct live, devant des milliards de spectateurs pour le compte de la chaîne de télé NERVERSTOP. Véritables avatars historiques, ces personnages célèbres du 20ème siècle sont en fait des clones destinés à vivre quarante huit heures tout au plus : le temps d’un show.
La nouvelle débute sur un échange violent et jalonné de poncifs entre un Elvis survolté et un Adolf Hitler décalé. Reproches, demande de repentance, brèves références à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale sur le mode de la réflexion du post-ado ayant mal digéré ses cours de terminales, l’auteur dresse un panorama à peine surréaliste d’un talk-show calibré pour faire monter l’adrénaline d’un public décérébré. Rien, en effet, de ce qu’il nous décrit ne nous est étranger. On pense naturellement à Patrick Le Lay, à TF1, qui dit vendre « du temps de cerveau humain disponible ».
Puis, rapidement, tout s’accélère : lors de l’émission, un commando terroriste répondant au nom du Front de libération des Avatars historiques, - on ne peux s’empêcher de penser au Front de libération des nains de jardin ! - kidnappe le Führer. S’emparant du zombot de Adolf Hitler, ils laissent Shakira Miuy, la présentatrice vedette de ce talk-show au succès mondial, et son assistant particulier Cusco, sur le carreau. Mais une question n’aura pourtant de cesse de hanter Cusco : ce Front de libération existe-t-il vraiment ? Et à quelle manoeuvre prête-t-il la main ?
Tout le monde l’aura compris, les thèmes abordés par Johan Heliot touchent à l’actualité la plus brûlante : le clonage, la télé-réalité, la marchandisation des humains, des cerveaux, des spectacles de divertissement dans une société aliénée à la permanence du changement, l’accélération des modes, et des tendances ; critique de la société du spectacle, de l’accélération de l’information, de la banalisation des « happening ».
Johan Heliot dénonce la fin de l’éthique et de la déontologie au profit de la société-marchandise, de la société du spectacle, et de la « machinisation » de l’être humain. Le clonage pose d’ors et déjà un problème éthique. A-t-on le droit d’intervenir sur la nature ? Peut-on créer la vie artificiellement en reproduisant à l’identique un être humain ? Quelles seraient les conséquences d’une telle intervention de l’homme sur l’homme ? Johan Heliot mêle ces problèmes à ceux qui touchent à la société de surconsommation, aveuglée par sa demande quotidienne de divertissement et de sensations fortes. Dans cette fureur de la grande écoute, les hommes délaissent l’humain pour se réduire à des êtres-marchandises, cerveaux disponibles à disposition. Pour ce faire, il brosse un tableau convenu. Emission phare, et télé-réalité à échelle mondiale, pour dénoncer l’uniformisation des hommes et de la culture. Le personnage auquel s’en prennent le groupuscule terroriste, n’est autre que le représentant majeur du mal radical : Adolf Hitler. En belle parabole de notre époque consumériste, ce personnage se pose dès lors comme le symbole de la déliquescence et la fin annoncée d’une civilisation qui flirte allègrement avec le mal absolu, dans une fuite en avant de plus en plus inquiétante, car la mascarade à laquelle elle se prête, délaisse bien entendu, ce qui est au fondement même de sa cohésion et de sa pérennité : l’éthique et la déontologie. Des termes désormais oubliés, piétinés, nivelés. De fait, la société contemporaine, et bientôt la totalité du globe, soumis au nouvel ordre mondial, sera livrée au dernier homme, incapable, tel que le disait Nietzsche, de mettre au monde des étoiles ; méprisable homme, plus même capable de se mépriser lui-même.
Johan Heliot peut-être parfois très inventif, même si cette nouvelle reste tout de même assez convenue. Le rythme est soutenu, les personnages ne manquent ni de couleur ni de relief, mais il est tout de même à déplorer que l’auteur ne se soit pas dégagé d’une vision du monde quelque peu « bien pensante ». Le clonage est dessiné et problématisé dans cette nouvelle, selon les stéréotypes les plus ordinaires, et est un peu trop facilement mêlé à une réflexion plus qu’habituelle sur la télé-poubelle. Le bilan qui nous est fait ici, ne nous avance pas plus, et ne se démarque pas de ce qui est dit en général.
Mais pour comprendre la démarche de Heliot, peut-être faut-il s’en tenir à son ambition première : nous proposer un roman populaire dont le seul but, hormis celui de reposer les thèmes classiques de l’actualité contemporaine, et de nous divertir quelques heures. Pour le coup, si son questionnement social, éthique et métaphysique déçoit par son conformisme et sa « bien pensance », en revanche, le roman et sa lecture enchante par sa drôlerie, ses multiples rebondissements et sa rapidité phénoménale.
Johan Heliot, Führer prime time, Novella SF, Editions le Rocher, 2005.
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[1] Folio SF
[2] J'ai lu SF, 2 tomes
[3] J’ai lu SF