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Americana Hêgemonia (Roland C. Wagner)

A-t-on besoin de présenter Roland C. Wagner ? Depuis sa première offensive intitulée Le Serpent d’angoisse, Prix Rosny Aîné 1987, puis Un ange s’est pendu, ses romans lyriques et sombres, sont autant de cataclysmes, de mondes imaginaires, d’univers hors-normes…

 

roland c. wagner,johan heliot,condolesezza rice,norman pinrad,mikhaïl gorbatchevAuteur prolifique, plus d’une quarantaine ouvrages à son actif, il n’est donc pas étonnant de le retrouver dans cette nouvelle collection de longues nouvelles lancée par les éditions Le Rocher, aux côtés de Jean-Pierre Andevron, Serge Quadruppani, ou encore Johan Heliot.


On peut d’emblée lire sur la quatrième de couverture : « Sans renoncer à son humour habituel, il livre avec Pax americana une réflexion acide sur le pétrole, le pouvoir et l’avenir de notre espèce. »

 

Dédiant son court récit à Norman Spinrad, qu’il nomme « l’ami américain », c’est d’ors et déjà un clin d’œil à l’auteur du Printemps russe, paru en deux tomes aux éditions Folio SF, dont le sujet traitait justement d’une Amérique s'enfonçant inexorablement dans la récession, le protectionnisme et la paranoïa, alors que l’Union soviétique nouvelle poursuivait elle, sa trajectoire entamée par Mikhaïl Gorbatchev, s'intégrant allègrement à une Europe en passe de devenir la première puissance mondiale et vers laquelle tendaient à converger toutes les énergies.

 

Et bien imaginez l’inverse : nous sommes à la seconde moitié du XXIème siècle, et les Etats-Unis ont carrément fait main basse sur les réserves pétrolières mondiales. De fait, les relations entre le vieux continent et le nouveau sont des plus mauvaises.

 

Mais la domination américaine semble cependant toucher à sa fin.

 

Au commencement du récit, les Etats-Unis sont également frappés par la déplétion du pétrole, ce qui entraîne leur président Ernesto La Verda, un latino-catholique pratiquant, à décider de renouer les liens entre son continent et l’ancien.

 

Jusqu’ici, rien de bien anormal : on a pu constater dans la vraie vie, comment, après une longue colère sourde contre la France qui n’a voulu entrer en guerre avec les Américains contre l’Irak, le secrétaire d’État Condoleezza Rice est quasiment revenue vers la France, en rampant… La première visite officielle du président américain en exercice, l’alter ego de l’actuel, doit se faire sous très haute surveillance. On imagine bien ! Pour ce faire, on engage Alfred, parce que finalement, « les agents qui protègent ce type sont forcément des experts. La crème de la crème »[1].

 

Et voilà que les problèmes commencent.

 

L’Europe du XXIème siècle reçoit le président des « Zu’ssa » tandis qu’une bande de bras cassés se prenant pour des « terroristes » résistant à l’envahisseur américain, et refusant le mal radical, prépare un attentat.

 

Le président américain vient en Europe apporter la paix, alors que certains, quelque joyeux lurons, lui veulent la guerre.

 

C’est sur cette farce, que le récit de Roland C. Wagner débute et s’achève : « Que la farce soit avec vous ! »[2]. Une véritable déconstruction de tous les mythes fondateurs, de tous les stéréotypes qui font l’Amérique pour nous offrir une utopie légère en miroir au nouveau continent devenu depuis un demi-siècle, hégémonique, tyrannique, et aveugle et sourd au reste du monde.

 

Si personne n’a été dupe à propos de l’invasion de l’Irak par les Américains, cherchant à la fois à contrôler le Moyen-Orient, et une partie des bases pétrolières, il ne se trouve pas grand monde pour se leurrer non plus sur l’avenir écologique très incertain que les Américains proposent au reste de la planète, refusant de réduire sur leur consommation, et continuant de polluer sans la moindre mauvaise conscience : « Les Zu’ssa ont en gros vingt ans, pour diviser par quatre leur consommation énergétique. Et il faut qu’ils commencent dès maintenant. Ou alors […] ils vont gaspiller les richesses qui leur restent dans une guerre sans espoir pour les ultimes de pétrole. »[3]

 

La farce n’est donc qu’apparente. Sur fond de crise de pétrole, de catastrophes naturelles, de terrorisme à la petite semaine, Roland C. Wagner questionne un monde réel qui va mal. Anticipant un avenir probable, fait de conflits et de discordes entre les continents et les grandes puissances économiques et politiques, le court récit de Wagner élabore également les conséquences quasi-certaines d’une politique aveugle de la surconsommation énergétique à moyen terme.

 

Effondrement économique de l’Europe, paix armée, terrorisme à échelle planétaire, suprématie militaire américaine… Le réalisme de Roland C. Wagner compose avec un récit décalé, un dynamitage en règles des conventions même du roman à intrigues, et entérine l’idée que désormais, la SF ne décrit plus un monde à venir dans cinquante à cent ans, mais dans une petite décennie, voire quelques années.

 

Un court récit qui dénonce l’hégémonie hors norme d’une Amérique prédatrice, d’une tyrannie molle qui règne sur le globe d’une main de fer, aidée de sa puissance économique, technologique militaire, et médiatique. Un livre ni sombre ni triste. Une fable en forme de belle utopie qui présente l’avantage de tout renverser, faisant des personnages des caricatures à la fois drôles et tendres, inventant les situations les plus absurdes, dénonçant la surpuissance des mass-medias, et la force burlesque des Conférences officielles, dénonçant à grand renfort de gags et de situations grotesques la démence d’un monde au bord du gouffre.

 

Comment le nier ?

 

« L’économie zu’ssi était alors devenue totalement prédatrice, se muant en gouffre sans fond, un trou noir qui engloutissait près de la moitié de la richesse mondiale, tandis que les armées U.S. imposaient sur le monde le pesant couvercle de la Pax Americana »[4]

 

Roland C. Wagner, Pax Americana, Novella SF, Editions du Rocher, 2005.

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[1] Roland C. Wagner, Pax Americana, p.14.

[2] Op. cit., p.91.

[3] Op. cit., p.33.

[4] OP. cit., p.44.

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