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Têtes de chien, note sur Diogène le Cynique

Diogène, né vers 413 avant Jésus-christ à Sinope, aimait toiser ses contemporains, et arborer une gueule de chien en réaction contre la culture. Cet article a été écrit en 2009. Il est paru dans le numéro 10, des Carnets de la philosophie, en janvier 2010. il a  été revu et augmenté en 2012. Le voici désormais en accès libre dans l'Ouvroir.

« Diogène c’est Socrate devenu fou. » Platon.

 

 

 

Diogène, né vers 413 avant Jésus-christ à Sinope, aimait toiser ses contemporains, et arborer une gueule de chien en réaction contre la culture. Il aimait ainsi donner à notre relation à la nature toute sa force et sa profondeur. Cette tête de chien, que – certains confondent avec une tête de lard, plus portés dans leurs œuvres moribondes à donner au ressentiment qui les tord, au sentiment de jalousie qui les accable, ses pures lettres de noblesse, produisant avec un bonheur égal à leur médiocrité, les pires négativités qui finira par tous les emporter –, ne saurait être justement portée par n’importe qui. Diogène est l’icône la plus célèbre de l’école cynique, aboyant contre leurs concitoyens, forniquant en public. Faire la bête contre ceux qui se prétendent des hommes. Contestations et dérisions de ces hommes « dénaturés ». Il faut relire Diogène, et oublier les calomnies de crapules aussi fainéantes qu’indigentes. Il n’appartient pas à tout le monde d’être cynique. Ce ne sont pas les « blondes de service », ou les « crétins aux petits pieds » qui sauront se mettre à la hauteur du génie de Diogène. À peine pourront-ils produire ce que Nietzsche attribuait aux hommes du ressentiment.

 

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Cet article, paru dans la revue Spécial Philo, n°5, fév-avr. 2014

 

« Pour bien vivre, disait Diogène, disposer d’une raison droite ou d’une corde pour se pendre ». Quelle magnifique phrase qui vient donner le change à la société où l’on y voit que le règne des contraintes et des artifices. Agir et réagir contre les hommes : s’opposer à cet élan de domination qui les asservit. C’est le constat que fait Diogène : tous ces misérables humains ne pensent qu’à dominer, capitaliser, jouir. Mais sont-ils seulement heureux ? Le vrai cynique sera un destructeur. Il voudra briser ces valeurs. Mais il lui faudra pour autant disposer d’une raison droite : il lui faudra donc fabriquer ses lois comme un révolté. Du haut de son légendaire tonneau, Diogène dénonce : la domination exercée par le plaisir sur les hommes, le travail, les revers, la souffrance, bref, tout ce qui compose, de près ou de loin, chaque vie humaine. Le bonheur n’est donc pas dans le plaisir, insatiable par définition, dans les rapports sociaux qui passent par le travail ou les échanges, mais dans ce qui le contrarie : l’autarcie, c’est-à-dire le fait de se suffire à soi-même.

 

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« Ôte-toi de mon soleil » - (réplique fulgurante à Alexandre le Grand,
roi de Macédoine, qui était aimablement venu le voir et
qui lui demandait s'il avait besoin de quelque chose,
s'il pouvait l'aider en quoi que ce soit... -

 

De fait, on l’a bien compris, les philosophes cyniques grecs se dressent contre l’ordre social. D’où leur modèle : le chien. Car le chien se dresse contre les puissants, il mord les importants et il ne reconnaît d’autre autorité que celle de la nature. On raconte qu’Alexandre le Grand admirant Diogène et se serait bêtement aventuré vers son tonneau, entouré de sa cour, pour lui demander ce qu’il aurait souhaité recevoir. Et Diogène de seulement lui répondre : « Ote-toi de mon soleil. »

 

Contemporain de Platon, Diogène est connu dans l'imagerie populaire comme le philosophe qui habite un tonneau et se promène dans Athènes en plein jour, une lanterne à la main, cherchant un homme... Avec le temps, le cynisme a pris une connotation péjorative de mépris et de dénigrement d'autrui, qualifiant tous ceux qui, par peur de leur propre médiocrité, rabaissent systématiquement les autres...


Rien de cela dans le cynisme philosophique. L'ironie n'a qu'un seul but : dégonfler la baudruche toujours renaissante de la vanité humaine. Cette baudruche, c’est celle que l’on place entre-soi et les autres. C’est celle qui nous fait manquer l’essentiel : être soi ! C’est l’outil nécessaire pour accomplir, ce que les Grecs appelaient une vie bonne...

 

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Diogène de Sinope

 

Le cynique fait la bête. Il est cette bête qui dispose de la raison droite. Un raisonnement aussi subtil que le raisonnement des écoles hellénistiques. Ainsi, il parvient, rejetant les fausses valeurs véhiculées par une société qui entrave toute liberté humaine, à une sérénité inaliénable. D’où l’idée juste défendue par Michel Onfray qu’il ne se trouve aucun pessimisme chez Diogène[1]. Ça n’est pas la vie qui est un mal, mais le mal vivre. Par leur morale, leur philosophie aux préceptes infaillibles, les cyniques ne craignent ni la pauvreté, ni la mort d’un proche, ni les liaisons malheureuses. Ils jouissent d’une légèreté absolue dont seuls pourraient en jouir les combattants de l’arène morale. Socrate utilisait irrémédiablement son ironie au service du questionnement philosophique. Une ironie feinte, un air candide par lequel il enquêtait auprès de ses interlocuteurs pour savoir si ceux-là étaient plus savants que lui. Considéré d’ailleurs comme l’homme le plus sage d’Athènes par l’oracle de Delphes, Socrate n’en faisait pourtant rien. Son ironie s’étendait jusque-là : un refus net de se prendre au sérieux, ou de prendre les autres au sérieux. Comme tout ce qui est humain, ou tout ce qui est philosophique ne peut être assurément sérieux, pour Socrate, il n’était pas question de s’en enorgueillir.

Les cyniques, eux, portaient cette ironie socratique à son comble. Rejeter le masque du sérieux, l’agression verbale, la parrhèsia, cette tranquille assurance, cette façon d'oser qu’ils pratiquent avec tant de rigueur.

 

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Diogène de Sinope et Alexandre le Grand

 

Il est clair qu’on est loin du cynisme aujourd’hui, si ce n’est, comme le dénonce Peter Sloterdijk, un cynisme postmoderne, ou se réclamer du chien n’est plus qu’agir comme des « bâtards » ignorants, ou les barbes et les besaces ont été remplacé par les fringues et la frimes, où la copulation en public n’est plus que vain et vaniteux exhibitionnisme mou. Quand autrefois, on faisait référence aux idées et aux théories absconses, les cyniques y opposaient geste, humour et ironie. Aujourd’hui, pour seule défense contre le savoir que l’on refuse par pure ignorance, on oppose la rhétorique creuse, le quolibet, le sarcasme fade.

Selon Diogène, les démocrates étaient des valets de masse, Platon une perte de temps, et Socrate un philosophe incapable d’inquiéter quiconque. Néanmoins, Diogène n’a pas fait école au-delà de la sienne…

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Diogène de Sinope à l'Alexandre le Grand : - Oui, ôte-toi de mon soleil !

 
(Article écrit en 2009, revu et augmenté en 2012)
diogène le cynique,jésus,platon,les cyniques,michel onfrayParu dans le numéro 10, des Carnets de la philosophie, en janvier 2010 et dans Spécial Philo, n°5, fév.-mars-avr. 2014.


[1] Michel Onfray, Cynismes, Le livre de poche, p.59.

Commentaires

  • Diogène a fait quand même - un peu - école cher Marc...

    Mon fils s'appelle Diogène et nous appliquons le mieux possibles les principes de notre illustre ancêtre...

    Eric Poindron

  • Je dois bien l'admettre en effet Eric, Diogène a fait école, mais en parrallèle de la pensée officielle : celle de Platon et ses descendants...

  • Merci Marc. je l'emporte chez moi pour le lire... :-)

  • Bel éclairage. Comme beaucoup, je n'en connaissais que la caricature.

  • Diogène, une lanterne à la main en plein jour, défigure les passants en déclarant : "Je cherche un Homme"...

  • "La plus belle chose au monde est la liberté de langage", Diogène... à méditer par le sieur Raoult !

    Quant aux gens sans culture, il professait "qu'ils parlent ou qu'ils pètent, c'est la même chose".

    Retenons enfin cet éloge de la masturbation, qu'il pratiquait généralement sur l'agora, au vu de ses concitoyens, répondant à ceux qui s'en scandalisaient : "Si seulement je pouvais, en me frottant ainsi le ventre mettre un terme à ma faim!"...

    "Les Cyniques grecs, fragments et témoignages", et le Michel Onfray, "Cynismes" sont depuis au moins dix ans sur ma table de chevet avec "Les Présocratiques"... c'est une source intarissable de joie, de vitalité, de sagesse. Ce dont nous avons mille fois plus besoin que nou n'en avons de la croyance.

    Allez, encore deux pour la route, une qui vise qui vous savez :
    "N'a-t-il pas honte de posséder tant de choses et de ne pas se posséder lui-même ?"

    "Pour bien vivre, il faut disposer d'une raison droite et d'une corde pour se pendre".

    Merci Marc ! je retourne au boulot...

  • Sauf que la liberté du langage s'arrête là où il n'y a plus de limite au langage, dès lors que le langage ne sert plus la vérité, mais la rabaisse.

  • "Je hais vos idées mais je me battrais jusqu'au bout pour que vous puissiez les exprimer" Voltaire.

    Non madame, parce que si vous savez ce qu'est LA Vérité, celle-ci, en vérité, n'existe pas. Ce que vous dites est bien sûr le fondement de tous les Etats totalitaires : la liberté d'espression ne me convient que lorsqu'elle correspond à ma Vérité.

  • Et moi j'ai l'impression du contraire, monsieur Delorme.

  • Et c'est quoi le contraire : que la Vérité fonde la démocratie, qu'elle est transcendante et révélée ? Ce n'est en tout cas pas l'univers des cyniques... ni le mien !

  • Mais le mien.

  • La raison droite de Diogène veut dire qu'il faut etre honnete, juste, vivre dans la clarté,le plus important c'est le don de soi, ne pas se preter, etre entier dans tous nos actes, jusquà' sacrifier notre vie s'il lefallait. Esque c'est cela qu'il faut comprendre ou je trompe. Merçi
    pour la réponse.
    Merçi Marc.

  • Jolie réhabilitation du Cynique, qui en a plus que jamais besoin dans ce monde de cynisme vulgaire !

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