Entretien avec Guillaume Millo « Transmettre c’est laisser quelque chose en héritage comme une source d’inspiration »
Alors que nous vivons une diversité de crises, l’instabilité parlementaire qui présage une dissolution de l’Assemblée nationale, les problèmes énergétiques qui sont autant de problèmes majeurs bientôt, comme celui de l’augmentation des prix qui ne cesse de défier les pouvoirs publics, le dérèglement climatique, la guerre à nos portes, l’insécurité croissante dans les rues de France, sans compter le déboulonnage de la statue de Saint-Michel, symbole du déclin de notre patrimoine, de l’éradication de nos racines culturelles, j’ai questionné l’entrepreneur Guillaume Millo, qui a, me semble-t-il, un rôle énorme à jouer dans cette société moderne. Et, tandis que l’expertise de Guillaume Millo lui a récemment valu de devenir collaborateur du magazine papier Transitions & énergies, également chroniqueur sur Radio Notre-Dame, tandis qu’Emmanuel Macron perdu dans ses éléments de langage a mis comme priorité de son nouveau quinquennat la transition énergétique et l’écologie, pour donner du sens et de l’avenir à nos enfants et petits-enfants, aux vivants et à la planète, dit-il, je me suis intéressé à l’entreprise Rehearth de Guillaume Millo, qui conjugue avec un talent incomparable, et une élégance exceptionnelle, passé et avenir. Pétri d’une dimension humaniste profonde qui guide ses actes, on peut dire que l’homme est très attaché au patrimoine historique de la France et à sa transmission, s’étant donné pour mission de diffuser son savoir appris sur le terrain, afin de le rendre pérenne dans le monde de demain. Conscient qu’il faut en préserver l’ADN tout en le projetant dans le futur avec le souci de protéger la planète, c’est-à-dire de décarboner. Pourtant, cette rentrée sur fond de guerre met l’accent sur tous nos problèmes énergétiques, puisque, désormais, nous devons consommer moins – je ne polémiquerai pas ici sur tous les manquements du gouvernement en matière de sécurité énergétique, mais je n’en pense pas moins ! Interlocuteur de premier choix pour conseiller les entreprises, les particuliers et les pouvoirs publics, afin de préserver la richesse historique et culturelle de nos paysages immobiliers, ce sont certainement des entreprises comme Rehearth, ancrées dans nos préoccupations actuelles de développement durable, qui permettront sûrement de réhabiliter nos biens tout en respectant le patrimoine de France, lui donnant de la densité et de l’épaisseur. Ce n’est certainement pas en rasant nos églises, nos bâtiments anciens, en voulant faire table rase du passé, que nous bâtirons l’avenir de notre humanité. J’ai donc été à la rencontre de l’auteur de Comment réhabiliter votre bien immobilier (Rehearth, 2022), parce que Guillaume Millo sait où il souhaite nous emmener, quelle est sa mission de vie. Il a eu la gentillesse de répondre à mes questions. Cet entretien est paru dans le site du mensuel Entreprendre. Il est désormais en accès libre dans l'Ouvroir.
Marc Alpozzo : Bonjour Guillaume Millo, je voudrais d’abord vous saluer comme entrepreneur audacieux et déterminé. Vous êtes un homme de terrain, attaché à des valeurs pérennes. Vous avez gravi tous les échelons dans les métiers du bâtiment. Ingénieur en bâtiment de formation en partant d’un CAP coffreur boiseur, vous avez réussi à être mieux classé dans certaines grandes écoles que les élèves des classes prépas les plus prestigieuses. Pouvez-vous nous révéler votre secret pour réussir ? La volonté est-elle suffisante ? Y a-t-il eu un déclic particulier qui vous a fait ressentir le caractère impérieux de votre vocation ? À partir de là, tout s’est-il enchaîné sans embûches ?
Guillaume Millo : Selon moi, le plus grand devoir de chaque être humain est de découvrir pour quelle raison l’univers l’a créé. J’ai la conviction que chaque femme et chaque homme possède un talent particulier. Tant que nous ne l’avons pas trouvé, nous devons chercher pour que la vie puisse nous mettre face à nos responsabilités.
Ne pas avoir une mission de vie en rapport avec notre talent particulier est comme errer dans un désert sans boussole. Nous n’avons pas de sens et de direction.
J’ai eu la chance de trouver très tôt ma vocation, mais ça ne suffit pas. Il faut ensuite œuvrer pour développer ses aptitudes. J’ai beaucoup travaillé et je travaille encore très dur pour m’améliorer quotidiennement. Ma recette c’est la discipline et la régularité dans l’effort. Être toujours à la recherche de nouveaux défis pour aller le plus loin que je puisse.
J’ai également une fascination pour la notion de lègue. Transmettre c’est laisser quelque chose en héritage comme une source d’inspiration. Mon énergie provient de cette envie de passer le relais, d’assurer des ponts entre les générations, d’être un passeur de temps.
J’ai rencontré beaucoup de difficultés dans mon parcours et j’en rencontre encore chaque jour. Mais l’adversité me fait grandir et me rend plus fort. Je souhaite toujours à mes proches d’avoir beaucoup d’échecs, car ils sont une condition nécessaire à la réussite. Le plus important c’est ce que nous devenons dans les moments difficiles.
Pour finir, ce qui m’amine et ce que je redoute le plus c’est de disparaître de ce monde avec des regrets.
M. A. : Où avez-vous puisé votre énergie conquérante ? Dans l’amour de votre famille ? Dans une ambition sans failles ? Dans des exemples stimulants autour de vous ? Vous faites souvent référence à l’esprit des anciens bâtisseurs, pensez-vous possible, réaliste, de renouer avec leur vision de l’éternité en 2022 ? Entre les pyramides et la tour Eiffel, on a l’impression qu’il y a un fossé aussi impossible à combler que le serait de remettre le dentifrice dans le tube ? Lorsque je vous lis ou quand on parle ensemble, on sent que vous êtes animé par une éthique — transmettre — soutenue par un esprit philanthrope puisque vous venez d’inaugurer une formation ouverte à tous, pouvez-vous nous en parler ? Vous considérez-vous comme un pionnier dans cette voie pédagogique ? Avez-vous eu cette idée parce que l’école française en général a de plus en plus de mal à transmettre des savoirs et des savoir-faire ?
G. M. : D’abord, c’est mon grand-père, Pierre Millo, qui a été et qui est toujours une source d’inspiration dans ma vie. Il était photographe de métier au centre d’études techniques de l’Équipement Méditerranée à Nice à une époque où les appareils numériques et les téléphones portables n’existaient pas. Il vivait une véritable passion et me disait souvent qu’il tentait de capter un moment d’éternité à travers un cliché. Lorsque j’étais enfant, il m’amenait sur les grands chantiers de construction qu’il photographiait. J’étais littéralement fasciné et je me demandais comment de si petits hommes arrivaient à construire de si grandes choses. Un jour de 1994, nous étions à l’intérieur de la construction du tunnel de la gare de Monaco au moment d’un tir d’explosif. Nous nous sommes retrouvés confinés dans un véhicule de service. Dehors, des alarmes rugissaient pour prévenir l’imminence du tir. Une puissante déflagration a fait alors trembler le rocher de la principauté et un énorme nuage de poussière a envahi le tunnel. J’ai ressenti un mélange de peur, d’excitation et de fascination. À ce moment-là, j’ai su que je consacrerais ma vie aux métiers de la construction. Je voulais œuvrer comme ces femmes et ces hommes à bâtir l’impossible.
Ensuite, il est non seulement possible de renouer avec l’esprit des anciens bâtisseurs, mais c’est selon moi une nécessité pour la survie de l’humanité. Ce n’est pas refaire ou copier ce qui a déjà été fait par nos prédécesseurs. C’est simplement s’inspirer d’un état d’esprit pour offrir au monde une vision et un message d’espérance tourné vers l’action. Être un bâtisseur c’est être capable de modifier et d’impacter son environnement positivement pour créer les conditions sur lesquelles les générations futures vont pouvoir se construire. Ce n’est pas réservé aux professionnels du bâtiment ou à une élite. Chacun de nous renferme cette faculté de prendre en main sa vie pour écrire un bout d’histoire et contribuer à bâtir les fondations d’une humanité sans cesse renouvelée.
Le drame de notre époque est le manque de vision globale et de clarté de notre classe politique, mais aussi des écoles de la République. Nous manquons cruellement d’hommes et de femmes d’État, non pas au service d’intérêts personnels rattachés à des échéances électorales, mais au service de la France sur un temps long.
Je me suis donné pour mission par mon action de transmettre le patrimoine aux générations futures tout en contribuant à protéger les ressources de la planète. J’accompagne quotidiennement des donneurs d’ordres, des maîtres d’ouvrage sur leurs opérations de réhabilitation, de la conception à la réception, car je veux garder un contact avec le terrain. Je tente chaque jour d’incarner l’esprit des anciens bâtisseurs et la transmission est la valeur la plus importante à mes yeux. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit le livre Comment réhabiliter votre bien immobilier et que j’ai créé le programme de formation « Rénovation gagnante ». Je donne des principes universels de réussite pour rénover son patrimoine tout en renouant avec l’esprit des anciens bâtisseurs. Mon seul but est de vulgariser les savoirs pour les rendre accessibles au plus grand nombre.
Je pense que le problème majeur de l’école française est que l’enseignement est déconnecté des réalités du terrain. Dans un monde qui se transforme à grande vitesse, l’école se retrouve démunie pour apporter des réponses concrètes avec un outil pédagogique adapté. J’ai l’exemple d’un jeune qui a fait le choix d’abandonner sa scolarité après le baccalauréat. Il s’est formé de manière autodidacte avec des vidéos sur YouTube en trois mois. Il est devenu aujourd’hui un photographe et un caméraman talentueux. J’ai le sentiment que le système éducatif n’apporte pas les clés recherchées par la nouvelle génération. C’est la raison pour laquelle, dans le programme « Rénovation gagnante », je transmets une méthode que j’éprouve chaque jour sur mes chantiers. Ce qui ne marche pas je le change. J’ai vraiment la volonté d’aider le plus grand nombre à acquérir une méthode pour développer une vision du projet, bâtir un budget et un planning, trouver des artisans fiables, négocier les bons prix, établir des contrats et gérer les travaux de rénovation jusqu’à la réception.
Ce type de programme est le premier d’une longue série. Je rêve de fonder une université de la réhabilitation pour créer des ponts entre les savoirs ancestraux dans l’art de bâtir et les techniques modernes. Ce sera un véritable laboratoire de la connaissance pour créer des ruptures de technologie dans les métiers du bâtiment.
M. A. : L’hebdomadaire Valeurs actuelles de juillet 2022 réalisait un très bon dossier sur le sauvetage du patrimoine, dans lequel Stéphane Bern, le célèbre présentateur, affirmait que sauver le patrimoine français n’était pas un luxe, mais une nécessité et, dans le même temps, l’héritage, conserver le patrimoine sont des valeurs classées à droite, en France. En avez-vous conscience ? À l’heure où la gauche woke veut tout déconstruire, ou plutôt tout détruire, puisque la cancel culture peut se traduire par « culture de l’annulation ou de l’effacement », vous, vous aspirez à pérenniser les richesses et beautés que nos ancêtres nous ont léguées sur Terre. Avez-vous conscience que vous défendez des valeurs dites « réactionnaires », et comment analysez-vous cette haine du patrimoine et de la transmission de nos parents ? Est-ce un caprice d’enfants gâtés ?
G. M. : Je suis d’accord avec cette idée selon laquelle sauver notre patrimoine culturel et historique est une nécessité. Nous sommes reliés à notre histoire qui représente les bases du monde de demain que nous devons bâtir. Une construction sans fondations solides s’effondre. La culture de l’effacement est grave, car oublier c’est se priver de l’inspiration des réussites et des échecs du passé.
Annuler les richesses de notre patrimoine reviendrait à effacer la mémoire à un homme de quarante ans pour qu’il reparte à zéro dans la vie. Ce quadragénaire serait alors comme un enfant qui tâtonne pour apprendre à marcher.
Au-delà de notre patrimoine historique, il est important d’aborder le patrimoine français, au sens large, représenté par le parc immobilier. Je vois régulièrement des maîtres d’ouvrage qui préfèrent par facilité démolir un bâtiment pour reconstruire à neuf au lieu de privilégier la réhabilitation de l’existant. Dans un monde où 10 % des gaz à effets de serre sont directement liés à la fabrication du ciment et de l’acier, principaux matériaux utilisés dans les constructions modernes, je ne trouve pas cela responsable.
Préserver ce qui a été construit pendant des siècles par nos anciens ne devrait pas être une question politique. C’est faire preuve de bon sens. Avoir la haine du patrimoine c’est renié ce que nous sommes et d’où nous venons. Cela constitue un crime d’intelligence, car, bon ou mauvais, notre passé est riche d’enseignements pour nous aider à bâtir le monde d’après. C’est une source d’inspiration infinie dont nous avons cruellement besoin pour penser à long terme et développer la vision d’une société prospère et juste dans les prochaines décennies.
M. A. : Nous vivons une époque dangereuse, nous dit-on. Tous les indicateurs sont au rouge en matière de réchauffement climatique, puisque les rapports du GIEC, plusieurs milliers de pages, semblent le dire, même si l’on peut toutefois noter que ce sont surtout les résumés des rapports du GIEC qui vont dans ce sens. Nous aurons beaucoup de mal à faire le tri entre le vrai et l’idéologie dominante de l’écologisme, mais puisque vous êtes un bâtisseur, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure la réhabilitation a-t-elle un rôle à jouer dans le défi immense qu’est la crise du réchauffement climatique ? L’articulation que vous faites entre humanisme et écologie est-elle selon vous une évidence, un cercle vertueux de deux fondamentaux qui se nourrissent l’un l’autre ?
G. M. : Je pense qu’il faut faire preuve de prudence. Nous avons effectivement un problème de réchauffement climatique lié aux activités humaines. Mais nous devons être vigilants face à l’idéologie écologiste qui est devenue selon moi un dogme contre lequel nous n’avons plus le droit de débattre.
Il n’existe pas de réponse globale aux enjeux du climat. La réhabilitation des bâtiments est une des possibilités pour accompagner une transition de civilisation. Lorsque nous réhabilitons un bâtiment, nous utilisons une structure déjà existante pour le moderniser. Par conséquent, nous économisons les ressources de la planète pour créer un lieu de vie. Nous passons d’une logique d’extraction des ressources à une logique de recyclage. La réhabilitation permet aussi d’améliorer les performances thermiques de l’habitat pour diminuer les consommations d’énergie tout en préservant un certain niveau de confort. Il est important de préciser que cette pratique n’est pas nouvelle. Il n’est pas rare de voir dans certains centres-villes des bâtiments de plus de trois cents ans qui ont changé de destination plusieurs fois. Les anciens construisaient pour durer.
Pour aller plus loin, j’ai la conviction que la réhabilitation de notre parc immobilier est un enjeu de société pour les trente prochaines années. Il existe aux alentours de 36 millions de logements en France avec 7 millions de passoires thermiques. Depuis 40 ans, nous renouvelons 1 % du parc immobilier chaque année. Nous construisons actuellement 400 000 logements neufs par an. Or la demande en logements neufs va largement décroître dans les prochaines décennies.
D’abord pour une raison démographique. La France métropolitaine compte aujourd’hui 65 millions d’habitants. Certaines estimations de l’INSEE indiquent que nous serons aux alentours de 72 millions en 2050, soit seulement 7 millions de plus. Si, dans cet intervalle de temps, nous continuons sur le même rythme, nous aurons construit 11 millions de logements neufs. L’offre deviendrait largement supérieure à la demande.
Ensuite, l’État français a décidé d’encadrer la bétonisation des sols pour protéger les espaces naturels et éviter l’étalement urbain. L’objectif est d’atteindre zéro artificialisation nette des sols[1] en 2050, ce qui va réduire considérablement l’assiette foncière pour les constructions neuves.
Selon moi, le parc immobilier à l’horizon 2050 est déjà là !
J’aime particulièrement cette idée fondatrice de prendre appui sur le cadeau de nos anciens pour construire le monde de demain. C’est de cette manière que j’articule mon message humaniste avec la protection de l’environnement. La réhabilitation permet de créer des ponts entre les générations. Elle nous donne l’opportunité de devenir des passeurs de temps. C’est une pratique vertueuse qui remet l’homme et la planète au centre de nos préoccupations sans opposition.
M. A. : Je note un souci avec les écologistes, c’est qu’ils semblent privilégier le souci de l’environnement à l’homme et à l’humanisme. Ne pensez-vous pas que le souci de l’humain doit-être toutefois prioritaire sur la planète ? Et ne doit-on pas trouver des solutions innovantes qui prennent en compte l’ensemble des êtres humains, et ne pas préférer la planète à l’humanité ? Je note aussi que la France est le bon élève de l’écologie alors que le développement industriel de la Chine et de l’Inde permet aux hommes de notre génération de vivre mieux, mais au détriment de la planète atteinte par leur pollution. Faut-il ralentir le développement des hommes pour protéger la planète ? Que pensez-vous de la décroissance et des écologistes actuels ?
G. M. : Je me méfie systématiquement d’une pensée dominante dogmatique qui trouvera toujours une contradiction avec le temps.
La planète et l’humanité forment un tout indissociable. Privilégier le développement de l’humain au détriment de notre planète est aussi criminel que préférer notre environnement à l’homme. L’objectif ultime est de trouver un état d’équilibre et de symbiose. Tout le monde parle d’innovation, mais c’est un mot à la mode substitué à celui de progrès. L’humanité d’aujourd’hui s’est formée grâce aux progrès des générations passées qui se sont succédé. Nous portons en nous cet héritage. Dans l’histoire, ce sont surtout les ruptures de technologies qui ont transformé brutalement nos civilisations. Les inventions de l’écriture, de l’imprimerie, de la machine à vapeur et récemment d’Internet ont changé radicalement le monde dans lequel nous vivons.
La décroissance que prônent certains écologistes est absurde. L’idée même que l’être humain doit arrêter de consommer pour protéger notre environnement est une aberration. Par nécessité de survie, nous sommes obligés de consommer et particulièrement de l’énergie. Dans un monde où à l’horizon 2060 nous atteindrons probablement un pic de 11 milliards d’habitants sur Terre, comment voulez-vous arrêter de consommer sinon à envisager l’éradication de l’espèce humaine et l’arrêt brutal de tout progrès ?
Malgré tout, je pense que la décroissance de notre modèle économique a déjà démarré pour des raisons physiques. Le développement de nos sociétés est lié à l’énergie. Le pétrole est un don de la nature qui a permis à notre civilisation de croître de façon exponentielle les 200 dernières années. Malheureusement, son utilisation est limitée par la quantité disponible et par l’impact causé sur notre climat. Actuellement, 80 % de la dépense énergétique est toujours assurée par les énergies fossiles. Nous avons pourtant atteint un pic de consommation du pétrole en 2008 et la diminution des stocks dans les prochaines décennies entraînera mécaniquement la décroissance. Elle s’exprimera par un changement obligatoire de nos pratiques et des usages.
Souvent, les questions pour résoudre nos problèmes sont mal posées. Par exemple, la Commission européenne a décidé d’éradiquer les voitures à moteurs thermiques en 2035 et de remplacer le parc automobile existant par des voitures électriques. D’ailleurs, c’est une décision lourde de conséquences prises par des personnes qui ne sont pas élues par le peuple. Or certaines études démontrent que le bilan carbone d’une voiture électrique est similaire à celui d’une voiture thermique. En prenant cette décision, nous déplaçons le problème sans le résoudre. Il existe pourtant une meilleure question à se poser. Comment, par exemple, permettre aux populations de continuer à se déplacer sans utiliser de voitures ? Ce type de questionnement amène un débat constructif et ouvert qui oblige à mettre sur la table les solutions possibles et envisageables.
Je crois profondément à la capacité de résilience de l’être humain. J’ai la conviction que nous allons développer une nouvelle rupture technologique pour nous faire passer dans le monde d’après. Dès lors, notre survie ne dépend pas d’une décroissance choisie comme solution à tous nos problèmes, mais plutôt de notre capacité à créer une disruption pour nous propulser dans un monde où l’humanité et la nature vivent en symbiose tout en permettant la poursuite du progrès humain.
M. A. : Ce souci de la planète, qui ressemble aussi beaucoup à une passation de marchés de main en main, peut-il, selon vous, entraîner des dérives autoritaires (baisser le chauffage à 19 degrés cet hiver, etc.), comme avec le pass vaccinal ?
G. M. : La mise en service du pass carbone individuel est une question de temps. La répression et les interdictions sont une forme de renoncement à trouver des solutions durables et pérennes. Nous savons, par exemple, que l’utilisation de l’avion dans nos déplacements sur le territoire national possède un bilan carbone terrible. Pire, aucune autre source d’énergie ne pourra remplacer le kérosène. L’hydrogène est pour l’instant une chimère, car pour le produire nous avons besoin d’une grande quantité d’énergie. Au lieu de restreindre l’utilisation de l’avion avec un pass carbone individuel, nous devrions plutôt repenser le système ferroviaire français et les lignes à grande vitesse.
Avec un pass carbone, les pouvoirs politiques montrent du doigt l’usager comme étant l’unique responsable et la cause de tous les problèmes. Je pense au contraire que le transport comme l’énergie sont des attributs régaliens. L’État est garant du développement du transport et des usages sur le territoire national. Si une autre possibilité est donnée aux Français de se déplacer à grande vitesse de manière décarbonée, plus personne ne prendra l’avion.
Ce sont les possibilités d’usages qui orientent la consommation. Si nous changeons les usages, nous transformerons notre façon de consommer.
M. A. : Vous venez d’être approché comme consultant par le magazine Transitions & Énergies. En tant que consultant, avez-vous un avis sur le nucléaire ? Ne pensez-vous pas que l’idéologie en matière de nucléaire nous a fait beaucoup de mal, et que cela commence à se voir ? Est-ce vraiment réaliste de substituer au nucléaire les éoliennes, qui détruisent la faune et la flore, tout comme le paysage, et ne sont pas aussi fiables que le nucléaire ? Dernière question que je pose au consultant, que pensez-vous des sanctions envers la Russie ? Ne sommes-nous pas en train de faire, malgré nous, le lit d’une guerre plus globale à venir ?
G. M. : Nous avons deux contraintes majeures s’agissant de la fabrication de l’électricité avec les énergies renouvelables.
D’abord, nous ne savons pas la stocker à grande échelle. Donc la production doit être ajustée à la consommation en temps réel.
Ensuite, la production de l’électricité avec des énergies renouvelables est intermittente. Pas de vent, pas de soleil, pas d’électricité. Nous sommes donc obligés de les coupler avec des moyens de production dits pilotables et flexibles. Concrètement, quand nous avons des pics de consommation, nous devons être capables de tourner le bouton pour produire de l’électricité à la demande. C’est ce que nous appelons le mix énergétique. Les seuls moyens de production pilotables existants sont les centrales nucléaires et les centrales au gaz ou au charbon.
En France, ce sont nos centrales nucléaires qui, aujourd’hui, remplissent cette fonction en produisant 75 % de notre électricité. Si nous souhaitons diminuer la part du nucléaire à 50 % et que nous ne voulons pas de charbon, il reste donc le gaz comme moyen de production pilotable.
La prolifération des éoliennes va mécaniquement augmenter la construction de centrales au gaz et par conséquent les émissions de CO2, car notre énergie nucléaire est déjà décarbonée.
Nous avons décidé du tout-nucléaire en 1970, pour favoriser notre indépendance énergétique à la suite du premier choc pétrolier. Sans le vouloir, nos prédécesseurs se sont engagés dans une solution vertueuse pour l’environnement, car l’électricité produite par le nucléaire est la plus décarbonée qui soit. En analysant le cycle de vie complet, une centrale nucléaire rejettera dix fois moins de CO2 par kilowattheure d’électricité produite qu’une éolienne et cent fois moins qu’une centrale au gaz.
Prenons l’exemple de l’Allemagne citée depuis deux décennies par nos politiques comme un modèle édifiant pour défendre la cause de l’environnement. Ils ont refusé le nucléaire par conviction idéologique et ont investi 500 milliards d’euros dans leur transition énergétique avec l’éolien et le solaire. L’Allemagne a choisi les centrales au gaz et au charbon comme moyen de production pilotable pour le mix énergétique. Je vous invite à consulter le site Internet electricitymaps.com qui donne les rejets de CO2 en temps réel pour chaque pays dans le monde. L’Allemagne est aujourd’hui le plus gros pollueur d’Europe. Quand il n’y a pas de vent et de soleil, elle fait fonctionner les centrales au gaz et au charbon. De ce point de vue, la transition écologique allemande est un désastre.
D’ailleurs, l’Allemagne paie le prix fort de sa politique gazière depuis le début du conflit ukrainien puisque son principal fournisseur de gaz est la Russie. La France aussi importe le gaz pour répondre aux besoins de chauffage des Français dans le secteur résidentiel. La guerre en Ukraine est également devenue un conflit énergétique. Nous aurions pu éviter cette guerre terrible pour les populations depuis plus de 10 ans si nous avions décidé d’arrêter de jouer le jeu de l’OTAN et des États-Unis. Il suffisait de regarder l’Histoire pour comprendre que les sanctions économiques n’ont jamais stoppé un envahisseur. Elles redessinent la géopolitique mondiale conduisant à des aberrations comme la France qui achète indirectement du pétrole russe à l’Inde avec des tarifs plus importants. La principale victime énergétique de ce conflit sera l’Europe et nous alimentons les risques d’une guerre plus étendue.
Avec l’éolien, nous détruisons nos paysages et notre patrimoine, tout en ayant un lourd impact sur le tourisme et les prix de l’immobilier, car personne ne veut vivre à côté d’une éolienne. Sans compter les effets néfastes sur la santé et la biodiversité. Nos décideurs doivent stopper immédiatement cette folie dans l’intérêt des Français. D’autant que le coût de l’investissement à venir de 250 milliards d’euros pour doubler le parc existant est directement financé par les Français sur leur facture d’électricité et lorsqu’ils passent à la pompe à essence. Tout cet argent dépensé inutilement devrait servir à renforcer notre parc nucléaire et à aider financièrement les Français à rénover massivement le parc immobilier pour améliorer les performances thermiques de leurs habitations afin de diminuer les consommations.
Je ne suis pas spécialement pour le nucléaire. Je porte simplement un regard pragmatique sur la situation et sur les solutions techniques disponibles. Après la Seconde Guerre mondiale, nous avons mis plus de 50 ans à produire 75 % de notre électricité de manière décarbonée. À cause d’une chasse aux sorcières des antinucléaires, nous avons passé les 20 dernières années à déconstruire notre modèle énergétique alors qu’il était le plus performant au monde. La gestion de l’énergie est une fonction régalienne. L’État doit assurer aux Français une énergie abondante, bon marché et la plus décarbonée possible. Pour cela, nos politiques doivent avoir le courage de soutenir notre modèle énergétique au plan européen. La souveraineté c’est être capable de défendre les intérêts des citoyens français en disant non lorsque c’est nécessaire.
M. A. : Revenons sur le nom de votre entreprise, Rehearth, qui veut dire « relancer » en anglais. Est-il le concept clé que tout le monde devrait appliquer au quotidien ? On parle de se réinventer, comme si ce que l’on avait inventé ne valait plus rien. Ne doit-on pas plutôt relancer ce qui existe déjà ? Ce serait déjà moins prétentieux, et plus réaliste, non ?
G. M. : Vous avez raison sur la notion de relancer. L’idée fondatrice de Rehearth est de promouvoir la réhabilitation de l’existant pour transmettre le patrimoine aux générations futures tout en protégeant les ressources de la planète. Relancer c’est donner une seconde vie à ce qui existe. C’est se servir de l’existant comme une fondation sur laquelle nous pouvons construire le monde de demain. Je pense que nous devons considérer d’où nous venons en portant un regard plus objectif sur nos réussites et nos échecs passés. Se réinventer ne veut pas dire faire table rase du passé. Au contraire, c’est considérer ce qui existe comme un point d’appui pour nous projeter vers l’avenir. Encore une fois, je préfère cette notion de progrès qui a disparu de notre vocabulaire au profit du terme « innovation ». Il est effectivement moins prétentieux et plus pragmatique de relancer ce qui existe déjà. D’améliorer de manière continue les pratiques qui fonctionnent et en changeant ce qui ne marche pas.
M. A. : Une dernière question : vous livrez des conseils pratiques sur Radio Notre-Dame où vous êtes rentré récemment comme chroniqueur. Pouvons-nous imaginer dans un avenir proche un livre de vous plus philosophique, insistant précisément sur votre vision du monde, et votre éthique ?
G. M. : C’est une idée qui me traverse l’esprit depuis un certain temps. Mon focus est aujourd’hui centré sur la transmission de la pierre et des savoirs. Je reste un éternel homme de terrain, mais écrire un livre philosophique sur ma vision du monde et mon éthique pourrait constituer un socle pour penser sur des temps longs.
Les projections sur le climat offrent des horizons aux alentours de 2050 tout au plus 2100. Mais qu’en est-il de l’après ? Les anciens bâtisseurs construisaient pour l’éternité. Les vestiges du passé sont les témoins silencieux de cet état d’esprit qui ont fait la grandeur de certaines civilisations sur plusieurs millénaires. L’Égypte antique, par exemple, s’est étalée avec une incroyable stabilité sur près de 3 000 ans. De nos jours, nous sommes incapables de penser au-delà de 50 ans.
J’ai l’impression que l’on maintient la population dans la peur de l’avenir pour mieux asservir l’intelligence humaine. On nous promet que, si on ne fait rien, la fin du monde est inéluctable. Les jeunes générations grandissent dans un monde très anxiogène. Entre la COVID, le conflit ukrainien, la crise du réchauffement climatique, les perspectives du monde de demain peuvent être effrayantes.
J’ai appris avec mon métier, que dans une situation de peur et de stress, nous prenons toujours de mauvaises décisions. Nous avons besoin d’hommes et de femmes politiques courageux pour offrir la perspective et la vision d’une société bâtie sur du long terme. L’être humain a besoin de se projeter et d’avoir une direction pour s’épanouir. Oui, nous avons des défis immenses à relever, mais tout n’est pas que désespoir. Il faut garder confiance et travailler.
Guillaume Millo
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[1] Instauration de l’objectif de « zéro artificialisation nette » prévu par le Plan Biodiversité. But : travailler avec les collectivités pour repenser l’aménagement urbain et réduire efficacement l’artificialisation des sols.