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Le Clézio, Quinze causeries en Chine

J.M.G. Le Clézio a prononcé quinze conférences en Chine. Des réflexions et méditations sur son propre cheminement d’écrivain, comme une sorte d’hommage à la littérature, qui clôt une œuvre somptueuse, couronnée du prix Nobel en 2008. Il en ressort Quinze causeries en Chine, aventure poétique et échanges littéraires. Cette recension est d'abord parue dans la revue en ligne Boojum, et elle est désormais en accès libre dans l'Ouvroir

Sûrement Le Clézio a-t-il un peu trop écrit. Il nous a donné quelques grands livres, presque des classiques aujourd’hui, — allons, personne ne pourra dire le contraire ! et peut-être quelques romans dispensables. Notons cependant que la vertu principale de cette œuvre est d’être singulière, unique. Personne n’écrit comme Lé Clézio. C’est une écriture inimitable, qui pose son œil sur les choses les plus infimes, les plus insignifiantes qui peuplent ce monde, une écriture qui tend l’oreille aux bruits comme aux silences, qui est continuellement aux aguets. Et que ceux qui ne goutent guère à l’écriture de Le Clézio se disent qu’ils ne goûtent guère non plus à la poésie. Car on ne peut être que possédé, hypnotisé, fasciné par l’écriture le Clézienne, sa poétique, ses rythmes hérétiques, qui vont à la source et se terminent sur des sons très doux. Il manquait bien sûr un ouvrage qu’il nous permettrait de comprendre le rapport entre les mots et choses que Le Clézio entretient depuis ses débuts en 1963 dans ses contemplations, ses observations de ce qui l’a passionné toute sa vie : le monde lui-même…

 

le clézio14.jpgEh bien le voilà ce livre ! Cet essai sur la littérature que J.M.G. Le Clézio publie aujourd’hui s’intitule Quinze causeries en chine, et est sous-titré Aventure poétique et échanges littéraires. Du salon du livre à Shangaï, en passant par l’université de Nankin, l’université de Pékin, celle du Heilongjiang, de Yangshou, la fête des Écrivains du fleuve Yangzi, au Jiangsu, ou encore la fête littéraire Dayi, l’écrivain nobélisé explique par le menu, sa conception de la littérature, sa vision du roman, comment il voit le livre aujourd’hui, laissant un héritage, une remarquable érudition et une formidable gourmandise, afin de nous montrer combien la littérature est nécessaire aux civilisations, aux temps à venir, combien la littérature doit garder une place prépondérante dans la Cité alors même qu’« aujourd’hui la question de la place de l’écrivain dans la cité n’est plus la même.

Ce livre jouit d’un avant-propos de Xu Jan, qui a également recueilli ces quinze textes, et dans lequel on apprend qu’il est le traducteur du livre Désert en chinois, et qu’il l’a fait publier en juin 1983 sous le titre La Fille du désert. On apprend aussi que les livres de Le Clézio « sont toujours appréciés en Chine en raison de leur qualité littéraire et de leur insistance sur l’humanisme ». Et le traducteur chinois de l’écrivain français de rajouter : « Au niveau de la poursuite spirituelle, Le Clézio est pour moi un héritier de la tradition humaniste des écrivains français depuis Rabelais. »

Silences politiques…

Une des vertus de l’écrivain est probablement celle d’être toujours contre le pouvoir. C’est dans ce cadre que l’on devra sans doute souligner, pour être honnête, que Le Clézio a laissé des silences, d’immenses silences à propos de l’actuel pouvoir politique en Chine, dont on ne peut dire qu’il soit un modèle de démocratie ou d’humanisme. J’aurais cru cela plus difficile de parler de cette noble art que la littérature, qui se trouve toujours en-dehors des institutions, qui est même contre les institutions, pour un écrivain, dont une des passions essentielle est tout de même celle de la vérité, et, qui l’a défendue avec tant d’enthousiasme, notamment lorsqu’il a longuement défendu les cultures amérindiennes, et les peuplades aujourd’hui disparus, je pense par exemple aux mayas, dont la disparition bourdonne encore dans ses oreilles douloureuses, ou encore lorsqu’il parle, si bien, de ces hommes et de ces femmes libres, marchant dans les villes, ces inconnus sur la terre, ou encore tout ce qui appartient à l’infinitésimal de la nature, de l’ordre du monde, avec cette tendresse, cette intention de partir, ce rêve de tout bon projectile qui sonne bien, avec cette musique qui lui est propre et qui évoque les émotions de l’enfance et de l’adolescence, qui émeut et emporte, parlant presque toujours, essentiellement des insoumis. J’avoue que je n’arrive pas à comprendre pourquoi jamais une seule fois Le Clézio n’aborde le problème de la littérature et du pouvoir, qu’il me semble éviter le sujet pour s’élever plutôt à une Chine plus éternelle et ancestrale.

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JMG Le Clézio en Chine

A l’écoute d’autrui

Mais bon, laissons cela, et disons, que Le Clézio est un écrivain l’œil et l’oreille aux aguets. Qu’il est un sage, et que tout sage se tient en-deçà ou au-delà des combats politiques. Aussi, à ce propos, j’aime énormément ce que dit Xu Jun, lorsqu’il écrit : « je découvre que Le Clézio est toujours à l’écoute d’autrui ». Je crois que l’essence même de ce livre est résumée dans cette seule phrase.

C’est donc un éloge de la littérature. Et un éloge du livre, de l’accès au livre. Sans le livre pas de culture, pas d’humanités, pas de paix universelle possible. On y retrouve aussi toutes les obsessions de l’écrivain, celles qui ont peuplé tous ses romans : l’exploration de la nature, les minorités silencieuses, les opprimés de la société occidentale, les persécutés du pouvoir, l’héroïsme face à la guerre, la liberté des déracinés, les errances désordonnées et frénétiques, les cités modernes. Il s’emploie à faire de la littérature comparée : littérature française, anglo-saxonne, chinoise parce qu’évidemment, comment pouvions-nous en douter de la part d’un écrivain ouvert à tous les peuples et les peuplades, loin des préoccupations modernes de repli sur soi, lui qui pense « que la littérature ne peut exister sans la pratique de l’interculturel ».

« La question n’est pas seulement celle de l’universalité. Ce serait plutôt la question de la paix universelle, c’est-à-dire d’un dialogue des cultures, où chaque voix aurait sa part qu’aucune ne soit prépondérante. » 

De la littérature et notre temps, de l’écrivain en temps difficile, de la littérature et de la mondialisation, Le Clézio sait toujours tirer de toute chose une philosophie de vie qui, finalement, tourne bien souvent autour de la même idée : la vieille tentation de l’universalité peut conduire à une surdité « aux appels du monde ».

Ce livre est dès lors une boite à outil pour percevoir ce réel dans ces multiples formes, ses plis infinis, ces nuances bariolées, afin que la multitude de voix dans le monde soit un jour entendue.

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JMG Le Clézio en Chine avec son traducteur chinois Xu Jan


J.M.G. Le Clézio, Quinze causeries en Chine. Aventure poétique et échanges littéraires, Gallimard, mai 2019.  

 

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